dimanche 22 février 2009

LE GRAND ENTRETIEN GÉRARD DEPARDIEU

via Télérama, et par ma grande admiration pour l'acteur et ma toute aussi grande tendresse pour l'humain, trop grand corps ou trop grosse tête dans le sens talent, démesure quand tu nous tiens, qui d'autre que lui peut survivre à tant de bouleversements, maigre, il exploserait, derrière des matelas de chair il étend en même temps qu'il en dort son l'extrême exacerbé, peut-être pas ? je ne pourrais que courir pour voir ce film rencontre entre deux jouisseurs et intelligents de force complémentaires, si singuliers qu'ils oscillent entre le frêle bateau de papier qui surnage un temps sur le caniveau dans les rus, jusqu'aux rivières et qui disparaitraient dans la mer si des femmes des amis des exploiteurs très intéressés n'avaient pas pris soin d'eux...
***** LE GRAND ENTRETIEN
GÉRARD DEPARDIEU
"Est-ce de ma faute si je ne peux supporter les mondanités et le monde qu’ivre mort ?”
Le 21 février 2009 à 18h00 10 réactions envoyez à un ami imprimez
Tags : Gérard Depardieu entretien Claude Chabrol Guillaume Depardieu
LE FIL CINÉMA - On le verra pour la première fois la semaine prochaine jouer sous la direction de l’ami Chabrol. A cette occasion, nous avons voulu rencontrer le monument Depardieu. De ses débuts, quasi muet, au drame de la perte de son fils Guillaume, de ses rôles au cinéma, au théâtre et pour la télévision aux colères qui l’habitent et le nourrissent, l'acteur raconte un parcours tumultueux. Mais dit son appétit de vivre.



Depardieu à Quiberon - Patrick Swirc pour Télérama


On a beau l'avoir vu, entendu, tant et tant de fois – au cinéma, à la télévision, au théâtre –, Gérard Depardieu impressionne encore et toujours. Cette manière, incroyable, d'électriser l'espace dès qu'il apparaît, cette voix douce ou terrible qui sait, comme aucune autre, nommer, renommer gens et choses... A 60 ans, riche de cent cinquante films, cinquante pièces de théâtre, quelques dizaines de rôles monstres à la télévision et des entreprises en tout genre de par le monde, fort aussi de beaucoup de souffrances, beaucoup de plaisirs et désirs, le revoilà dans Bellamy, le dernier film de Claude Chabrol, avec qui – le croira-t-on ? – ce champion du cinéma français a tourné pour la première fois. Il y incarne avec pudeur et tendresse un flic en vacance de lui-même et des autres, revenu de tout. Lui, ce jour-là, revient juste d'une énième thalasso à Quiberon.

-Comment vous débrouillez-vous de ce corps imposant, le vôtre, que le public aura vu si souvent, de personnage en personnage, grossir ou maigrir à l'écran ?
J'ai une nature abondante parce que curieuse de tout. Je suis boulimique parce que j'aime la vie. Mais mon corps est trop encombrant parfois. Même si ça fait partie de mon tempérament, même si je m'y suis habitué parce que d'autres m'ont aimé et que ce corps-là, passable, finit par se mélanger aux choses... Quand je me sens trop lourd, « ecchymosé » de moi – comme après la mort de mon fils Guillaume –, j'ai pourtant besoin de me mettre de côté un moment. D'autant que je suis un peu comme un cheval, je ne connais pas mes limites.

-Même à 60 ans ?
Je n'ai jamais encore éprouvé mes limites. Je suis un enfant de la nature, vous savez, je n'appartiens à rien d'autre qu'à la nature. J'ai poussé là comme une mauvaise graine, une merde qu'un oiseau aurait laissé échapper de son bec.

“Guillaume est là. Partout. Il ne me quitte pas.
Et là où il est, au moins, il n'est pas perdu.”

-Sans famille ?
Mon père ne savait ni lire ni écrire, il se prenait pour un Gitan ; à Châteauroux, il nous a élevés en Gitans, du moins à la manière berrichonne. Et le Berry, c'est un peu l'Afrique de la France, un pays de tribus, de gens forts et indépendants. Je ne me souviens ainsi d'aucun repas pris en famille à la maison. Jamais. Même tout petit. Nous vivions séparés. Quand l'un de nous en croisait un autre en ville, il changeait de trottoir. C'était comme ça. J'ai longtemps regretté de ne pas être allé davantage à l'école, d'avoir traîné dans les rues dès 8 ans, d'avoir arrêté la classe à 12 ans – au certificat d'études – et d'avoir pris la route dès cet âge ; je pense aujourd'hui que c'était mieux. Nous étions trop différents, en classe on se serait moqué de moi et de ma famille, j'aurais été marginalisé, je n'aurais pas supporté, je serais devenu plus violent. Car je me suis toujours arrangé pour ne pas être rejeté. La société des années 50 le permettait, elle n'était pas si dure qu'aujourd'hui. Il suffisait souvent de savoir partir au bon moment. Je pars toujours avant d'être coincé. Avant d'entrer quelque part, je repère les sorties de secours avec un instinct animal. Même le service militaire ne m'a pas rattrapé, j'en ai été dispensé car insociable et réputé violent en groupe. Je l'ai été en effet.

