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PUBLIÉ PAR JOSHKA SCHIDLOW À L'ADRESSE
JEUDI 29 SEPTEMBRE 2011
La pluie d'été de Marguerite Duras
http://www.comedie-francaise.fr/spectacle-comedie-francaise.php?spid=283&id=516
Le cas est assez rare pour être souligné. En 1984, Marguerite Duras signe un film, Les enfants, qui ne ressemble en rien à ses longs métrages précédents. Le personnage central, Ernesto, annonce à ses parents qu'il ne veut plus se rendre à l'école car on y apprend des choses qu'il ne sait pas. Dix ans plus tard elle écrit Pluie d'été dans lequel elle étoffe les personnages du film. Aujourd'hui Emmanuel Daumal tire de ce roman un spectacle de théâtre.
Le thème de l'étranger si cher à l'écrivaine née au bord du Mékong est ici constamment présent. La mère vient des Carpathes, le père de la plaine du Pö. Sans un sou, ils vivent à Vitry dans un bidonville, ont fait sept enfants et passent de nombreuses soirées à se bourrer la gueule. Leur fils aîné Ernesto , 12 ans, apparaît comme l'enfant sauvé des eaux de la littérature. L'ancien testament est constamment présent puisque le môme qui a rompu avec le système scolaire cite abondamment l'un des fils du roi David qui, après avoir fait de multiples incursions dans les domaines du savoir en arrive à la conclusion que tout se vaut. Ernesto n'en devient pas moins un esprit d'immense envergure. La preuve que le génie ne s'apprend pas...
Les personnages sont tous d'une singularité irréductible. La mère est tentée d'abandonner ses enfants mais a pour Ernesto une affection si grande qu'elle lui permet de comprendre ses mots aux oreilles des autres si énigmatiques. Le père a, lui, une préférence marquée pour Jeanne l'aînée de ses filles. Quant à Ernesto il se rend soudain compte qu'il aime sa soeur d'amour. Comme cette passion est réciproque, ils couchent avec le plus grand naturel ensemble. On se souvient à cet instant de la tendresse débordante de Duras pour l'un de ses deux frères.
Joué avec un entrain contagieux par Claude Mathieu (magistrale), Christian Gonon, Eric Genovèse, Marie -Sophie Ferdane et les jeunes et bigrement talentueux Jérémy Lopez et Adeline d'Hermy ce spectacle au cour duquel ne fleurissent que des situations saugrenues en dit aussi long sur la transformation si mal conçues des banlieues ouvrières.
Les écrits de Duras sont toujours montés et joués dans un climat respectueux sinon pompeux. Le metteur en scène donne au contraire de cette oeuvre qu'elle a fait jaillir d'elle à la fin de sa vie, une vision chaloupée. Ce qui déplaît à certains. Et met beaucoup d'autres en joie.
Jusqu'au 30 octobre Théâtre du Vieux -Colombier tel 01 44 39 87 00
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Judith Sibony
23 septembre 2011Roméo et Juliette obscènes en toute fidélité
C’est un des paradoxes de la célébrité : on croit tous connaître Roméo et Juliette par cœur, alors même qu’on n’a presque jamais l’occasion de voir cette pièce jouée au théâtre. C’est que l’on a tendance à confondre le drame shakespearien avec les nombreuses variantes qui lui ont succédé : les reprises du fameux ballet de Prokofiev, ou bien la récente comédie rock, ou encore, évidemment, le cliché tiré des deux prénoms légendaires, devenus synonymes d’un coup de foudre idéal quoique fatal. Or ce patrimoine finit par occulter l’essentiel : le texte de Shakespeare (1564-1616), rempli d’un humour truculent, de blagues sexuelles et, lâchons le mot, de grossièretés. Un texte, enfin, qui dissèque la question de l’infidélité au moins autant qu’il raconte une passion éternelle.
