AVIGNON OFF 2010
le programme par lettre alpha ex : M comme Misérables à 12h30 au théâtre du Balcon
WEBTHEA
articles de Jean Grapin et Corinne Denailles et Dominique Darsacq
Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street d’Herman Melville
Je préfèrerais pas
Théâtre du chien qui fume Grand débat sur la traduction du célèbre « I would prefer not to » du scribe Bartleby. Daniel Pennac et le metteur en scène François Duval ont choisi la version « je préfèrerais pas ». D’aucuns lui préfèrent « j’aimerais mieux ne pas » ou « je préfèrerais ne pas », écho de la syntaxe anglaise, signe extérieur plus flagrant de l’étrangeté du personnage qui, au terme de la courte nouvelle d’Herman Melville, reste un mystère clos sur lui-même. Ainsi, sans tapage, le scribe décline poliment, sur un ton de grande douceur, toutes les demandes de travail du notaire qui l’emploie. De refus en refus, Bartleby, lointain cousin de Meursault, l’étranger de Camus, s’enfonce irrémédiablement dans sa solitude à force de résistance passive, jusqu’à disparaître totalement, emportant avec lui la clé de son mystère. Son histoire se prête à tant d’interprétations sans qu’aucune ne soit satisfaisante, qu’on finit par penser que telle est sa fonction, susciter l’interrogation. Qui est-il celui-là qui refuse de jouer le jeu des hommes ? un fou ? Ce récit est-il une critique de la société ? une parabole kafkaïenne, philosophique, psychanalytique, biblique, pourquoi pas ? Ce qui intéresse Melville, ce sont les effets produits par un élément perturbateur. Bartleby est aussi une expérience littéraire.
Une belle lecture
En plein cœur de Wall Street, dans l’étude du notaire où s’agitent les deux clercs en place dont les noms, Dindon et Pincettes, renseignent sur l’image que l’auteur entend donner d’eux (et sur la dimension comique du texte), la seule présence muette de cet être transparent bouleverse l’ordre des choses. On ne sait ce qui touche et inquiète le plus du destin tragique de ce jeune homme ou des efforts du notaire pour entrer en communication avec lui, comprendre cette situation invraisemblable qui le conduira à déménager pour tenter de se séparer de ce fantôme d’homme. Mais en vain, et quand, lors d’une visite dans le parc de la prison où il est désormais enfermé, il le trouvera inanimé, la culpabilité finira de l’accabler. Le texte de Melville a souvent séduit les metteurs en scène. Stéphanie Chévara (2003), David Géry (2005) en avaient donné des versions différentes mais toujours subtiles. C’est ici à une lecture, à peine mise en espace, que nous convient François Duval et Daniel Pennac. Sans aucun doute, l’écrivain est un grand lecteur, mais il semble tant démangé par l’art du théâtre qu’on aurait aimé qu’il aille plus loin, qu’il prenne quelques risques avec ce texte qui l’accompagne depuis toujours et dont il a probablement exploré les bouches d’ombre.
Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street, d’Herman Melville, d’après la traduction de Pierre Leiris, mise en scène François Duval avec Daniel Pennac au théâtre du chien qui fume à 19h10. Tel : 04 90 85 25 87. Durée : 1h
Mon pantalon est décousu de et par Laurent Viel et Marc Viseur
Un des bijoux du off
Petit Louvre jusqu’au 31 juillet 2010
« Dis-moi ce que tu chantes je te dirai qui tu es ». Des chants sacrés à la chanson yéyé, des « Mazarinades » au Chant des partisans, du madrigal à la chanson d’amour, couplets et comptines véhiculent les préoccupations et les humeurs du temps et de la société. Puisqu’à travers un répertoire c’est toute une époque, avec ses craintes et ses joies, ses rires et ses larmes, qui se révèle, Laurent Viel et Marc Viseur, comédiens et chanteurs, nous entrainent dans les années d’avant et d’après-guerre, en interrogeant ceux qui les ont vécues.
Après le jubilatoire J’ai la mémoire qui chante qui, à partir du témoignage de personnes âgées, racontait en chansons les heurs et malheurs du XXe siècle, et Que reste-t-il de nos amours qui évoquait mai 68, nos deux larrons, épaulés efficacement par Thierry Garcia à la guitare électrique et aux arrangements, se sont demandés « Qui était mon grand-père quand il était petit ? ». La réponse en chansons à cette judicieuse question se propose de tisser des liens entre nos bambins d’aujourd’hui scotchés sur Internet et leur papy et mammy. Que chantaient-ils alors ?