-Quand ça ?
Entre 13 et 15 ans, j'ai perdu peu à peu l'usage des mots, la parole. Je ne m'exprimais plus que par onomatopées. J'étais hyperémotif alors, et sans doute aussi hyperactif. Il m'a fallu me réapproprier le langage, me réapprivoiser phrase après phrase. En lisant à haute voix. Je me souviens que lire du Giono m'a beaucoup aidé... Et si je ne comprenais pas les mots, je les chantais. Je faisais parler le son. Une bonne diction entraîne forcément chez l'acteur le sentiment, affirmait Jouvet. C'est vrai. Ainsi il n'est pas utile de toujours comprendre ce qu'on dit, il faut juste laisser aux autres le temps de se faire avec ça leur propre musique. Laurent Cochet, quand j'ai débarqué dans son cours de théâtre à 17 ans, sans autre perspective que ma fascination des mots, m'a permis d'affiner cette manière-là. Mais elle restait brute. Je faisais peur aux metteurs en scène.

“Avec Marguerite Duras, on a beaucoup parlé.
Son langage était le mien, avec quelque
chose de la terre, de la matière,
quelque chose de juste, de brut.”

-Lesquels ?
En 1972, je me rappelle m'être retrouvé par hasard, ou sûrement à cause de ma tronche de l'époque, dans Saved, une pièce d'Edward Bond montée par Claude Régy, où je jouais un mauvais garçon qui massacre un bébé dans un landau. Moi qui étais né de cette violence-là, je lui avais dit quand il m'avait embauché : « Mais attention, tu ne me connais pas ; moi aussi je peux faire mal... » Plus tard, Claude me fait rencontrer Marguerite Duras, qui cherche un acteur pour Nathalie Granger. J'arrive chez elle, rue Saint-Benoît, elle m'ouvre la porte, file au fond du couloir, toute minuscule. « Avancez sur moi..., chuchote-t-elle, avancez sur moi... » Je débarquais de ma campagne, je me dis : ils sont bizarres, ces Parisiens, mais allons-y... Et quand je suis littéralement sur elle, à l'étouffer, au fond du couloir, Marguerite colle sa petite tête sur ma poitrine et murmure dans un souffle : « Arrêtez, vous me faites peur ! C'est bien ! » On s'est plu. On a beaucoup parlé. Son langage était le mien, avec quelque chose de la terre, de la matière, quelque chose de juste, de brut. Guillaume, mon fils, avait les mêmes mots, mais avec une grâce plus rimbaldienne. C'était un vrai poète, un peintre aussi, à la manière épaisse d'un Eugène Leroy. Un artiste en somme, toujours en révolte.

-Comment vivez-vous sa disparition ?
Jamais il ne m'a été aussi présent qu'aujourd'hui. Il est là. Partout. Il ne me quitte pas. Et là où il est, au moins, il n'est pas perdu. Guillaume avait une lucidité telle qu'elle lui rendait la vie impossible, et toujours il allait au pire. Presque comme le personnage de Pierre Richard dans La Chèvre. Je ne peux l'imaginer mort. Peut-être parce que la jeunesse est immortelle. Sur son lit de mort, il avait d'ailleurs ce visage plein de colère qu'il avait toujours. Les morts ont souvent un visage qui résume leur vie. Jean Carmet avait une figure pleine d'étonnement, comme mon père ; Barbara, des traits lisses, soulagés ; Claude Berri semblait pour la première fois apaisé et Pialat restait Pialat. Mes morts me nourrissent.

-La mort vous fait-elle peur ?
Pas du tout. Quand on aime la vie, la mort fait partie de la vie. Mourir, c'est juste s'endormir.

-Vous avez des regrets en ce qui concerne Guillaume ?
Non. A 37 ans, il a vécu dix mille vies. Quant à sa rage à mon égard, à ce qu'il a écrit, ça lui appartenait. Sa sœur va éditer tous les autres écrits, les poèmes de Guillaume. Sans doute ne se rend-on pas toujours compte, quand les gens vous aiment, de ce qu'on peut leur faire endurer quand on les blesse. J'aimerais dire, bien tard : je t'ai aimé. J'ai trop fait subir ce que je subissais.

