jeudi 27 octobre 2016

Entretien avec Michel Fau revue Tchaika

https://revuetchaika.wordpress.com/2016/10/09/un-dejeuner-avec-michel-fau/

Revue Tchaika ils font des fautes à  pas mal de noms propres Desbordes, St Céré, Dardenne sauf Fau Py Fellini Vitez Chéreau mais par contre ils savent restituer à l'exact la personnalité de Michel Fau. Il est au dessus des sectes du théâtre ou plutôt utilise des chemins de traverse. Mais lui aussi n'aime pas tout mais s'il sait imposer ses références ce n'est pas un dictateur. Pour assurer les productions comme d'autres actuellement il mélange les stars et les sans nom : c'est à dire acteurs qu'au théâtre, selon chaque projet. Je veux dire par là qu'il n'impose pas une "troupe" sauf techniquement pour les décors les lumières les maquillages et les costumes. Et croyez moi c'est par là qu'un style demeure, qu'on soit Fau ou Chéreau. Il a toujours su même dans le récit d'une interview me faire beaucoup rire et un peu pleurer. Le petit monde du théâtre sait passionnément reconnaître et détester, mais tous ne savent pas respirer sous l'eau d'une "orgie d'émotions", sauf à se tenir comme moi, hors du champ de bataille.

et en bonus
https://www.franceculture.fr/personne-michel-fau.html# une interview sur France-Culture avec un inoubliable extrait de Michel Fau dans Illusions Comiques de Juillet 2016

UN DÉJEUNER AVEC MICHEL FAU

Comment avez-vous découvert le Théâtre ?
Par les marionnettes. Ma mère m’a offert des marionnettes quand j’avais cinq ans. Ensuite, elle m’a emmené au théâtre. Elle faisait partie d’une certaine bourgeoisie de province qui a son abonnement au théâtre municipal. Nous allions tout voir : des pièces de théâtre, des opérettes, des opéras, etc. Parfois, nous allions à Paris voir autant des pièces de Molière que du théâtre expérimental, auquel je ne comprenais rien. Voyant que les spectacles me plaisaient, elle renouvelait l’expérience.
A 10 ans, j’ai dit que je voulais être acteur.

Entre cette vocation et votre entrée dans la profession, que s’est-il passé ?
J’ai intégré le conservatoire d’Agen. Là-bas, j’ai entendu parler du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD), j’ai compris qu’il fallait monter à Paris.
C’est ce que j’ai fait, dès que j’ai eu dix-huit ans.
La première chose que j’ai faite a été de préparer le concours du CNSAD. J’ai travaillé mes scènes de concours avec Monsieur Yves PIGNAULT qui avait un cours privé. J’ai passé le concours de la classe libre du Cour Florent où je n’ai pas été pris.
(c’est drôle parce que plusieurs années après j’y ai dirigé des stages).
J’ai passé le concours de l’école de la rue Blanche et je n’ai pas été pris. Enfin, j’ai tenté, deux fois, le Conservatoire et j’ai été pris (en passant la scène de Valère et Marianne dans Tartuffe et un Pinter.)
Au Conservatoire, j’ai compris que ce que j’aimais n’était pas à la mode.
Je rêvais de jouer Topaze de Marcel PAGNOL (qui est vraiment une très grande pièce) et les élèves travaillaient KOLTÈS et les autres auteurs à la mode. Les professeurs me disaient : « tu en fais trop », « trop d’effets de voix », « tu fais trop rire », etc.
Heureusement, il y a eu de belles rencontres comme avec Pierre VIAL ou Michel BOUQUET. Michel BOUQUET a vu des choses en moi. Il a vu le tragique. Je ne le soupçonnais pas, je voulais faire rire, être un clown ! Il m’a fait comprendre qu’un clown c’est tragique. Je me souviens, il me faisait travailler une scène de Feydeau et il m’a dit : « il faut que tu joues Lorenzaccio comme tu joues Feydeau ». Je me suis dit : « Mais qu’est-ce qu’il raconte ? ».
Longtemps après, j’ai compris qu’il avait tout compris !
A l’époque, j’habitais chez mon frère qui construisait déjà des décors de théâtre. Mon frère, ma sœur et moi avons toujours voulu faire du Théâtre. Nous nous sommes influencés les uns les autres. Nous étions comme un cirque, nous avons inventé un truc à nous qui date de l’enfance. Mon père ne comprenait pas très bien, mais ma mère nous soutenait, elle était géniale. Et moi, j’étais totalement inconscient : je croyais que tout se passerait bien.
Et tout s’est bien passé, au début. Après tout est devenu plus compliqué.
Je ne pensais que Théâtre. J’allais au théâtre tous les jours, j’allais tout voir, aussi bien au Privé, aux Boulevards (j’allais voir toutes les pièces de Jacqueline MAILLAN et de Maria PACÔME) qu’à Chaillot ou à Nanterre.
C’était un foisonnement formidable.
A l’époque, il y avait Patrice CHÉREAU à Nanterre et Antoine VITEZ à Chaillot. Le théâtre de Vitez me plaisait, c’était très lyrique. C’était ce théâtre là que j’avais envie de faire. (Ce qui ne correspondait pas trop à « l’air du temps » dans la fin des années 80)

