jeudi 19 avril 2007

Bonheur paradoxal, leurres de l'individualisme, juste en passant














Gilles Lipovetsky: "La société d'hyperconsommation est devenue la civilisation du "bonheur paradoxal"".
photo: J Sassier Gallimard

Juste un peu de philosophie, dans la série je n'ai pas encore lu...

Toujours à la radio, j'entends parler de ce livre, comme si cette idée que je constate tous les jours est enfin exprimée là, avec philosophie analyse et clarté.
Même si c'est un peu difficile au départ il faut se laisser emporter par le cours d'une lecture. Il faut faire connaissance avec l'expression le rythme et les mots. Un dictionnaire ou un ordinateur avec l'accés à Internet et un moteur de recherche, près de soi. Mais qu'est-ce que je raconte, on choisit on note ou on note pas, on est libre de déchiffrer un livre ou de le survoler pour la mélodie.

ON PEUT TROUVER DES LIVRES D'OCCASION, PERDUS, ABANDONNÉS...

On peut les emprunter.

Et voilà comment voyager en "transport commun", en solitaire au milieu des autres, LIRE. Prendre des vacances à l'insu de tous. Découvrir des nouveaux mondes et des nouvelles formes et des nouvelles pensées , rencontrer pour le plaisir des mots, lire une longue lettre qui vous est adressée. Certains livres sont des bouteilles à la mer, il faudra que je vous donne ma liste à l'occasion.


Je vous ai copié un entretien du dit philosophe.

Le philosophe et sociologue Gilles Lipovetsky analyse les paradoxes et les travers des sociétés d'hyperconsommation dans deux essais brillants. Quand l'esprit de consommation est synonyme de déception, d'anxiété et de frustration. Une anatomie troublante des sociétés hypermodernes!

Qu'est-ce que le "bonheur paradoxal" dans les sociétés de consommation?

"Une nouvelle modernité est née. Elle coïncide avec la "civilisation du désir" qui s'est construite au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Cette révolution est inséparable des nouvelles orientations du capitalisme engagé dans la voie de la stimulation perpétuelle de la demande, de la marchandisation et de la multiplication indéfinie des besoins. Le capitalisme de consommation a pris la relève des économies de production. Depuis la fin des années 70, une nouvelle phase du capitalisme de consommation s'est mise en place: la société d'hyperconsommation.
Peu à peu, l'esprit de consommation a réussi à s'infiltrer jusque dans le rapport à la famille et à la religion, à la politique et au syndicalisme, à la culture et au temps disponible. Tout se passe comme si, dorénavant, la consommation fonctionnait comme un empire sans temps mort dont les contours sont infinis. Nos sociétés sont de plus en plus riches. Pourtant, un nombre croissant de personnes vivent dans la précarité et doivent faire des économies sur tous les postes de leur budget, le manque d'argent devenant un souci de plus en plus obsédant. Nous sommes de mieux en mieux soignés, ce qui n'empêche pas que les individus deviennent des sortes d'hypocondriaques chroniques. Les corps sont libres, mais la misère sexuelle est persistante... Les inquiétudes, les déceptions, les insécurités sociales et personnelles grandissent. La société d'hyperconsommation est devenue

la civilisation du "bonheur paradoxal"".

C'est pourquoi peu de domaines de nos vies échappent à la spirale de la déception?

"Alors que les sociétés de tradition encadrant strictement les désirs et les aspirations ont réussi à limiter l'ampleur de la déception, les sociétés hypermodernes apparaissent comme des sociétés d'"inflation déceptive". Quand le bonheur est promis à tous et les plaisirs exaltés à tous les coins de rue, le vécu quotidien est mis à dure épreuve. D'autant plus que la "qualité de vie" dans tous les domaines (couple, sexe, alimentation, habitat, environnement, loisirs...) est devenue le nouvel horizon d'attente. À l'heure du "zéro défaut" généralisé, comment échapper à l'escalade de la déception? Plus les exigences du mieux-être et du mieux-vivre s'élèvent, et plus s'ouvrent les boulevards de la déconvenue. Après les "cultures de la honte" et les "cultures de la culpabilité", voici le temps des cultures de l'anxiété, de la frustration et de la déception. La société hypermoderne se caractérise par la multiplication et la haute fréquence de l'expérience déceptive, tant sur le plan public que sur le plan privé."

