dimanche 30 novembre 2008
La Comédie Française en quête de sa deuxième salle.... Le Monde
Opinions du 29/11/08 dans le Monde
Le feuilleton "Comédie-Française Bobigny" tourne à la mauvaise farce. Les épisodes se suivent et alimentent chaque fois davantage la cacophonie. Au point que plus personne n'y comprend rien. Tout a commencé début octobre, quand la presse a révélé que la Comédie-Française envisageait de s'installer à la MC93 de Bobigny. La nouvelle a provoqué la colère du milieu théâtral et une crise à l'intérieur de la Maison de Molière.
De guerre lasse, Muriel Mayette, l'administrateur général de la Comédie-Française, a annoncé dans Le Monde du 13 novembre qu'elle renonçait. Sans informer au préalable sa tutelle, l'Etat, qui l'a très mal pris. Le 15, le ministère de la culture a fait savoir que le projet de Bobigny conservait "toute sa pertinence." Le ministère sauvait ainsi la face, remettait Muriel Mayette à sa place, et faisait passer un message clair : encore une fois, les journalistes n'avaient rien compris. Depuis le début de "l'affaire", la Rue de Valois accuse les médias de "désinformation".
L'entêtement ministériel laisse perplexe. Qui veut encore de l'improbable partenariat entre la Comédie-Française et Bobigny ? Même le médiateur nommé pour calmer le jeu, Bernard Faivre d'Arcier, ancien directeur du Festival d'Avignon, lâchait récemment que ce projet est "une fausse bonne idée". La profession, elle, ne cesse de dénoncer une "OPA", qu'elle craint de voir se reproduire ailleurs. La tension est montée d'un cran, ces derniers jours : dimanche 16, le principal syndicat du spectacle vivant, le Syndeac, a prévenu que tout passage en force "risque de provoquer une rupture définitive entre la Comédie-Française et les autres théâtres". Avis aussi au ministère de la culture qui "perdrait de toute façon son crédit" s'il s'obstinait.
Aucun directeur de théâtre n'a envie de se retrouver dans la situation de Patrick Sommier, à la tête de la MC93 depuis 2000. Celui-ci a appris par la bande que la Comédie-Française, le ministère et les tutelles de Seine-Saint-Denis envisageaient l'implantation de la Comédie-Française à Bobigny. Chacun de ces acteurs y trouvait son compte. Muriel Mayette disposerait enfin de la salle modulable qui manque à la Comédie-Française. La ministre de la culture et de la communication, Christine Albanel, porterait "l'excellence théâtrale au coeur des quartiers". La maire communiste de Bobigny, Catherine Peyge, aurait son "Stade de France", comme elle a osé le dire. Quant au conseil général socialiste, principal bailleur de fonds de la MC93, il ferait des économies.
Ce beau scénario a échoué à cause des erreurs et des inélégances du ministère, auxquelles se sont ajoutées les maladresses opportunistes de Muriel Mayette. Pour justifier le projet, Mme Albanel a présenté la MC93 comme une étoile pâlissante dont la fréquentation serait en baisse, l'offre de spectacles diminuerait, et l'image à l'étranger ternirait - oubliant d'ajouter que les subventions de l'établissement stagnent depuis des années...
Par ailleurs, la Rue de Valois a négligé des questions de fond. Statutairement, la Comédie-Française ne peut pas fusionner avec une structure associative comme la scène nationale de Bobigny. Financièrement, rien n'a été réglé : pour développer ses projets en Seine-Saint-Denis, la Comédie-Française aurait besoin de recruter de nouveaux comédiens, et doit être sûre de pouvoir assumer le coût de ses productions artistiques. Or l'Etat n'a jamais dit à quelle hauteur il s'engagerait.
Ces incertitudes ont suscité beaucoup de débats parmi les comédiens-français qui, fait rarissime dans l'histoire de la Maison, ont exprimé haut et fort leur désaccord. "Nous refusons de nous installer dans un théâtre contre ceux qui le dirigent et le font vivre", a déclaré la troupe, le 9 octobre, dans un communiqué approuvé à une majorité écrasante. Depuis, Muriel Mayette se retrouve en porte à faux. Elle ne peut pas agir contre sa troupe, qui sait si bien jouer les Atrides, ni se mettre à dos le ministère, qui seul peut lui faire obtenir sa fameuse "deuxième salle".
LE RÊVE DE PIERRE DUX
Pierre Dux
Né le 21 Octobre 1908 à Paris, Ile-de-France, France
Décédé le 01 Decembre 1990 à Paris, Iles-de-France, France
De son vrai nom : Pierre Martin
Au sens strict, l'expression "deuxième salle" est fausse. La Comédie-Française possède actuellement trois salles : la salle Richelieu (862 places) au Palais-Royal, le Théâtre du Vieux-Colombier (300 places) à Saint-Germain-des-Prés, et le Studio-Théâtre (136 places) niché dans le Carrousel du Louvre. C'est une situation aberrante, héritée de choix bien antérieurs à l'arrivée de Muriel Mayette à la Comédie-Française, en août 2006.
Historiquement, la salle Richelieu représente "le saint des saints". Mais elle ne peut pas accueillir certaines oeuvres contemporaines qui nécessitent une jauge moindre et un plateau adapté aux mises en scène modernes. La question s'est posée dès les années 1970. La Comédie-Française disposait alors de deux salles : Richelieu et l'Odéon, qui est aussi un théâtre à l'italienne. A ce moment-là, le grand administrateur qu'était Pierre Dux a tenté de convaincre l'Etat de créer un complexe moderne dans le bâtiment aujourd'hui occupé par le Louvre des antiquaires, à deux pas de la maison mère.
C'était une excellente solution : la Comédie-Française aurait bénéficié d'un équipement aussi performant que celui de la Royal Shakespeare Company, à Londres. Faute de s'être réalisé, le rêve de Pierre Dux est devenu un cauchemar pour les administrateurs suivants. Après avoir perdu l'Odéon, en 1989, la Comédie-Française s'est repliée (en 1993) sur le Théâtre du Vieux-Colombier, réaménagé et consacré au répertoire exclu de Richelieu. Puis, en 1996, elle a obtenu de l'Etat la construction du Studio-Théâtre, dédié aux découvertes. Mais ces deux salles n'ont pas réglé le problème. Au contraire, elles ont desservi la Comédie-Française, qui n'a jamais su trouver le chemin de la rive gauche ni sa place au Carrousel, où l'on entend bien les métros pendant les représentations. D'où la recherche d'une autre scène.
Pour l'heure, la Maison de Molière n'a pas eu la chance de l'Odéon-Théâtre de l'Europe : celui-ci a pu et su conserver les Ateliers Berthier, qui avaient été remarquablement remodelés pour lui servir de salle provisoire pendant la durée de ses travaux de rénovation (de 2003 à 2006). L'Odéon a pu ainsi jouir d'une configuration idéale : une salle à l'italienne au centre de Paris, une autre modulable sur les boulevards périphériques. Il faut dire que c'était l'époque, pas si lointaine, où l'Etat avait encore les moyens et la volonté de financer un projet théâtral ambitieux.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire