lundi 14 décembre 2009
"Tatouages" d'Alfredo ARIAS
Si je vous dis Alfredo Arias c'est au théâtre ce qu'Almodovar est au cinema, c'est hâtif et raccourci de les associer car chacun est en détail un monde à lui seul...
Il faut absolument aller voir ses mises en scènes ses acteurs son sens de l'espace du jeu des lumières des costumes de la mise en abîme de l'étriqué c'est tout sauf le retour à la morale victorienne pétainiste... l'un est sud-américain l'autre est espagnol, Arias, c'était les pièces de Copi.
Sur "les Trois coups"
« Tatouage », d’Alfredo Arias (critique de Vincent Morch), Théâtre du Rond-Point à Paris
À l’encre indélébile
À travers trois nouveaux spectacles musicaux, Alfredo Arias met en scène le rêve à la fois fantaisiste et violent qu’est pour lui devenu son pays d’origine, l’Argentine. Dans « Tatouage », il retrace la vie mouvementée de Miguel de Molina (1908-1993), l’un des plus grands interprètes de la « copla * » espagnole, contraint par le régime de Franco de fuir son pays à cause de ses sympathies « rouges » et de son homosexualité. C’est l’occasion de découvrir des chansons magnifiques et des interprètes d’exception.
La vie de Miguel de Molina est de ces vies qu’on croirait sorties d’un roman. Élevé par six femmes, éduqué par des prêtres, il devient à l’adolescence « homme de ménage » dans un bordel. C’est dans ce lieu de plaisir qu’il prend pleinement conscience de son homosexualité et de ses talents de chanteur. Durant sa carrière, des périodes de gloire alternent avec des périodes très sombres provoquées par les persécutions du régime franquiste (il manquera en particulier d’être battu à mort). Eva Perón, la célèbre et controversée femme du dictateur argentin, lui accordera une protection inespérée alors qu’il végétait au Mexique.
C’est la rencontre de ces deux figures atypiques qui constitue le cœur de ce spectacle. Or, de manière assez étonnante, celle-ci est tardive et ne donne pas lieu à de véritables dialogues. La structure de la pièce se révèle plutôt binaire : la première partie est dédiée à l’histoire de « Miguelito » (l’interprète d’Eva, Sandra Guida, est présente sur scène mais ne dit pas un mot), tandis que dans la seconde c’est Eva qui tient presque entièrement la vedette. Mais cette construction en miroir dit beaucoup du secret de leur relation. Aussi différents qu’ils puissent apparaître, ils se reconnaissent comme semblables : l’un et l’autre luttent pour survivre, l’un et l’autre trouvent leur plus inexpugnable refuge sur le devant d’une scène. L’ironie fera qu’Eva mourra d’un cancer au moment au Miguel connaîtra ses triomphes les plus éclatants.
© « Tatouage »
Une distribution d’exception
Pour tenir ces rôles de bête de scène, il fallait une distribution d’exception. Alfredo Arias a eu l’excellente idée de faire jouer le rôle de Miguel par trois acteurs de trois âges différents, maquillés et habillés de manière identique : lui-même, Carlos Casella et Marcos Montes. Outre les effets de miroir et les échos dialogiques que ce procédé rend possibles, il permet également d’utiliser à chaque scène l’acteur qui aura le maximum d’impact. Ainsi, s’il chante très peu, Alfredo Arias excelle à manier l’ironie crue et désabusée de son texte. Il se dégage de son jeu de clown maniéré quelque chose de profondément triste. Si le rire jaillit, il est souvent sarcastique et grinçant. Marcos Montes est l’alter ego d’Alfredo Arias : il endosse à part à peu près égale le rôle du narrateur. Sa voix est très belle et d’une technique irréprochable. Leurs gestes et leurs déplacements, à l’un et à l’autre, sont réglés comme du papier à musique, effectués au millimètre près… engendrant la conscience très nette de leur artificialité. Mais ce qui aurait pu, dans un autre contexte, apparaître comme un défaut a paru plutôt justifié dans ce cas : le music-hall n’est-il pas, justement, l’un des hauts lieux de l’artificialité ?
Si, donc, Marcos Montes est très bon, comment qualifier les prestations de Carlos Casella, Sandra Guida et Alejandra Radano ? La sélection musicale, effectuée à partir des répertoires de Miguel de Molina, du music-hall américain et de… David Bowie, comporte des morceaux réellement difficiles. Ils sont chantés de manière exceptionnelle. Outre des techniques vocales sans reproche, leur permettant une agilité dans tous les registres, des plus graves aux plus aigus, ces trois derniers font la démonstration d’un immense talent d’interprétation. Entièrement au service de la musique, ils vibrent tout entiers à chaque mot, à chaque note, y insufflant toute la gamme possible des sentiments humains : colère, mélancolie, désespoir, nostalgie, espérance, amour.
Hymne à la vie, dans ses plus dures épreuves et ses apothéoses, à la lutte, à la scène – à toute scène –, Tatouage me remplit d’enthousiasme. J’en ressors enivré de musique, titubant presque à chantonner dans la nuit. Du grand art. ¶
Vincent Morch
Les Trois Coups
* La copla désigne une musique populaire du folklore espagnol, qui s’est répandu également en Amérique latine. Elle se distingue par une structure flexible de chants chantés composés de rimes ou en strophes A-B-C-B. Les niveaux de langue peuvent évoquer des tournures familières, voire comiques, ou encore les thèmes de l’amour et de la condition humaine.
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