Obscénité et romantisme sont sans cesse mêlés, en effet, dans cette tragédie où deux enfants tout juste pubères (Juliette n’a pas encore quatorze ans) essaient de devenir un homme et une femme. Malgré la haine immémoriale qui oppose leurs deux familles, Roméo et Juliette tombent amoureux un soir de bal, et se marient aussitôt en secret, impatients qu’ils sont de consommer leur amour. Car le désir et le sexe sont les leitmotivs de cette pièce que Shakespeare écrivit dans sa jeunesse, et qui ne parle que de cela : la jeunesse. Dans la nouvelle traduction d’Olivier Py, certains ont eu l’impression que le metteur en scène inventait des scènes entières, parce qu’elles semblaient descendre trop bas sous la ceinture. C’est une erreur, et si Py s’est donné quelques libertés, elles ne relèvent que de glissements plutôt réussis Comme ce passage où les plaisanteries salaces de Mercutio (camarade de Roméo) mêlant nèfle ouverte et poire pointue (acte 2 scène 1) débouchent sur un gag un peu cuistre autour d’une poire à secouer : « shake the pear / Shakespeare », lance Mercutio avec un mouvement de hanches évocateur…
De ce texte, lu et traduit avec une attention portée au moindre détail, Py propose une mise en scène tout aussi minutieuse. Dans son spectacle, le drame déploie ses dimensions les plus diverses : le rire et l’angoisse se tiennent la main avec une virtuosité impressionnante, et l’histoire d’amour si célèbre apparaît pleine de simplicité prosaïque – et d’autant plus émouvante.
Cela tient à une série de détails, que Py met en valeur avec une trivialité apparente, et une finesse profonde. Mieux que dans les légendes et les traductions classiques, on prend ici la mesure du fait que Roméo (Matthieu Dessertine) était amoureux d’une autre avant son « coup de foudre » pour Juliette (Camille Cobbi). De même qu’on savoure le fait que celle-ci était aux bras d’un homme lorsqu’elle lui est apparue pour la première fois. Plus tard, quand les amoureux se découvrent leur flamme, Juliette se demande tout haut si ce n’est pas agir en fille facile que de se livrer comme son désir le lui dicte. « Tu me trouves légère ? » lance la comédienne avec une fraîcheur désarmante qui résume en trois mots mille choses sur l’innocence, le désir… et l’entrée fébrile dans l’âge adulte.
La fragilité de Roméo, elle, est soulignée plus lourdement : elle passe par les scènes où le jeune homme et ses amis rivalisent de mots d’esprit plus ou moins obscènes. Py va un peu trop loin, lorsqu’il transforme en mini-scène de backroom certaines allusions graveleuses du texte d’origine. Ceci dit, la scène est bel et bien centrée sur des histoires de « queue », de fouet et d’éperon… Et de fait, la question de la virilité est omniprésente chez le jeune Roméo, qui n’est pas encore tout à fait un homme. A cet égard, confier à Matthieu Dessertine le rôle de Roméo et celui de son propre père produit un effet bien intéressant : dans le rôle du père, le jeune comédien flotte, comme un Roméo pour qui des habits d’homme sont encore trop grands. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire que les « adultes » soient tellement plus adultes que les enfants, comme en témoigne l’infantilisme comique et effrayant du père de Juliette, personnage ici délicieusement caricatural dans son avidité au plaisir – Capulet ne pense en effet qu’à faire la fête, même devant le cadavre de sa fille.
La lumineuse mise en scène d’Olivier Py éclaire tout cela. Chaque déplacement de personnage fait l’objet d’une chorégraphie savamment pensée, et Juliette, qui règne sur la danse, évolue avec une grâce aussi innocente qu’ensorcelante. Ce travail sur les corps apporte un doux raffinement à la scénographie très graphique mais un peu froide : barres de néons en toile de fond, écran de plastique transparent en guise de rideau rouge, palmiers postiches pour tout décor… Heureusement, d’immenses panneaux noirs apportent une belle gravité à ce paysage bigarré : dans ce drame dont les héros sont des enfants, ces tableaux offrent aux comédiens l’occasion d’écrire à la craie, tels des écoliers sur une ardoise, des phrases savamment choisies.
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