Qu’est-ce qui s’est passé quand vous êtes sorti du Conservatoire ?
En sortant du Conservatoire, je n’avais pas de boulot ou des projets qui ne me plaisaient pas. J’ai fait des spectacles avec le Jeune Théâtre National, mais c’est un cache misère (il dure trois ans). C’était très dur. Le théâtre commençait à devenir très sérieux dans le Public. J’étais trop baroque pour le théâtre public, trop bizarre pour le théâtre privé et trop expressionniste pour le cinéma.
Et il y a eu Olivier PY. J’ai fait dix spectacles avec lui. C’est énorme. Il me trouvait génial, il m’a écrit des pièces. C’était un des rares au Conservatoire qui me trouvait génial.
Je n’étais pas nul mais j’étais bizarre.
Quand je suis devenu l’acteur d’Olivier PY, les autres metteurs en scène ne m’ont plus rien proposé.
J’ai essayé de travailler avec d’autres metteurs en scène : Stéphane BRAUNSCHWEIG, Eric VIGNER, Jean-Michel RABEUX avec qui j’ai fait quatre spectacles puis j’ai commencé à faire des mises en scène d’opéra. De ce biais-là, j’ai commencé à avoir des idées très précises de ce que je voulais faire.
J’adorais l’Opéra. Olivier Déborde qui dirigeait le Festival de Saint Serré et l’Opéra de Dijon, m’a demandé de faire mes premières mises en scène d’Opéra. Et au bout d’un certain temps, je me suis dit que j’étais bête de ne pas monter du théâtre. (Je montais TOSCA, je montais COSI FUN TUTTE, je pouvais bien monter du théâtre.)
A ce moment-là, tout le monde me disait : « tu ne vas pas jouer et mettre en scène ». Pourtant pendant très longtemps, le théâtre a fonctionné de cette manière-là. Et moi, je voulais faire les deux comme Louis JOUVET ou Jean VILAR. Si je ne faisais que la mise en scène j’étais frustré. J’aurais dû le faire dès le début mais je n’avais pas la force.
J’ai commencé à faire des mises en scène et celles-ci ont été appréciées du public ou des médias alors je me suis dit :  » je fais ce que j’ai à faire !  » Il faut faire ce que l’on a à faire.
Aujourd’hui, je fais le théâtre qui me plaît, qui me faisait rêver quand j’étais enfant : un mélange de grotesque, de poésie, d’extravagance et de chic. Je pense que je ne pourrais pas faire un Théâtre sérieux dans le sens où il se prendrait au sérieux. J’aime que les choses soient folles, soient violentes, soient grotesques, ou décalées.

Comment vous êtes-vous structuré pour monter vos spectacles ?
Des gens m’ont provoqué. Pour l’opéra, Olivier DEBODRE me l’a demandé, Michel VUILLERMOZ m’a proposé de travailler avec lui sur une pièce de David MAMET pour le Théâtre du Rond-Point, Fleur de Cactus c’est une idée de Catherine FROT, Maison de Poupée c’était pour Audrey TAUTOU, GUITRY pour Julie DEPARDIEU, etc.
Je me suis occupé de la production. Je connaissais un peu le milieu, j’ai rencontré Frédéric FRANCK qui était quelqu’un de très cultivé, qui connaissait les acteurs. Il nous a aidé.
Au tout début, j’ai essayé de monter une compagnie mais ça m’a désespéré : les dossiers de subvention, les rendez-vous avec la DRAC, etc. Je voulais monter un Feydeau, et on m’a tellement découragé que je ne l’ai pas fait. C’était un travail de Titan.

Quelle image vous avez du Théâtre ?