A l’âge de leurs culottes courtes et de leurs jupes plissées, ils mangeaient des confitures, celle « qui dégouline et passe par le trou de la tartine ». Des Frères Jacques à Georgius (Le Lycée papillon ), en passant par Mireille et Jean Nohain (Si vous connaissiez mon papa), du burlesque et poétique Quand Zézette zozote au méchant et désopilant Tango des bouchers de la Villette, c’est une réjouissante et ludique virée dans les années 30-50 que nous proposent Laurent Viel et Marc Viseur. Les chansons subtilement réorchestrées, pour mieux nous les faire entendre, par Thierry Garcia, ponctuent toute une mémoire populaire émaillée de bancs d’école, d’émois adolescents, d’effrois enfantins, de plaisirs intimes aussi bien que des drames de l’Histoire évoqués délicatement notamment avec Le Grand Lustucru.
De la mise en scène, aux multiples accessoires insolites et réjouissants, au jeu des comédiens, excellents chanteurs, tout enchante dans ce spectacle car tout y est rigueur et fantaisie débridée, insolence, tendresse et humour. Le trio dont le plaisir à être en scène est communicatif, a concocté là un petit bijou de théâtre musical aussi inventif que tiré à quatre épingles, destiné à tous les publics de 7 à 97 ans, à voir en famille, ou en couple, seul ou accompagné. Programmé à 11 heures du matin il a toutes les vertus pour faire commencer une journée festivalière du bon pied.
« Mon pantalon est décousu » spectacle musical de Laurent Viel, Marc Viseur et Thierry Garcia. 1h10 Théâtre du Petit Louvre 11h du matin. Jusqu’au 31 juillet tel 04 90 86 04 24 .
Le chagrin des ogres
Fabrice Murgia en premier opus livre un objet théâtral qui a la pureté et la dureté du diamant, la poésie et l’évidence (l’intensité aussi) d’un conte des frères Grimm. L’argument du chagrin des ogres est simple : la toute petite fille qui jouait au mariage vit un cauchemar, meurt de la peur de ne pouvoir éviter la perte de vitalité des adolescents qui l’entourent et qu’elle devient.
Ayant manifestement compris de l’intérieur la crise, le metteur en scène et auteur installe avec trois comédiens intenses, accompagnés de leurs vidéo, micro et ordi, une scène naturelle moderne qui rejoint la complexité et la simplicité antique. Retrouvant sous ses avatars modernes de manière presque naïve le dispositif de la tragédie.
L’expression des malaises contemporains (addiction, auto enfermement, montée des violences) trouve un ordre simple dans les liens et croisements des dispositifs techniques, propos tenus, distributions des rôles et organisations de l’espace et du temps.
Le virtuel et le fantasme de nos jours si prégnants reprennent leur place du côté de l’imaginaire laissant la place, aux réalités du réel, de la réalité, de la fiction. Tout cela n’étant que du théâtre une offre de catharsis est ainsi offerte par la médiation de l’enfant. Celui qui sait, qui sait comment dire et ne le peut car il ne peut pas parler.
L’ogre sous ses différents grimages dévore, les enfants dévore les adolescents, qui tuent leurs parents, tue les enfants. La grimace tragique, depuis bien avant Œdipe, bien après Grimm, serait toujours la même si l’enfant ne ressuscitait toujours par la merveille de son réveil par la grâce du conte.
Voilà la grâce qu’offre au public Fabrice Murgia.
De et par Fabrice Murgia à la Manufacture (patinoire)- 14h40. Du 8 au 27 juillet 2010, relâche le 19 juillet. Tel réservation : 04 90 85 12 71
Les 7 jours de Simon Labrosse
En sept saynètes Simon Labrosse personnage naïf et toujours plein d’espoir de trouver du travail donne à voir sept jours de sa vie très médiocre. Sa descente graduelle, l’érosion et la fin de ses illusions, enclenchent pourtant bien des éclats de rire qui reposent sur la tendresse et sur une compréhension mutuelle de l’absurdité d’un monde qui veut marchandiser tous les services.
En effet, en compagnie de son copain Léo batteur, en révolte, qui a un blocage à dire quelque chose de positif et Nathalie la femme de ses rêves, Simon tente de créer des métiers nouveaux dans l’air du temps comme celui de finisseur de phrase, regardeur pour faire exister, preneur en charge des sentiments autant d’approches qui révèlent un talent certain pour l’accompagnement social.
