jeudi 17 février 2011

On dit “Dégage Moubarak !” mais pas “Casse-toi pauvre con !”

On dit “Dégage Moubarak !” mais pas “Casse-toi pauvre con !”
Le 16 février 2011 à 17h30
Télérama
"LE MONDE BOUGE - Pour marquer sa solidarité avec les manifestants de la place Tahrir, il a brandi une pancarte “Casse-toi pauvre con !”. Résultat, ce professeur du lycée français du Caire a été rapatrié par le Quai d'Orsay et sanctionné. Il aurait mieux fait de passer ses vacances en Dordogne…





Capture d'écran d'un reportage de BFM TV sur la place Tahrir, le 1er février.

Il y a des « Casse-toi, pauvre con ! » qui valent leur pesant de vols en avion. Ce mardi 1er février 2011, jour de la manifestation « du million » en Egypte, un professeur au lycée français du Caire se prépare à aller suivre le rassemblement prévu sur la place Tahrir. Alexandre (1) est marié à une Egyptienne, il a deux enfants, il connaît l'Egypte et le régime liberticide de Moubarak comme sa poche.

Membre de l'Association démocratique des Français à l'étranger (ADFE), Alexandre n'est pas insensible aux thèses des révolutionnaires égyptiens. Dans les précédentes manifestations, il a vu les slogans qui faisaient référence à la révolution tunisienne, les « Dégage Moubarak ! », en français dans le texte. Il décide de concocter sa propre pancarte et écrit sur son panneau ces quatre fameux mots présidentiels : « Casse-toi pauvre con ! »

L'homme est facétieux. L'idée est cocasse. En outre, le slogan fait honneur à la francophonie et colle parfaitement à l'état d'esprit des manifestants. Las, il ne fait pas rire l'ambassade de France au Caire, quand elle découvre les clichés réalisés par son photographe sur place. « Casse-toi pauvre con ! » sur la place Tahrir, alors que Moubarak n'est pas encore tombé : du plus mauvais effet du point de vue du Quai d'Orsay.

Trois jours plus tard, Médiapart publie un article titré « Alliot-Marie fait taire les chercheurs français en Egypte ». L'article révèle qu'il a été demandé aux chercheurs du Centre d’études et de documentation économique, juridique et sociale (CEDEJ), basé en Egypte, de ne pas intervenir dans les médias français. Les chercheurs sont priés « d'exercer, en qualité de fonctionnaire, leur devoir de réserve ». Selon Bernard Valero, porte-parole du ministère des Affaires étrangères cité par Mediapart, « un agent de l'Etat français n'a pas à faire de déclaration publique à l'étranger sur la vie intérieure d'un pays, qu'on soit chercheur, professeur ou encore volontaire international ».

L'interdiction faite à des spécialistes de l'Egypte de parler d'Egypte au moment où il se passe quelque chose en Egypte pourra laisser pantois les esprits peu rompus aux subtilités diplomatiques. Le cas d'Alexandre est plus grave. Le professeur n'est pas chercheur. Il a osé exprimer son soutien aux manifestants. Se prend-il pour Malraux parti combattre les fascistes en Espagne entre 36-38 dans les Brigades internationales ? A-t-il perdu la tête au point de s'engager dans une cause alors qu'il aurait pu rester cloîtré chez lui en attendant qu'un vainqueur se dessine ?

Dans tous les cas, notre professeur expatrié a complètement oublié qu'il était un agent de l'Etat 24h sur 24, sept jours sur sept, même pendant ses vacances forcées (le lycée est fermé). Il doit donc impérativement la boucler.

Dès le vendredi qui suit son audace, le professeur est convoqué par l'ambassade. Il doit être puni. Il faut faire un exemple, décourager les velléités pro-révolutionnaires des autres expatriés. Alexandre est rapatrié à Paris dès le samedi matin, « pour sa sécurité ». En France, il est menacé de rétrogradation. Il s'en sort avec un blâme.

Le Quai d'Orsay lui a d'abord fait comprendre qu'il pourrait rentrer en Egypte et retrouver sa famille l'été prochain, après son départ à la retraite. Moubarak ayant quitté le pouvoir, il pourrait rentrer plus tôt.

Nous avons contacté le professeur, mais il a refusé catégoriquement de répondre à nos questions. Selon des sources sur place, le ministère des Affaires étrangères lui aurait demandé de se taire contre la promesse d'une sanction moins lourde et un retour en Egypte plus rapide.

Morale de l’histoire : mieux vaut être ministre des Affaires étrangères et proposer de l’aide à un dictateur qu’être un simple prof et en conspuer un autre…"

Nicolas Delesalle
(1) Le prénom du professeur a été changé

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