Au Mk2 Nation la salle est petite mais elle était comble et attentive…..
« Comme une actrice » : l’histoire romanesque et fantastique d’une femme aux identités multiples
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/08/comme-une-actrice-l-histoire-romanesque-et-fantastique-d-une-femme-aux-identites-multiples_6164645_3246.html
Les premiers longs-métrages produisent parfois de petits miracles de films au souffle romanesque et fantastique, rendant le plus bel hommage aux métiers du cinéma. Un tel alignement des planètes – à l’image de Jupiter et Vénus aperçus il y a quelques nuits dans le ciel, comme deux diamants brillant plus fort que les autres étoiles – ne se produit pas si souvent : on pourrait citer Vif-Argent (2019), de Stéphane Batut, dans lequel le héros (Thimotée Robart) devenait un homme invisible, rendant visite et faisant l’amour comme dans un rêve à l’être aimé (Judith Chemla).
Comme Stéphane Batut, né en 1968 et directeur de casting, Sébastien Bailly, âgé de 47 ans, a longtemps attendu avant de réaliser son premier « long ». Connu dans le milieu cinéphile pour avoir créé, en 2004, avec Katell Quillévéré, le festival du moyen-métrage de Brive-la-Gaillarde (Corrèze), Sébastien Bailly est aussi l’auteur de trois courts-métrages sortis en salle et réunis sous le titre Féminin plurielles (2018). Politique et sensible, son regard lui a permis de s’intéresser, bien avant l’essor du mouvement #metoo, aux prédateurs sexuels – une infirmière (Lise Bellynck) agressée par un interne dans Douce (2011) – avant d’aborder sous un angle inédit la question du port du voile – à travers l’histoire de l’art et les représentations du corps dans Où je mets ma pudeur (2013), avec Hafsia Herzi.
Réflexion sur le jeu
Avoir mille vies, c’est la chance de tout acteur enchaînant les rôles. Le premier plan de Comme une actrice montre Anna dans sa loge, quelques instants avant de tourner une scène. Dans le miroir, l’actrice scrute son visage et sa blondeur, tandis qu’une maquilleuse et une coiffeuse – deux métiers invisibilisés et injustement oubliés des Césars – finissent de la transformer en brune fatale.
C’est en partant de cette réflexion sur le jeu que Sébastien Bailly a coécrit le scénario avec Zoé Galeron : Anna et Antoine (Benjamin Biolay), metteur en scène en vogue, sont en couple depuis leurs 20 ans. Ils ont tout découvert ensemble, l’amour, les premiers succès artistiques… Mais le temps a passé, le couple fatigue et se sépare.
Plutôt que d’en faire un drame, le réalisateur mêle gravité et légèreté, comme dans une comédie de Woody Allen. Comme une actrice adresse d’ailleurs un clin d’œil à l’un des films-cultes du cinéaste américain, Alice (1990), avec Mia Farrow dans le rôle d’une New-Yorkaise atteinte d’un mal de dos, s’en allant chercher une potion magique chez un chiropracteur de Chinatown… A Paris, Anna se rend dans une arrière-boutique chinoise, où une femme lui tend d’autorité un flacon : « Trois gouttes, pas plus ! », ordonne-t-elle. Mais Anna va abuser de l’élixir. Il lui suffit d’observer une femme pour que, aussitôt, elle réussisse à emprunter l’apparence de celle-ci. Au gré de ses rencontres, Anna va vivre des aventures sexuelles sous différentes identités.
Julie Gayet trouve ici son plus beau rôle, celui d’une usurpatrice, puissante et fragile à la fois. L’une des idées fortes du film est d’ouvrir l’éventail des possibles et d’installer le désir au cœur du sujet, peu importe l’âge : apparaissent ainsi à l’écran des femmes de toutes générations (incarnées par Maïlys Favraud, Jenny Arasse, Agathe Crépin, Lise Bellynck…).
Surtout, Anna va suivre à la trace son ex-compagnon en se présentant sous les traits d’une critique de théâtre fort séduisante, prénommée Delphine, interprétée par Agathe Bonitzer, dont il faut saluer le travail. Derrière sa troublante rousseur, la comédienne laisse affleurer le tempérament plus classique d’Anna. Ce faisant, le film affronte de plain-pied le réel de notre époque : comme souvent, le quinquagénaire tombe sous le charme d’une trentenaire.
Sans jamais se prendre au sérieux – détail amusant, Anna possède on ne sait comment les téléphones portables des femmes dont elle usurpe l’identité –, Comme une actrice produit son effet vertigineux, installant un véritable suspense au fur et à mesure qu’Anna s’abîme, à tous les sens du terme, dans son petit jeu.
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