J'ai perdu une amie qui était très malade, vous savez les maladies orphelines, on prie pour qu'elles ne nous attrapent pas...c'est à dire que cette amie depuis dix ans, perdit peu à peu toutes les fonctions musculaires, la parole, le manger, puis la motricité. Pour plusieurs raisons, je ne l'ai pas revue depuis 2014, la mienne de maladie, l'éloignement géographique et aussi qu'il y avait autour d'elle bien des amis, parents, neveux et que cela faisait beaucoup de monde déjà quand nous avions voulu y passer l'été 2018. Je prenais des nouvelles par texto quand elle y répondait et puis auprès de ses proches quand elle n'y répondit plus.
Cela me donne de la peine, car c'est avec elle que j'ai ri comme impossible avant elle, sans elle et après elle...car j'étais enfin moi-même dans sa maison, avec plein de gens intelligents tolérants et divers de tous âges de différents pays et de toutes conditions... cela ne se dit plus, mais je le préfère au mot catégorie sociale.
Elle habitait le sud près de Nîmes, une belle maison lumineuse de famille, mais pas prétentieuse, au milieu de la garrigue, jamais je n'oublierais quand je partais en train puis en car pour rejoindre son village d'Aiguebelle, elle était entourée mais accueillait qui venait pour autant de jours qu'on voulait, on vivait dehors. Chacun y mettait son grain dans la maison, au jardin, dans les livres, dans la cuisine, dans le hamac, au barbecue, pour faire les courses. Nous jouions à la pétanque, au dictionnaire, au jeu des ambassadeurs : une pièce, un film ou un livre. Les petits déjeuners, les déjeuners, les dîners éclairés dehors duraient des heures, on se racontait nos amours, nos amitiés, nos haines, nos rivalités nos engouements, nos attirances, nos expériences sexuelles, des mots nous échappaient et nous riions, et aussi mais c'était moins intéressant, nos films, nos livres, nos pièces de théâtre et nos divergences. Nous lisions ainsi la presse parlions philosophie pratique, politique, comme aussi des dessous de la vie des vedettes, rois, reines, princes, les rivalités entre les hommes et les femmes de pouvoir, les artistes, ceux qui étaient gays ou pas... Nous regardions les matchs, le tour de france, car les sportifs surtout les rugbymen sont fort beaux... Tout y était, comme sur la table basse dans la salle d'attente chez le médecin.
Elle nous faisait de la cuisine, avec des épices pour les viandes, les ratatouilles mijotaient des heures... le rosé coulait à flots.
Je l'ai rencontrée un soir après avoir joué la Vierge folle dans une pièce co-écrite et mise en scène par Stéphane Auvray-Nauroy : Il est trop tard, et ensuite nous avons tissé des liens étroits à "120 battements par minute", car c'était une des nombreux amis, de celui qui jouait le fils(dont j'etais amoureuse dans la pièce) :Bruno Colomb et qui devait mourrir dans la vraie vie du Sida un an après. Pour Bruno tous ses amis, les anciens, les nouveaux se retrouvaient autour de lui, j'en ai déjà parlé ici, il m'avait demandé de faire la lecture des Mille et une Nuits. Il préférait être assisté de ses amis, de ses frères que par ses parents et tous le comprenant avions établi un planning, nous relayant pour qu'il ne passe pas les nuits seul, ni ses jours seul.
"ce jour là, ne fut pas le pire, car chaque mort est pire que les autres pour ceux qui la pleurent..." écrit si justement Francesca Melandri dans Eva dort, le jour de la fin d'Aldo Moro retrouvé mort, son cadavre recroquevillé dans le coffre d'une voiture le 9 mai 1978.
Nous ne sommes pas allés à son enterrement, trop loin dans le temps, l'espace vide est trop grand où nous ne sommes pas revues, j'ai fait envoyer des fleurs, pourvu qu'elles aient été reçues, on est toujours inquiet quand on envoie des fleurs...
Jacqueline avait fait partie de l'organisation d'un festival de cinéma à La Rochelle, elle avait connu par un de ses amours proches : Christian, en famille avec Jean-François Stévenin : Gérard Depardieu à ses tous débuts, elle ne l'a jamais revu bien-sûr, une telle carrière a ses drames et aussi ses cataclysmes amicaux, du passé on fait table rase sans même s'en apercevoir. J'ai vu avant-hier pour elle aussi en quelque sorte, pour étancher ma peine, au cinéma : Thalasso, et je me dis qu'elle aurait aimé le passage où Houellebecq nous persuade en larmes qu'il retrouvera, après sa mort, la sensation de sa grand-mère le caressant. Elle, Jacqueline, a tellement caressé d'âmes endolories comme sur un cargo au long cours, qui n'en finirait jamais de recueillir des rescapés. Elle aimait les voyages, les marins, l'Afrique, et les labradors, mais mes chats y furent toujours bien accueillis. L'amitié restait vivace, même après l'amour pour elle...
tous les corps des autres...
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