mercredi 27 mars 2013

Lise Martin : l'homme orange/ou comment séduire quand on est dans un RER tous les matins à la même heure.... 7h12

Lise MARTIN




Auteur, comédienne, réalisatrice,

Lise est Martin est un auteur apatride. Elle est certes née en Bougogne . Elle y est née par hasard d’un père réfugié politique espagnol et d’une mère d’origine anglaise.

Après un master d'études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle, elle a suivi un parcours de comédienne, et de réalisatrice.



Aujourd'hui, elle se consacre à l'écriture, elle signe des pièces de théâtre, des scénarii, des livres pour enfants et des nouvelles. Elle fut boursière de la fondation Beaumarchais pour un court-métrage La Chambre d'amour, récompensé dans plusieurs festivals. Pour la jeunesse, elle a publié, Azaline se tait (Lansman), Pacotille de la Resquille (éditions de La Fontaine) Au- delà du ciel ( Editions théâtrales).

Elle a aussi publié aux éditions Crater : Zones rouges, Abri-bus (pièce pour laquelle elle a obtenu une bourse du CNL), Confessions gastronomiques, L'Inspecteur La Guerre, Confessions érotiques…

Elle fut la lauréate de la villa Mont-Noir pour l'année 2001/2002.

Terres ! est éditée aux Editions Lansman ainsi que Pablo Záni.





Après avoir passé mon enfance et mon adolescence dans une France très provinciale, je me suis échappée à la capitale. Je suis devenue comédienne, puis assistante à la mise en scène et enfin réalisatrice tant à la télévision (documentaires) qu'au cinéma (courts-métrages). Tout au long de ce périple, j'écrivais sans trop oser le revendiquer. Et puis un jour, un petit coup de pouce du destin m'a fait basculer dans l'écriture. Depuis, je navigue entre plusieurs genres, scenarii, contes, nouvelles, mais surtout le théâtre !

Je ne fais qu’écrire.

Je tente de raconter le monde comme il va, sans oublier d’en rire.

On me demande souvent pourquoi j’écris du théâtre. J’écris du théâtre pour que l’écrit s’incarne, pour que la solitude soit vaincue. J’écris pour les metteurs en scène et les acteurs. Quand un acteur s’accapare les mots d’un auteur, cela n’a rien à voir avec les phrases silencieuses que profère n’importe lequel des personnages du plus grand roman qu’on puisse lire. La voix de l’acteur, son phrasé donnent vie aux mots, rendent présent le monde inventé par l’auteur qui n’a plus besoin de le décrire. L’écriture théâtrale est présence, partage, elle résonne pour le plus grand nombre.

Et même si l’on peut trouver belle l’écriture d’une pièce, elle ne sera théâtre que lorsque, après ce rêve éveillé dans la pénombre d’une salle, on entendra les applaudissements ( ou les sifflets pourquoi pas) de ces gens vivants qu’on nomme spectateurs.

J’écris pour ceux qui, dans la lumière, vont se confronter aux hédonistes de la nuit. Je tiens compte de l’espace, du son, du mouvement des territoires des uns et des autres, du corps des acteurs, des timbres de voix, pour ce qui fait la vie et qui rejette bien loin tous les discours/prétextes à surtout ne pas incarner. Et puis…si les metteurs en scène qui montent mes pièces et les acteurs qui les jouent ont le sentiment de dire leurs propres mots c’est parce que je travaille pour eux.

Le théâtre est mon outil, je le pense subversif, engagé et libre.

Lise Martin



scénario

La Chambre d'amour (1995) ++



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théâtre

Terres! (2008 - 2009) ++

Chronique d'un KO debout (2006) ++

Azaline se tait (2001) ++

L'Inspecteur Laguerre (2001) ++

Abri-Bus (2001) ++

L'Homme orange (2000) ++

Loki (2000) ++

L'Homme coing (2000) ++

Abandon (1999) ++

Adoption (1999) ++

Séparation (1999) ++

Une Vie de baleine sans une goutte de lait (1997) ++

Au delà du ciel ++

Pacotille de la Resquille ++


L'homme orange
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une jeune femme entre

Depuis 10 ans je fais le même trajet, Hérouville/Stains. Je prends le train de 7h12.

Depuis 10 ans je me dis que la vie doit être ailleurs. Mais bon.

Je croise toujours les mêmes personnes.

On ne se dit jamais bonjour.

Je trouve ça plutôt bien.

Un temps

Je passe environ deux heures avec des gens que je reconnais mais que je ne connaitrai jamais. Une grande majorité lit, essentiellement des revues et des magazines de télé, certains sont plongés dans les affres des mots croisés, fléchés… je déteste ça.

Moi, dans un train, je ne peux rien faire d’autre que de rêver.

J’imagine la vie des gens. Je les observe.

