dimanche 30 mai 2010

Encore et Toujours Tchekhov mis en scène par Alain Françon au Français (2 très bonnes critiques).

 Vous ne savez pas bien encore qu'avec le théâtre on a presque les mêmes regrets qu'avec la vie. Il ne faut pas se moquer des gens qui ont des regrets. Je ne suis pas allée voir la Cerisaie à la Colline montée par Alain Françon, des désaccords, des oublis, des malentendus avec des amis sur qui ? sur comment ? et puis ce fut trop tard. J'ai appris bien-sûr que les amis en question y étaient allés sans m'avertir. Et je n'ai pas vu la Cerisaie avec Jean-Paul Roussillon que j'aimais vraiment beaucoup et qui est mort peu de temps après.

Cette fois, c'est à la Comédie Française avec Florence Viala (à la voix délicatement prenante) qui fut mon professeur pour un stage sur Tchekhov et Hugo, et moi ne pouvant pas tout faire, toujours assez lente, il me faut le temps de la maturation, j'ai été choisie pour Hugo dans Marie Tudor.
Alors donc quitte à faire la queue pour attrapper au vol une des places qui sont libérées juste une heure avant la représentation je ne raterais sous aucun prétexte  :
Les trois sœurs



mercredi 26 mai 2010 sur Allegro Théâtre
Les trois sœurs de Tchekhov par JOSHKA SCHIDLOW

Alain Françon voue à Tchekhov une véritable dévotion et avait monté lorsqu'il dirigeait le Théâtre de la Colline plusieurs de ses chefs d'oeuvre patrimoniaux. Mais il ne s'était jusqu'à présent jamais affronté aux Trois soeurs au climat si vibrant que l'émotion rejaillit chaque fois qu'on la redécouvre. Metteur en scène d'immense réputation il a pu, contrairement à ses confrères engagés dans l'illustre maison, choisir lui-même ses comédiens qui tous font corps avec leurs personnages.

Pas étonnant donc que cette distribution apparaisse si cohérente. Ainsi les trois soeurs qu'interprètent Florence Viala (à la voix délicatement prenante), Elsa Lepoivre (qui comme Hedda Gabler d'Ibsen semble en retrait des évènements et qu'obsède un vers qui exprime son profond désarroi) et Georgia Scalliet, une nouvelle venue aussi attachante que ses deux partenaires, entretiennent des liens, à l'évidence, indissolubles. Guillaume Galienne qui incarne d'une façon inédite leur frère Andreï fait une prestation mémorable d'un homme que son mariage avec une femme toute de mesquinerie et de calculs (Coralie Zahonero) fait basculer dans une spirale d'échecs.

Si tous sont au mieux de leur art, il faut néanmoins mettre en avant la prestation d'Eric Ruf à qui échoit le rôle de Saliony, personnage typiquement tchekhovien qui comme Platonov ou Ivanov va droit au désastre. Ses décharges d'agressivité masquent une foncière timidité qui le poussera à commettre l'irréparable.

Comme il l'avait déjà fait dans ses traitements antérieurs des pièces de l'immense dramaturge russe, Françon a tenu a reconstituer les décors de Stanislawski. Les contraintes de la Salle Richelieu ne lui ont toutefois pas permis de totalement les reproduire. Il n'en reste pas moins que la pièce apparaît, comme aux yeux des protagonistes, telle un songe vécu. Il n'est donc pas surprenant que les comédiens viennent saluer le public sous un déluge de vivats.

En alternance jusqu'au 16 juillet Comédie Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80



A la Comédie-Française, Les Trois sœurs dans l'accomplissement
Par Armelle Héliot le 27 mai 2010 sur Le grand théâtre du Monde

Salle Richelieu, où il avait il y a des années mis en scène La Cerisaie, Alain Françon signe un spectacle bouleversant interprété par des artistes très profonds et très unis. Une production dont on espère qu'elle demeurera très longtemps au répertoire.

Quelque chose saisit d'emblée dans cette nouvelle mise en scène d'une des plus grandes pièces d'Anton Tchekhov par Alain Françon. Ce quelque chose est un sentiment tressé de deux fils : celui que c'est cela, que l'on reconnaît un monde que l'on fréquente depuis toujours, immédiatement, au premier regard, dès la première note, le premier mot -le rideau se lève, dévoilant l'espace, le décor superbe de Jacques Gabel, lumières, personnages dans leurs costumes du temps, orée du siècle précédent, etc... ; et l'autre fil : que ces êtres que l'on connaît et dont on sait l'histoire (ici, évidemment, nous parlons du point de vue privilégié d'un spectateur professionnel qui a vu de nombreuses, très nombreuses mises en scène des Trois soeurs) sont là comme pour la première fois, que l'on ne les a jamais si bien devinés, et de si près si l'on ose dire...