Selon vous, aujourd'hui, la religion est de moins en moins un alibi pour apaiser nos angoisses et nos déceptions.

"Pour de plus en plus de gens, les traditions et la religion ne sont plus de grands phénomènes de consolation. Dans le passé, il y avait aussi une déception, mais il y avait des "techniques" pour atténuer ce défaitisme, le mettre dans une cage: la messe, la prière, la confession... La déception humaine existait aussi, mais l'ordre social étant stable, il entravait les débordements de la déception. Aujourd'hui, dans nos sociétés hyperindividualistes, il n'y a plus rien en face."

D'après vous, les traditions s'effilochent aussi dans les sociétés d'hyperconsommation.

"Aujourd'hui, la notion de tradition est galvaudée. Le cas du Québec est révélateur à cet égard. Les Québécois revendiquent une culture spécifique et un certain statut pour la langue française. Il s'agit bien là du désir de préserver une tradition. Mais c'est une tradition à la sauce individuelle. Dans le cas québécois, la tradition symbolise non pas la pérennité d'une coutume ancestrale, mais l'affirmation de soi. C'est une manière d'être soi-même. Dans l'ordre traditionnel, vous ne remettez pas en cause la tradition, elle vous constitue d'emblée. Or, aujourd'hui, les Québécois s'interrogent sur leur avenir. On leur demande de voter lors d'un référendum pour décider s'ils veulent continuer à vivre dans le cadre fédéral canadien ou devenir souverains. La tradition québécoise est interrogée, elle n'est plus reçue héréditairement."

La société d'hyperconsommation a-t-elle engendré un nouveau type de consommateur?

"Oui. La consommation "intimisée" a pris la relève de la consommation honorifique dans un système où l'acheteur est de plus en plus informé et infidèle, réflexif et "esthétique". Désormais, on achète des choses pour les montrer, s'afficher, être reconnu. Il y a une recherche permanente d'émotions, de sentiments, de communication. Vous n'achetez pas un téléphone portable pour exhiber votre standing, mais pour être contacté, écouter de la musique, et bientôt regarder des films. Il y a quelque chose de très émotionnel là-dedans. Si vous perdez votre téléphone, vous êtes complètement déboussolé parce qu'on ne vous appelle plus, donc vous vous sentez stressé... C'est pourquoi je parle d'une thérapeutique du consumérisme. Autrefois, il y avait la messe ou la prière. Aujourd'hui, pour apaiser vos angoisses, vous allez dans les grands centres commerciaux, au théâtre, au cinéma..."

L'hyperconsommation a-t-elle des répercussions néfastes au niveau sociétal?

"Je crois qu'on a déjà des signes très ostensibles de ces répercussions négatives: il y a dans nos sociétés une vraie spirale de dépression, d'anxiété, de consommation de produits psychotropes, de psychothérapies en surnombre... Ces malaises de l'âme créent une désorganisation psychique, une fragilisation des individus. On voit aussi les effets de l'hyperconsommation avec la multiplication des sectes et de groupes complètement déjantés, qui peuvent conduire à une véritable crise de nos sociétés. L'hyperconsumérisme désorganise les cultures et déstabilise les individus. Cette désorganisation crée une insécurité telle chez les êtres que certains essaient de se dépêtrer de la spirale consumériste en renouant avec leurs racines religieuses ou en choisissant d'autres voies plus violentes, comme le terrorisme. Troisième phénomène délétère: l'hyperconsommation est en train de causer des désastres écologiques. La surconsommation énergétique devra tôt ou tard s'arrêter. Ça ne veut pas dire que ça mettra fin à l'hyperconsommation, mais cette surconsommation devra prendre des formes plus respectueuses de l'environnement, faute de quoi il faudra prendre des mesures draconiennes, comme celles déjà en vigueur dans des villes très polluées, où l'on a interdit la circulation des voitures."

Le Bonheur paradoxal. Essai sur la société d'hyperconsommation
de Gilles Lipovetsky
Éditions Gallimard, 2006, 377 p.

La Société de déception
Entretiens de Gilles Lipovetsky avec Bertrand Richard
Éditions Textuel, 2006, 110 p.

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