Zouc par Zouc l'entretien par Hervé Guibert : extraits
La famille
"Ma mère me disait par exemple : "Tiens voilà un bon livre, il est très bien " et moi je hurlais : "Je veux pas le savoir, je veux découvrir toute seule." Je ne supportais pas qu'on me prévienne qu'un livre était intéressant.
J'avais l'impression que lire, écouter de la bonne musique était réservé à des gens précis. Je voulais voir la vie par mes yeux, aller moi-même dans la vie et voir moi-même d'abord. C'est pour ça que je me suis retrouvée à 16 ans complètement ignarde, toujours la plus vilaine et la plus bête.Mais je sentais le danger de s'imbiber d'idées qu'on n'a pas ressenties. Et j'avais un secret qu'on ne pouvait pas me prendre : je connaissais ce qu'il y avait derrière les apparences des gens."
Souvenir
Il fait toujours très chaud dans mon souvenir. Je suis assise contre un talus ou appuyée à une barrière, et tout ce que regarde me rend triste, et j'ai toujours une main qui caresse de l'herbe, pétrit du sable ou fait rouler des petits cailloux.
C'était un de mes plaisirs solitaire dans mon ennui de petite fille. Je croyais que la vie ça allait toujours être ça.
Le plaisir
Tout ce que je vis un évènement, un regard ou simplement la vue d'une femme dans un train qui mange un biscuit, je le reçois dans la peau, ça me remplit de bonheur, d'horreur ou de dégoût, ou je ne comprends rien et je me pose mille questions et immédiatement j'ai besoin de le partager. Dés que je comprends quelque chose du monde ou de mes cotradictions, j'ai besoin d'échanger.
Je refuse l'intimité, je déteste le privé. Pour moi, il n'y a pas les choses qu'on peut dire et celles qu'on ne peut pas dire. Dans l'ensemble de mes rapports je ne cache rien. Je ne veux pas savoir si c'est beau ou pas beau, bien ou mal. C'est ma façon de vivre. Je transmets mes évolutions. Je vois les rapports en forme de chaîne. En un mot je ne prends jamais mon plaisir seule sauf quand je me branle.
L'asile
Ma grande baffe, mon 1er vrai grand tournant, c'est l'asile de fous. J'avais 16 ans et demi.
(...)
J'étais enfouie dans mon coussin du matin au soir. J'étais trop fatiguée pour crier ou pleurer, mais je regardais une vieille institutrice d'école qui avait des escarres à côté de moi. Même quand elle donnait ses dents à l'infirmière le soir, elle conservait son rang social. Et puis il y avait une toute petite vieillegrand-mère de l'autre côté qui avait de l'artériosclérose. En regardant ces vieilles dames qui restaient aussi toute la journée au lit, un jour j'ai oublié mes propres problèmes.
(...)
Il n'y avait pas de jeune du tout. La plus jeune avait plus de 60 ans. L'autre, la petite grand-mère (qui avait de l'artériosclérose), j'en étais dingue. C'est la 1ère fois que je me suis rendu compte qu'on pouvait avoir envie de caresser même un corps très vieux.
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Elle avait une petite peau rosée complètement ridée. Je devais me retenir dans mon lit quand je voyais son petit derrière ridé sous sa chemisette de taffetas rose, je trouvais ça délicieux. Avant d'aboutir enfin dans son lit, elle ouvrait le tiroir de sa table de nuit. Elle avait une demi-plaque de chocolat Frigor qui devait avoir 12 ans, mais elle déplissait chaque soir le papier argenté pour regarder les quelques carrés qui lui restaient puis elle les remballait.
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Moi,j'allais l'embrasser plus que tendrement tous les soirs. Et elle me disait chaque matin : "Bonjour, Madame" avec une toute petite voix cristalline, comme une clochette. Un jour que je faisais semblant de dormir, elle est venue tout près de moi, elle m'a observée puis elle est retournée dans son lit. Une autre fois, le regard complètement angoissé, elle ma demandé : "Est-ce que devrais faire à manger pour tout ce monde ?."
Une autre fois elle m'a dit :" Oh ! ma pauvre petite, comme vous avez pleuré, pleuré, pleuré le jour où vous êtes arrivée. Je crois que je n'ai jamais entendu quelqu'un pleurer autant de ma vie." C'est tout ce qu'elle m'a dit.
(...)