Trois heures durant -pas tout à fait trois heures et compte tenu de l'entracte entre les deux premiers actes et les deux derniers- la troupe, au plus haut, dans la distribution idéale qu'a élaborée Alain Françon, à la fois dans l'unisson d'un projet artistique défendu de concert et dans la profondeur et l'originalité des "incarnations" de chacun, le chef d'oeuvre de Tchekhov se déploie devant nous, suspendant tout sentiment du temps, toute idée de "représentation". On est plongé dans la maison des Prosorov...dans la vie des trois filles du Général, mort il y a juste un an ce jour là, un 5 mai, jour de la fête de la petite dernière, Irina.

Ci-dessous, et on la publie en grand, elles sont belles et la photo de Christophe Raynaud de Lage, superbe, les trois soeurs : Elsa Lepoivre, Macha et Florence Viala, Olga, entourent Irina, Georgia Scalliet.



Il ne faut jamais oublier qu'Anton Tchekhov avait été blessé par les premières impressions : il pensait avoir écrit une comédie, sinon un vaudeville.... Stanislavski le raconte, il fut chagriné et dut se résoudre à accepter ce qu'il y a de déchirant dans cette oeuvre de 1901 qu'il nomma finalement "drame".  La pièce fut créée le 31 janvier 1901 au Théâtre d'Art de Moscou.

Alain Françon, qui connaît intimement Tchekhov et a toujours signé des mises en scène remarquables, centre ce travail sur l'extraodinaire acte III, celui de l'incendie. Un incendie dont évidemment on ne voit rien, que l'on saisit alors qu'il est maîtrisé et que les trois soeurs se retrouvent dans la maison, s'employant à aider les victimes, dans une des chambres de cette demeure du père où elles ne sont plus vraiment chez elle depuis que l'épouse de leur frère a décidé de tout régenter, pour compenser ce qu'elle comprend bien, une certaine infériorité par rapport à ces trois   femmes lettrées et qui travaillent pour gagner leur vie. Tchekhov fait de cet événement extérieur quelque chose qui dit bien la disparition, l'effacement...Il est rare qu'un tel événement soit présent dans l'action d'une pièce. Les rougeoiments de l'incendie, les fracas du brasier, sont au loin mais la cendre dont est recouvert Fédotik qui entre en dansant et en s'écriant : "j'ai brûlé ! j'ai brûlé ! nettoyé !" et il rit, on la voit. Il est comme "nettoyé" il le dit. Tout a brûlé, guitare, photos, lettres, il est l'apparition qui dit la fragilité, la disparition, le danger aussi sans doute, qui n'est pas que dans les mouvements du coeur, de la conscience.

Il faudrait du temps pour analyser la manière dont, ici, chaque comédien incarne avec une intelligence et une sensibilité fascinante son personnage. Le mouvement imprimé par Alain Françon est excellent, la place de la musique très pertinente : avec une violoniste, Florianne Bonami, présente entre les actes puis sur le plateau, les chansons, la manière dont siffle Macha et dont chantonne Tcheboutykine, tout est extrêmement bien  "orchestré".

Ne prenons ici, pour le moment, que les personnages de la maisonnée. Andreï, Guillaume Gallienne, très bon dans cette douloureuse composition, subtile dans sa manière d'être, jusque dans ses silences, sa femme Natalia la trop bavarde, Coraly Zahonero, époustouflante dans une partition où elle sait porter le caractère désagréable et mesquin de la jeune femme, et en même temps lui donner ses chances -celles que lui accorde Tchekhov. La vieille nounou est une jeune pensionnaire, Hélène Surgère, méconnaissable en babouchka, Anfissa digne et humiliée parfois par Natalia. Les soeurs sont magnifiques. Florence Vialla avec la finesse du trait qui lui est consubstancielle, donne à Olga sa volonté et sa vulnérabilité, c'est très beau. Macha, la sensuelle, mariée à un homme trop faible, Koulyguine -mais lui aussi, il n'est pas seulement insuffisant, il a des qualités profondes, c'est Gilles David qui le joue- c'est Elsa Lepoivre, éblouissante. Elle trouve là un rôle à sa mesure, d'intelligence, de sensibilité, de présence, de beauté, de constrastes. Une très grande, on le sait depuis longtemps.

Et puis il y a la petite dernière qui est aussi une des petites dernières des pensionnaires. Georgia Scalliet est une merveilleuse jeune comédienne qui débute au Français dans Irina. Elle possède une originalité de tout l'être. Une autorité, déjà, et une finesse, une justesse, un charme qui font venir les larmes aux yeux.

Alain Françon ne craint pas de conduire très loin les émotions, jusqu'aux crises de nerfs et aux cris qui donnent la chair de poule. Tout est maîtrisé par les interprètes. La douleur du coeur fait ployer le corps, déchire.

On revient très vite pour compléter ce compte-rendu en parlant des autres acteurs et du mouvement profond de la représentation. Il faut d'urgence voir ces Trois soeurs ici données dans la traduction  d'André Markowicz et Françoise Morvan. A suivre donc !

Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu'au 16 juillet. Durée : 3h entracte compris

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