Depuis 6 mois, il y a un type qui me plaît.

Séduire à 7 heures du matin, il faut se coucher tôt.

J’ai tout fait. Une tenue nouvelle par jour. Des coiffures différentes ; je suis passée du blond platine au roux flamboyant. J’ai essayé tous les parfums de la terre. Je lui ai écrasé les pieds. Je l’ai bousculé. Rien.

C’est long 6 mois.

Un temps

Il fallait que je trouve quelque chose de plus subtil ou de plus original.

Un temps

Un lundi soir, j’ai eu une idée.

J’ai décidé de faire une sorte d’inventaire par écrit.

Dans un petit carnet vert pomme.

Ça commençait comme ça :

Il en va des hommes comme des fruits.

Raoul était un homme banane. Lourd à digérer. Sa chair blanchâtre était recouverte d’une peau constellée de dizaines de grains de beauté.(…)Quand enfin je les ai eu comptés, je l’ai quitté. La banane est un fruit à consommer tout de suite, sinon il se gâte. Aussitôt cueilli, aussitôt avalé. Avoir un homme banane en guise de mari c’est idéal. J’avais cru comprendre que sa femme l’adorait. Pensez, un homme consommable de suite ! Le côté toujours prêt de l’homme banane peut plaire comme amant c’est étouffant. Trop nourrissant. Un bon amant ne doit pas être une repas complet. Il doit nous laisser sur notre faim. L’homme banane s’est décomposé lorsque je lui ai fait part de mon écœurement, voire même de mon indigestion.

L’homme poire est plus subtil. Il n'a qu'un défaut, sa peau. La peau d'une poire est rugueuse, elle n'a pas de goût. Elle râpe le palais. Moi qui aime tant mordiller chaque centimètre de leur peau. Là, non rien à faire même après avoir passé mes mains chiffon-soyeux sur tout son corps. Je ne réussissais pas à déguster le meilleur de lui-même. J'étais certaine pourtant que c'était un homme moelleux à l'intérieur…Je ne parvenais pas à dévorer sa carapace. Il gardait le meilleur pour sa femme. À sa maîtresse il se donnait avec la peau. Impossible de faire en sorte qu'il se déshabille. On a beau aimer n'être aimée que de 5 à 7, ils nous doivent un minimum celui d'ôter leurs oripeaux. Jacques était une de ces poires qui ravissait l’œil, rafraichissant mettant l'eau à la bouche. Il ne donnait pas tout de lui. (...). Je ne l'ai pas croqué, juste effleuré. Je l'ai quitté. Il est tombé de haut. C'était un homme mûr.

L'homme coing est immangeable. Il faut le faire cuire très longtemps. C'est un célibataire endurci. Il ne peut s'entendre qu'avec une femme coing. Je n'en suis pas. Pas encore, du moins.

(...)

L’homme melon est bon. Il se trouve facilement en période de vacances. J'en consomme régulièrement l'été. Seulement une fois avalé, dévoré, croqué, il n'en reste rien. Un vague souvenir. C'est un homme déliquescent. Un goût d'eau sucrée. C'est une petite entrée, un quatre heures qui ne laisse pas de traces. Une petite poire pour la soif. Je n'ai aucun souvenir des noms de cette espèce.

L’homme litchi est asiatique. Petit avec un gros noyau.

L’homme cerise. Ha ! L’homme cerise est un Don Juan. Et Don Juan c'est moi. Quand un Don Juan en jupons rencontre un homme cerise c'est la porte ouverte à la souffrance. Je le sais et pourtant je ne résiste pas à l'envie de m'en empiffrer jusqu'à l'aube. Comment ne pas avoir envie de manger les cerises par poignée, pour les sentir craquer sous la langue et faire rouler les noyaux contre la paroi des joues. La cerise est un fruit qui tâche. J'ai dû jeter mon corsage blanc tant il était souillé. Je n'ai jamais pu le "ravoir". Je ne mangerais plus d'homme cerise, c’est trop dangereux. Ce sont les hommes tentants qu'on n'a pas le temps de quitter. Ils vous quittent avant. Les chagrins d'amour me font grossir. J'évite.


L’homme orange n’aime que les garçons.



L'homme abricot a été bon. Musclé, ferme tendre et sucré juste ce qu'il faut. D'une telle couleur orangée, constellée de petites étoiles dorées sur les épaules, dans le dos. Il vieillit mal l'homme abricot. C'était un amour de jeunesse. Aujourd'hui il a grossi, il est farineux. Il n'y a plus de bons abricots. Jeunes ils étaient succulents. Ils ont pris du poids dans la vie, leur situation est stable au détriment de leur saveur.
Les meilleurs abricots que j'ai jamais mangé étaient ceux du verger de ma grand-mère à droite de la petite cabane.
La petite cabane.
Antoine.
L'abricotier.
16 ans.