Las, dans les changements à vue, le spectateur assiste éberlué en fait à un jeu des sept erreurs, aux sept fausses bonne idées pour survivre .Si le spectacle se déploie sur un mode loufoque, drôle voire féroce le spectateur garde le souvenir d’un monde plein de fantaisie de vitalité et de gravité mêlées.
Les sept jours de Simon Labrosse, de Carole Fréchette, Théâtre des halles, 17 h 00, Tel 04 32 76 24
L’asticot de Shakespeare
Morts ou vivants les auteurs sont là pour asticoter le spectateur : du moins Clémence Massart se fait fort de le rappeler.
Accordéon en bandoulière, trompette à la bouche, fripes diverses dans lesquelles elle se glisse avec une gourmandise et fripouillerie discrète mais bien réelle, elle ressuscite les grands interprètes. Avec elle un spectre hante l’Europe continentale : celui de l’asticot de Shakespeare qui quittant la tombe de Yorrick, bouffon de la famille de Hamlet, se met à visiter le patrimoine littéraire des Français et ce dans un défilé aléatoire de célébrités (auteurs ou interprètes).
Traitant de la mort et de ses aspects divers et avariés (la charogne de Baudelaire par exemple) le spectacle drolatique, par bien des aspects absurde, est avant tout une performance d’acteur qui avance d’avatars en avatars.
Les ombres de Sacha Guitry avec sa robe de chambre, Jean Giono avec ses moustaches, Sarah Bernhard avec son pilon croisent au petit bonheur la chance pleins d’autres auteurs ou interprètes. Au plaisir pour le spectateur de reconnaitre les personnages dans les indices donnés ou de se laisser porter par la verve et la gaité qui sous tendent une telle entreprise.
Le tour de piste est celui d’une joyeuse, sarcastique, savoureuse danse macabre.
L’asticot de Shakespeare, Théâtre des carmes-André Bénédetto, 20H15, Tel 04 90 82 20 47, 20h15.
La revanche de Macbeth (surfing Macbeth)
La revanche de Macbeth proposée par les belges de l’ensemble Leporello mêle conteurs, chanteurs, danseurs et musiciens. D’une grande rigueur le spectacle rend un hommage ironique à Shakespeare et Eschyle. Mêlant légendes, incantations, prières et sorcelleries il a le goût d’un pastiche de texte médiéval. Par le jeu du chœur et des corps il se révèle un bonheur quasi musical. Comme le plaisir délectable d’un quasi opéra, quasi dada la revanche de Macbeth se présente aussi comme une revue pour bal des assassins, une saga joyeuse des chefs guerriers à la fois horribles et terribles. Ce spectacle est de ceux qui prouvent que l’épopée lyrique se nourrit de tragédie et de farce, que le drame est carnavalesque.
La revanche de Macbeth (surfing Macbeth) du 8 au 27 Juillet à 16h40 - Le petit Louvre Réservations : 04 90 86 04 24
Le laboratorium
Dans ce laboratoire poussiéreux (extrait de bien des mémoires de professeurs fous) Il se rêve l’immortalité pour tous les frères humains . Illman et son acolyte font expériences sur expériences.
Entre drôle de fioles et bocaux, le cerveau de la mère en lévitation dans le formol est entouré de champs magnétiques. Les rats eux, ayant compris en leur langage que leur tour de tester le sérum est arrivé, piégés dans un aquarium, rêvent d’évasion… Le laboratorium conçu par Angélique Friant rend un hommage superbe au cinéma expressionniste. Il est d’un humour noir dévastateur .il est aussi plein de tendresse.
Le chant des avortons piégés dans leur bocal tristement persifleurs est en lui-même un petit chef d’œuvre musical qui rythme le spectacle dans ses coups de théâtre car les rats de laboratoire ne sont pas ceux que l’on croit.
Ce spectacle mêlant comédiens et marionnettes dans sa fausse naïveté et sa perfection formelle montre la supériorité du théâtre sur le cinéma ce dernier fut il en 3D.
Le spectateur, emporté par cet humour, accepte ce paradoxe que les humains soient des marionnettes et que les marionnettes sont humaines.
Le laboratorium, d’Angélique Friant, Caserne des pompiers, tel 04 90 39 46 37, 11 h 30.
Je suis allé voir les pieces de carole Frechette ... et j'ai adoré !
RépondreSupprimerTres contemporain, je me suis reconnu dans Léo, l'esprit négatif !