Ces articles sont écrits amoureusement et avec un regard qui se place comme au dessus des tempêtes. Il tape sur les valeurs sûres mais peu m'importe quand elles sont si bien comment dire... mises en bouche.
j'y suis déjà par la pensée par mon travail de modeste glaneuse, pour faciliter votre quête en ces temps de moissons sans queue ni tête.
L’heure des démons au Festival d’Avignon
Alexandre Demidoff
Ensorcellements en série ce week-end dans la Cité des Papes où, du Québécois Denis Marleau au Congolais Dieudonné Niangouna, des artistes convertissent leur part d’ombre en visions sidérantes
Souvent, à Avignon, le spectateur est sujet à des visions. Est-ce l’effort qui l’y dispose, cette fièvre de déambulation d’une chapelle à l’autre, en quête d’une parole, d’une image qui fasse perdre le nord, mette à nu notre condition, bouleverse notre perception de nous-même? Ce week-end, on aura vu des culs-de-jatte palabrer avec l’impassibilité de cardinaux disséquant une bulle papale; on aura entendu aussi un jeune poète africain impressionnant scander l’horreur d’une guerre qu’il porte en lui; on aura admiré encore l’acteur Denis Lavant se dédoubler dans Big Shoot, production du Théâtre de Vidy. Et à chaque fois, qu’il soit 11 heures ou 22 heures, une foule immense, avide d’entrer dans le jeu.
L’ensorcellement du festival, c’est le Québécois Denis Marleau qui en est l’artisan, avec sa mise en scène d’Une fête pour Boris, première pièce de l’Autrichien Thomas Bernhard (1931-1989). Ce texte ramasse des douleurs éparpillées, la maladie qui rôde autour de l’écrivain, le sentiment d’impuissance qui exaspère. A la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, l’actrice Christiane Pasquier (quel brio!) incarne, plantée dans un fauteuil blanc, une maîtresse de maison rutilante, quoique privée de ses jambes – un accident les lui a fauchées. Elle a perdu son mari dans le drame. Elle s’en est choisi un autre à l’hospice, aux pieds coupés lui aussi. Ce Boris (Guy Pion), qui apparaît à présent juché sur une chaise haute comme celle des arbitres à Wimbledon, n’a plus tout à fait sa tête. Qu’importe, son épouse veut fêter son anniversaire, tout l’asile est invité, dans une nuée de ballons.
La fête, alors, c’est d’abord celle du spectateur. Treize acteurs avancent sur un plateau à roulettes, visages embrumés par l’âge, bustes dépassant d’une caisse sarcophage. Ils ont l’œil qui chavire, une fatigue dans la paupière, l’ennui qui fait chavirer la lèvre. Ils racontent des histoires de grabataire, les lits trop courts que leur inflige la direction de l’hôpital. Thomas Bernhard mord. Johanna, la gouvernante (Sébastien Dodge), les filme en direct. A l’écran, on scrute leurs figures de spectres alertes comme jadis les dignitaires du Kremlin. Ces interprètes ont une plastique qui nous ressemble: ce sont des marionnettes, animées en direct via un ordinateur. On ne se lasse pas de les observer, de traquer leur humanité et par ricochet la part de mort que nous portons. Denis Marleau nous renvoie à nos zones fossilisées, à nos mécaniques de pantin. Rien de sinistre, pourtant. Il y a là comme une joie, celle de l’artifice roi, qui stupéfie, alerte l’intelligence, surtout.
L’art comme lampe-tempête quand tout chavire. Samedi soir, le public s’étire en file – une centaine de mètres – devant l’entrée du Cloître des Célestins. Autour, les terrasses déversent leurs floraisons estivales, débardeurs, décolletés. Bientôt, on ne les entendra plus. Dans la cour des Célestins, entre deux arbres efflanqués aux bras très haut perchés, deux dos se recueillent sous une voûte de pierre. D’un côté, l’accordéoniste Pascal Contet, dont les soufflets ont séduit Pierre Boulez; de l’autre l’acteur et auteur congolais Dieudonné Niangouna, stature de funambule. Deux souffles pour un enfer qui remonte en syncopes, traversée d’une histoire en miettes, où les charognards prolifèrent. Dieudonné Niangouna ne se souvient pas, ou alors trop bien. Il veut remonter ce fleuve non pas en témoin, mais en rhapsode. Il veut se souvenir non pas en historien, mais en fils aux multiples pères, Aimé Césaire, Senghor, Franz Fanon, ses maîtres à rythmer le requiem.