-Vous avez beaucoup subi ?
Quand on provoque, on subit. Avant, j'étais intrépide, maintenant j'évite les polémiques. Ça ne veut pas dire que je suis devenu mou, mon luxe c'est mon quant-à-soi, ma liberté. Je n'ai pas d'ambition. Je n'en ai jamais eu. Je ne réussis rien, je ne rate rien non plus. Je ne suis pas un carriériste.

“Chabrol, c'était mon chaînon manquant
dans le cinéma français. Et je n'ai eu
qu'à me glisser comme un chat dans son écriture.”

-Dans le dernier film de Claude Chabrol, Bellamy, vous incarnez un commissaire revenu de tout. Comme vous ?
J'ai eu beaucoup de plaisir à entrer dans le cinéma-jeu de piste de Chabrol. Dans chaque cadre, il imagine un rébus à découvrir. C'est un joueur. Il s'amuse. A placer des hommages-citations à François Truffaut, par exemple. Chabrol, c'était mon chaînon manquant dans le cinéma français. Je n'avais jamais travaillé avec lui. Et je n'ai eu qu'à me glisser comme un chat dans son écriture, aussi structurée que celle d'un Buñuel. Il sait faire, Chabrol. Tout est prêt : l'acteur a juste le luxe d'avoir à être là.

-Quelles ont été les rencontres fondatrices dans ce cinéma français des années 70 à 90 dont vous avez été l'acteur phare, des Valseuses, de Blier, en 1974, au Garçu, de Pialat, en 1995 ?
Mais toutes ! Et aucune. Je n'ai jamais rien appris. Je savais. C'était inscrit dans mon bulbe rachidien. Dès mon premier court métrage avec Roger Leenhardt, Le Beatnik et le minet, en 1965 – j'avais 17 ans –, dès que j'ai débarqué sur un plateau, je me suis senti bien avec la caméra. J'ai deviné la caméra, pressenti tout ce qui allait se passer dans le plan. C'est un instinct. Ou un don. C'est comme ça. Une relation magnétique, presque physique.

-Est-ce qu'il faut se faire chier pour tourner
‘Un homme et son chien’, de Francis Huster ?”

-Vous avez quand même partagé des complicités particulières avec quelques cinéastes...
Avec Truffaut... Avec Pialat, qui sur un tournage passait huit heures à mettre les acteurs en condition pour ne les filmer que deux heures. Mais c'est vieux tout ça... Les gens sont morts ou ont changé... Le cinéma aussi. Quatorze films sortent par semaine. Comment s'y retrouver ? Est-ce qu'il faut se faire chier pour tourner Un homme et son chien, de Francis Huster ?

-Vous avez vous-même participé à pas mal de nanars...
Et je ne les regrette pas ! Et je n'en ai pas fait assez ! On jugera de tout ça à la fin du parcours. On m'a reproché aussi d'avoir travaillé pour la télévision. J'en ai fait pour les rôles énormes qu'on m'y a proposés – Monte-Cristo, Balzac, Napoléon, Ruy Blas, Titus... – et parce que j'ai horreur des tournages qui traînent. A la télé, ça va vite. Et si cinq cents millions de Chinois me connaissent, c'est davantage pour Monte-Cristo, filmé par Josée Dayan, que grâce à Hélas pour moi, de Jean-Luc Godard.

-C'est d'avoir accumulé quelques bides qui fait qu'on ne monte plus de films sur votre nom comme dans les années 80-90 ?
Mais je n'ai jamais pensé qu'on pouvait monter un film sur mon nom, ce sont les autres qui me le disaient, du temps où j'enchaînais cinq films par an, c'est-à-dire jusque dans les années 2000... C'était formidable alors de pouvoir quasi continuellement faire travailler près de deux cents personnes. Et puis le marché est devenu plus difficile ; les producteurs ont eu de plus en plus besoin de la télé pour financer leurs films ; et les télés n'ont plus fait confiance qu'aux vedettes qu'elles avaient elles-mêmes fabriquées, de préférence comiques, type Eric et Ramzy. En plus, ma mauvaise réputation m'avait suivi : la boisson, les accidents de moto... En fin de parcours d'acteur, ça pèse. Mais est-ce de ma faute si je ne peux supporter les mondanités et le monde qu'ivre mort ? Finalement ça tombait bien. N'avais-je déjà pas tout joué ? Cyrano, Danton... Je ne cours plus après la carrière. J'ai tout fait.

-Vous courez après quoi alors ?
La vie ! Les mystères de la vie. Je suis un enfant de la vie. Ma raison de vivre, c'est vivre.