Chez les femmes, il y avait une malade amoureuse de mon médecin, que j'adorais. Elle était maquillée tous les jours comme un super-spectacle, et je n'ai jamais vu quelqu'un qui avait autant de bijoux. C'était une bourgeoise. Elle l'attendait du matin au soir dans le couloir; Lui c'était un style vieux garçon, homosexuel inavoué. Cette femme était l'occasion de sa vie, il est passé à côté.
(...)
Dans la vie, tous les détraqués viennent près de moi, toujours, comme les déprimés. Ils viennent me raconter quelque chose, ils doivent sentir que je n'ai pas peur d'eux. Après l'asile, j'ai abordé le monde différemment. j'ai compris qu'il fallait savoir faire mal pour vraiment aider quelqu'un, et qu'il faut toujours dire ce qu'on ressent, surtout aux gens perdus.
J'ai une grande tendresse pour ceux qui réagissent même maladroitement, à cette société. Je ressens l'éducation bourgeoise comme un crépi de mensonge, comme un tissu de vulgarité plus ou moins bien masqué qui s'approprie la soit-disant bonne culture et qui nous rend finalement aveugles, non disponibles et complètement bouchés. Avec la méfiance on tue tout ce qui peut naître. Parfois j'ai l'impression d'être une herbe folle dans un champ. Et il y a toujours quelqu'un qui, sous prétexte de la bonne pensée, ou de sa vérité, essaye de me mettre un coup de sécateur.
Heureusement que j'ai de bonnes racines, elles sont nourries des gens que je côtoie, qui sont exceptionnels parce qu'ils sont vrais, et qu'ils parlent comme ils pensent et qu'ils ne sont pas lâches."
Je ne me vois pas
Il y a des gens qui me demandent : " Vous vous regardez dans un miroir pour faire des grimaces ?"
Chaque fois que je me regarde dans un miroir, je me regarde hébétée, je ne vois que la profondeur de mes yeux, mon visage reste immobile. Il ne bouge que lorsque je m'exprime.
Je me suis vue une ou 2 fois à la télévision, et j'ai été surprise : je voyais bien macoquille, mais je voyais surtout la personne que je "faisais". Ca me perturbe parce que je ne me vois pas, c'est évident.
Je ne sais pas très bien ou le ridicule commence ou pas, je ne me pose pas ce genre de problème.Quand je cause avec autrui, je suis l'autre je ne vois que l'autre.
C'esr pour ça que j'ai un problème avec la solitude : quand je suis seule j'ai tendance à aller de temps en temps devant le miroir pour voir qui est avec moi. L'hiver je vois tout un tas de monde et j'oublie mes problèmes, mais l'été quand je pars à la campagne pour me reposer et travailler, je me retrouve seule et il me faut du temps avant d'être bien avec moi. J'arrive à m'observer."
Les paysans
Quand j'étais petite, je passais mon temps chez les paysans. Je faisais tout ce que je ne faisais pas dans ma famille. Je trimais toute la journée pour avoir le cheval une heure par jour. Il s'appelait Mehdi, c'était une espèce de canapé roulant. Je n'ai qu'une sœur et dans cette famille de paysans, ils étaient douze gamins. Je trouvais formidable qu'il ait autant d'animaux et d'enfants dans une maison. Comme j'avais un problème évident de nourriture, ça me sécurisait. J'imaginais marier un paysan, parce qu'on amasse tout ce qu'est consommable durant la bonne saison, pour pouvoir donner de l'herbe aux vaches, et puis après l'hiver t'as du lait. Tu travailles tout l'été pour t'assurer l'hiver, tu alignes les pommes de terre, tu fais des confitures, tu vas au poulailler et tu attrapes une douzaine d’œufs aussi sec. Dans ma famille, on m'a toujours laissée manger à ma faim, mais chez les paysans on me disait : " Mange, mange !" Je faisais à peine le tour de ma tartine avec mes bras.
Puisque j'étais différente physiquement, je voulais ressembler aux autres. Quand mes copines avaient des soccoli (des sabots en bois qui font du bruit quand on marche), je voulais des soccoli. Je n'ai jamais voulu mettre mettre les beaux amis, je me trainais à l'écurie, rien ne me dégoûtait.Mais je savais que je ne pouvais entièrement pénétrer dans leur monde. Ma différence sociale me rejetait.
un blog qui reparle d'elle, très bien fait celui de Thea : "Zouc humoriste oubliée et mère courage," je leur ai volé la photo :
Merci de nous faire découvrir une grande artiste comme cette femme !
RépondreSupprimerThierry
juste et vraie, tellement touchante
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