Un temps
 (...)

Tous ces fruits sont hélas accessibles au plus grand nombre. J'ai goûté à chaque espèce de la corbeille et je me rends bien compte que celui que je cherche est ailleurs, caché quelque part. Sûrement pas à l'étalage du marché mais plutôt dans un train. Celui que je cherche est défendu. La petite cerise sur le gâteau. J'avais dit plus de cerise !

Un temps

Où se trouve-t-il celui qui donne l'eau à la bouche, qui fait mourir d'envie,  de désir ? Celui-là même qui vous donne des ailes, vous coupe l'appétit. Ce fruit qui vous fait fondre, qui vous fait passer de la taille 40 à un 36 fillette.

Ce fruit qui vous fait traverser Paris en disant :"Que c'est chouette le métro ! Les gens si laids d'habitude sont presque beaux transparents ou absents, c'est selon."
Ce fruit d'amour qui me  jettera dans tes bras essoufflée, timide, la gorge sèche, des fourmis dans le bas du ventre ; la première morsure sur tes lèvres sanguines aura le goût unique de l'amour.

Je t'aime comme je te mange.
Je te mange comme je t'aime.

Un temps

Je me suis relue plusieurs fois. J'ai refermé le petit carnet.
Je n'ai pas dormi de la nuit.
Le lendemain matin j'ai attrapé le 7h12, in extremis. Mon fruit défendu était là. Je me suis assise à côté de lui. Je suis descendue à Stains, comme d'habitude en prenant bien soin de laisser mon petit carnet sur le siège.
Forcément il le verrait.
Forcément il le lirait.
Forcément.

Les 24 heures qui ont suivi furent terribles. Je ne voulais plus prendre ce train. Je me sentais ridicule.
Qu'allait-il penser de moi ?
"Cette fille est une mangeuse d'hommes. Elle couche avec la terre entière." J’entends les insultes.

Un temps

Je suis arrivée sur le quai très en avance. Il faisait un temps de chien. On se serrait cru dans un film de Ken Loach. J'étais très calme. Je m'étais fait tous les scénarios possibles. Sauf celui là.


Un temps

Je l'ai vu. J'étais de moins en moins calme. Il est venu vers moi. Là, j'ai cru que j'allais mourir. Il m'a parlé.
-Vous n'auriez pas perdu un petit carnet hier ? Un petit carnet vert pomme.
-Non.
-Non ? C'est dommage. 
-Enfin si. Oui. Non. Ça dépend il était comment ?
-Je l'ai ramené. Tenez.
Il l'a sorti de sa poche. Cet homme était beau souriant. Je ne l'avais jamais vu aussi décontracté. 
-Ah, oui le petit carnet...
-Vert pomme.
-Vert Pomme. Ah ben, c'est le mien.
-Je suis très curieux, j'ai lu ce que vous avez écrit. Ça nous a beaucoup plu.
Nous ? J'avais bien entendu nous.
-Tant mieux.
J'ai dit tant mieux mais je pensais tant pis. Ce n'était plus un film de Ken Loach mais un mauvais téléfilm. Je devais être pâle parce qu'il a continué à me parler très gentiment. Je ne l'entendais plus. Et puis il a ouvert le carnet, il a lu une phrase :
L’homme orange n’aime que les garçons.
Le train est arrivé en faisant hurler ses freins sur les rails mouillés. Je n'ai pas voulu monter.
Lui ne voulait pas le rater.
Je suis restée là. Assez seule. Assez triste. Toute petite. C'est toujours mélancolique un train qui s'éloigne. Surtout si dans ce train vous avez laissé partir celui que vous appeliez avant de le connaître : votre fruit défendu. "

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La suite ? Quelle suite ! le lendemain... je n'ai pas pu m'empêcher moi Nathalie Feyt d'imaginer, la suite, et je me suis dit, qu'il était devenu acteur de cinéma et qu'elle l'avait reconnu dans un film, ou bien-sûr il jouait le rôle qu'elle aurait voulu qu'il ait, dans sa propre vie. Elle a attendu en larmes le générique quoiqu'il n'ait pas eu un rôle important, il ne fallait pas le rater lors du défilement. Et donc il s'appelait Olivier, l'homme orange.
Les génériques sont de plus en plus rapides. Elle n'a jamais voulu en savoir plus, questionner sur Google.  Et depuis, au cinéma, elle se cantonne aux films étrangers.

Sinon, elle a changé ses horaires dès le lendemain. Elle a pris un train plus tard. Elle arrivait un peu juste au bureau, comme elle n'avait plus de marge, au moindre dysfonctionnement, elle était très en retard. On  ne manqua pas de lui faire la réflexion lors de son entretien annuel. Elle ne répondit rien.


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