Le théâtre parle de l’humain de façon poétique ou sublimée que ce soit sous forme de Tragédie ou de Vaudeville. Pour moi le théâtre doit décoller de la réalité. J’aime l’opéra pour cela. Il parle de nous d’une manière surdimensionnée. J’ai du mal avec la réalité, avec les codes de la société.
Je fais du théâtre pour me décoller du sol.

Est-ce important que le Théâtre soit un Art ?
C’est drôle parce qu’il n’y a pas longtemps, les gens du « show-business » m’ont dit : « Vous êtes un véritable artiste ! ».
J’essaie de faire un Théâtre d’Art.
Je ne fais pas du Théâtre par ambition, j’aurais pris les choses autrement… J’ai eu toutes les tentations pour le faire, pour faire un plan de carrière, calculer ou prendre le pouvoir mais je ne suis jamais rentré dans ce jeu-là. Ce n’est pas une question d’éthique. Je ne suis juste pas fait pour cela. Par conséquent, je pense, par défaut, que j’ai une démarche artistique.
J’ai refusé des projets très attrayants, où j’aurais pu gagner beaucoup d’argent. J’ai refusé de travailler avec des acteurs très chics et très reconnus parce qu’ils ne correspondaient pas à mon geste artistique.
Je ne peux pas travailler avec un acteur qui ne me fait pas rêver.

Comment définiriez-vous ce geste artistique ?
C’est quelque chose que je n’ai pas maîtrisé.
J’ai fait ce que j’avais à faire, enrichi de tout ce que j’étais, de toutes les expériences que j’avais eues, de toutes les lectures que j’avais faites. C’est peut-être un peu prétentieux, mais je le pense, je crois que j’ai inventé mon monde à moi.
J’ai l’impression de faire un Théâtre très classique et très conventionnel mais je me rends compte que ce n’est pas le cas. Dans Maison de Poupée par exemple, il y avait une scène que je pensais très classique et elle a déchaîné des passions parce que j’avais proposé quelque chose de très expressionniste.
Après j’ai peur d’être comme les metteurs en scène qui appliquent une recette, quoiqu’ils montent. Pour cette raison, j’essaie toujours de partir du texte et d’aller vers des textes différents pour ne pas refaire éternellement le même spectacle. Je crois que souvent le metteur en scène rabaisse le texte. Souvent une pièce de théâtre à la lecture parait géniale mais une fois montée, elle semble moins bien. Cela devrait être le contraire. Les metteurs en scène veulent donner leur vision de la pièce. Je pense qu’il faut partir du texte, même quand c’est BARILLET et GREDY, qui peut sembler un Théâtre plus léger. Je sais que pour le Misanthrope je me suis laissé guider par le texte. J’ai essayé de ne pas avoir d’aprioris sur la pièce. J’ai essayé de tout prendre au pied de la lettre.

Comment les choisissez-vous, ces textes ?
Je cherche, je suis curieux, je continue à lire, je n’ai pas de guide ou de piste, je lis des choses très différentes, très mélangées.
Enfant, j’avais envie de connaître tout le théâtre. Je n’avais pas d’aprioris, je lisais tout. Après j’ai eu des aprioris, comme on nous apprend à en avoir. Aujourd’hui, j’essaie de les casser.
Dans les textes, ce qui m’intéresse c’est la forme, l’écriture, la musique de l’écriture. J’aime également quand le texte dit quelque chose, sinon il m’ennuie.
Il y a beaucoup d’auteurs qui ne parlent de rien ou qui parlent du vide. Cela m’ennuie.

Que pensez-vous du milieu du Théâtre ?
J’ai mis du temps à m’imposer dans ce monde-là: le milieu du Théâtre. J’essaie de naviguer dans ce monde qui est complètement protéiforme. Je navigue d’un univers à l’autre et cela me plaît.
Je n’ai aucune conviction politique.
Je suis terrifié par le monde.
Je n’ai pas de solution.
Je ne suis pas mondain.
Je suis timide.
Je me sens un peu à part et un peu seul.
En revanche, ce qui m’énerve c’est les sectes. Le Théâtre est très sectaire.
Je pense que c’est bien de faire des choses différentes. Je crois que les acteurs ont envie de bouger les repères mais c’est dur, très dur. Je veux bouger ces lignes. Je ne le veux pas par provocation, mais juste parce que le monde est comme ça. Le monde ne ressemble pas uniquement à un film des frères DARDENNES, il ressemble aussi à un film de FELLINI

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