Que voit-on dans ces Inepties volantes? Rien d’abord, puis une éclaboussure de lumière, des néons serrés, dressés au milieu de la cour, qui font leur office. Ce qu’on voit, c’est ce qu’on entend: le vent dans les rues de Brazzaville, tel que Pascal Contet l’improvise, le fleuve qui promène ses morts, tel que Dieudonné Niangouna le décrit. Le désastre, il le dit en saccades, dans une précipitation calculée, parce qu’il ne faut pas s’attarder, parce que ses images sont des balles qui restent fichées dans les mémoires. Ainsi, ces «bites» qui se dressent dans l’ombre: des canons de chars d’assaut qu’il a failli confondre avec une baguette de pain. Ainsi, l’urine qui coule en rivière, quand le corps est trop lesté. Ainsi encore, un ancien qui meurt au bord de nulle part, guetté par des carnassiers célestes. A un moment, Dieudonné Niangouna se met à compter les carcasses: fesses collées à une chaise, il s’emporte, des mains, du buste, de la tête, et sa parole est alors salut à tombeau ouvert à ceux qui s’en vont. Le cauchemar ici est poème, c’est-à-dire scansion, autrement dit possibilité de survie.
Le théâtre est souvent une arène où des artistes affrontent leurs démons. Ou disons plutôt qu’ils sont leurs démons, mais avec un temps d’avance – c’est là que l’art commence. Au Théâtre du Chêne noir, dans ce qu’on appelle le festival off – 400 à 500 spectacles jusqu’à fin juillet – Denis Lavant joue chaque matin à 11 heures Big Shoot de Koffi Kwahulé, à l’affiche à Vidy il y a peu. Seul en scène, imperméable à la Al Capone, il martyrise un certain Stan. Il fait l’envers et l’endroit, la crapule et le souffre-douleur. Il est sidérant dans cet exercice de dédoublement, sur la corniche constamment de ce texte-pieuvre, qui commence comme une anecdote de polar, prolifère en fantasmes de morgue, tourne en demande d’amour. Denis Lavant grogne, se transforme, danse en sorcier: son bazar fantastique nous échappe et nous possède.
Festival d’Avignon, jusqu’au 29 juillet, rens. 0033/490 14 14 14; www.festival-avignon.com
Une Fête pour Boris, Chartreuse
de Villeneuve lez Avignon, le 13
à 14h30 et 18h; le 14 à 18h; le 15
à 14h30.
Les Inepties volantes, Cloître des Célestins, les 13, 15, 16 et 17 à 22h.
Big Shoot, dans le cadre du festival off, Théâtre du Chêne noir, jusqu’au 29 juillet (www.chenenoir.fr).
Et puis dans le Off un spectacle dont j'ai beaucoup entendu parler en dehors des avis de presse qui tablent un peu trop toujours sur les mêmes
message de Face Book
Allez hop à... Avignon ! Si vous passez par le Festival Off, un détour OBLIGATOIRE au théâtre des Corps Saints à 18h30 ! Jusqu'au 31 juillet vous avez le temps de vous organiser !:) Besitos a todos.
18h30
Théâtre des corps saints
théâtre
Public adulte
Cie de l'Entourloupe
Comme d'habitude
Grégoire Biseau
Laissez vous troubler par une histoire d’amour composée uniquement
d’extraits de tubes de la chanson française… sans qu’ils ne soient jamais chantés!
Une nuit blanche, un air d’alcool, deux hommes, des mots, toujours des
mots, encore des mots… Gainsbourg, Chantal Goya, Souchon, France Gall,
Renaud, Miossec, Cali… et tant d’autres se donnent la réplique dans une fantaisie cruelle et pétillante.
« 40 ans de chansons françaises à contre-pied. Corrosif à souhait! Rien
que des paroles de chansons tubesques, coupées-collées, privées de
mélodie, recyclées...qui composent une déconcertante comédie dramatique,
de la naissance à la mort d'un couple » TELERAMA
du 8 au 31 juillet
durée : 1h05
tarif : 15€
tarif carte off : 11€
compagnie amateur
Interprète(s) : Grégoire Biseau, Matthieu Jeanningros
Metteur en scène : Vera Gardel
COMME D’HABITUDE a été jouée 2 mois au Guichet Montparnasse à Paris en 2007
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