-Jouer ne vous excite donc plus ?
Je n'ai jamais joué vraiment. Je suis une « nature », comme on dit. Pas un comédien. Ou alors je ne le fais pas exprès. Je me glisse juste dans les mots. Le seul travail qui vaille pour moi sur un plateau, c'est la franchise, regarder l'autre au fond de lui-même et le rassurer. Je ressens tellement la peur des acteurs. Ils osent des émotions qu'ils n'ont pas toujours digérées, ils redoutent l'introspection. Je les excuse beaucoup, je les aime.


Gérard Depardieu - Patrick Swirc pour Télérama
-Au point parfois de les perturber en arrivant ivre mort sur un plateau de cinéma ou de théâtre...
On dessoûle vite quand on n'essaye pas de cacher son ivresse, de se mentir à soi-même comme les vrais alcooliques. Il faut penser « rythme, rythme, rythme... », comme disait Jouvet. Si on fonce, si on n'a pas peur, personne ne s'aperçoit de rien. C'est même étrangement excitant : on est en pleine lumière, les gens sont là... Je me souviens d'être arrivé tellement soûl sur le plateau de Tartuffe que je ne me rappelais pas une réplique de la déclaration d'amour à Elmire, scène capitale de la pièce. Elmire, c'est-à-dire mon ex-femme, Elizabeth, a dû me souffler chaque phrase. Et c'était beau, et finalement assez juste et pervers que ce soit elle précisément, Elmire très troublée, qui me dicte mes mots d'amour... Quand je m'en suis rendu compte, j'en ai joué jusqu'au bout de la scène. Il m'est arrivé de m'endormir carrément aussi, lors de La Chevauchée du lac de Constance, à l'espace Cardin en 1973, face à Jeanne Moreau, très sévère...

-Pourquoi tant d'acteurs de théâtre boivent-ils ?
Parce qu'ils ont peur. Alors ils picolent pour ne plus avoir peur. Pour ceux du théâtre, ça commence dès 17 heures, m'avait expliqué François Périer, et souvent après la représentation pour ne pas lâcher la tension, garder le vertige... Moi c'est différent, je suis un moujik, c'est ma nature, j'arrache la vie. J'ai trop envie d'aimer, c'est plus facile avec du rouge. Sauf que maintenant je ne distille plus...

-Parlant des acteurs, vous dites « ils » et non plus « nous » ?
Encore une fois, je n'ai pas fait exprès d'être acteur ! A 12 ans, j'ai juste senti que j'avais ce don-là : dire les choses, les histoires que les gens ont envie d'entendre. Ça m'a aidé pour tout.

-Vous êtes désormais davantage homme d'affaires que comédien ?
C'est vrai que je suis davantage connu de par le monde pour l'art de la table que pour le cinéma ! Mais je ne suis pas un homme d'affaires non plus. Je me passionne, simplement. Pour ce qu'on boit, ce qu'on mange, pour les gens qui ont des passions. J'ai acheté des vignobles, deux restaurants (je voudrais aussi me lancer dans la boucherie), un magasin de motos de 3 000 mètres carrés à Roissy, une ligne de camions caravanes et cantines roulantes pour le cinéma (DD), et maintenant je me lance dans l'hôtellerie de luxe rue du Cherche-Midi. Je fais travailler quatre-vingts personnes en permanence depuis pas mal d'années. Une petite PME en somme. Si je cherchais juste à faire du fric, à m'amuser, je serais trader : un métier de con. Moi, je suis plutôt attaché au respect de certaines valeurs : la terre, l'autre, la vie... J'ai aidé beaucoup de gens, ça ne m'a pas toujours rapporté, ils se sont effacés, je m'en fous. De l'argent j'en ai toujours eu, et je n'ai jamais su le garder. Même petit, je me débrouillais pour voler des sous et les mettre dans le porte-monnaie de ma mère afin qu'elle ne manque de rien. En quarante ans de carrière, j'ai dû payer 90 millions d'euros d'impôts, j'ai vendu neuf maisons et quelques tableaux en dix ans - je garde mes Leroy et mes Braque -, j'ai des garde-meubles partout, je ne sais même plus ce qu'il y a dedans. Je ne suis pas intéressé. Ma force, c'est vivre avec mon temps.

-Et où vivez-vous désormais ?
Un peu à Paris, un peu en Italie. Depuis deux ans, je bouge beaucoup. J'ai une adresse dans les Pouilles, j'adore Naples. J'aime les façons de faire des Napolitains, toujours proches eux aussi des issues de secours.

-La France vous a déçu ?
La France des villes, oui. La France qui pue. Mais pas la France profonde. Celle des bérets et des baguettes, celles des gens qu'on dit butés, mes frères.

Propos recueillis par Fabienne Pascaud
Télérama n° 3084
A voir

Bellamy, de Claude Chabrol. Sortie le 25 février.

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