Une soirée un dîner lecture qu’on aurait voulu qui ne finisse jamais. J’avais relu pour cela l’insoutenable légèreté de l’être avec Pascal : « einmal ist keinmal »
Je suis de plus en plus persuadée que cela peut être contagieux pour lire et faire lire et parler d’autres choses et par contagion bienheureuse attraper quelques jeunes et leur donner ce désir de communiquer : désir de rester vivants et de partager. À tous les âges.
….hier nous avons lu avec plusieurs personnes -certaines que l’on rencontrait pour la première fois- des extraits de morceaux choisis le thème c’était sur la mascarade les masques, le plus jeune d’entres nous, il a lu un texte sur le masque, tres vivant accessible et touchant; sa mère sur le jeu de l’amour et du hasard avec comme stratagème 3 petites peluches pour jouer tous les rôles, Philipp d’Ecosse nous a conté l’apparition étrange d’un fantôme qui a changé sa vie, sa compagne la lumière au travers des vitraux de Soulages et un texte de Christian Bobin sur Conques ; notre ami compagnon et Papa du jeune homme au masque et avec son épouse organisateurs de la soirée et cuisiniers du poisson du cake aux petits pois etc…c’était bon… il nous a transporté par Soljenitsine l’archipel du goulag : comment rester humain en prison en camp parler parler (En 2007, il reçoit le prix d'État russe des mains de Vladimir Poutine et meurt en 2008) Patrick et sa compagne, nous ont lu une page d’un blog qui réalisait que le choix dans la vie était soit : avoir raison ou être heureux et combien cette dystrophie humaine pouvait être douloureuse non seulement pour la personne elle-même mais pour ses proches,
et Patirick nous a lu son extrait d’un autre Patrick, Modiano et nous étions partis partants pour Voyage de noces…et Emmanuelle sa femme nous a aussi parlé des dictionnaires que personne dans nos milieux notre époque connectée ne consolent, ne consultent plus, en nous lisant quelques définitions du dictionnaire supperflu de Desproges.
Milan Kundera l’insoutenable légèreté de l’être j’avais je nous avais choisi ce texte pour écho à cette légende du mensonge et de la vérité qui vont se baigner et pour cela se déshabillent . Le mensonge nage vite et sort et se rhabille avec les habits de la vérité et lorsque nue la vérité cherche à se rhabiller à son tour, elle ne peut prendre les vêtements du mensonge et c’est pour cela qu’elle resta nue….
La légende sur le mensonge et la vérité
« La légende raconte qu’un jour la vérité et le mensonge se croisèrent.
– Bonjour, dit le mensonge.
– Bonjour, répondit la vérité.
– Belle journée, dit le mensonge.
Alors la vérité se pencha pour vérifier si c’était le cas. Cela l’était.
– Belle journée, répondit alors la vérité.
– Le lac est encore plus beau, dit le mensonge.
Alors la vérité observa le lac et vit que le mensonge disait la vérité et elle hocha la tête. Le mensonge courut vers l’eau et dit :
– L’eau est encore plus belle. Nageons.
La vérité toucha l’eau du bout des doigts et se rendit compte du fait que l’eau était réellement bonne et à partir de là, elle eut confiance en le mensonge. Les deux enlevèrent leurs vêtements et nagèrent tranquillement. Quelques temps après, le mensonge sortit, s’habilla avec les vêtements de la vérité et s’en alla.
La vérité, incapable de s’habiller avec les vêtements du mensonge commença à marcher sans habits et tout le monde s’horrifia alors en la voyant. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les individus préfèrent accepter le mensonge déguisé en vérité à la vérité à nue. »
Tableau de Jean-Léon Gérôme intitulé "La vérité sort de son puits" (1896)
Première partie La légèreté et la pesanteur :
« Il y a bien des années que je pense à Tomas. Mais c'est a la lumière de ces réflexions que je l'ai vu clairement pour la première fois. Je le vois, debout à une fenêtre de son appartement, les yeux fixés de l'autre côté de la cour sur le mur de l'immeuble d'en face, et il ne sait pas ce qu'il doit faire.
Il avait fait connaissance avec Tereza environ trois semaines plus tôt dans une petite ville de Bohême. Ils avaient passé une heure à peine ensemble. Elle l'avait accompagné à la gare et elle avait attendu avec lui jusqu'au moment où il était monté dans le train. Une dizaine de jours plus tard, elle vint le voir à Prague. Ils firent tout de suite l'amour ce jour-là. Dans la nuit, elle eut un accès de fièvre et elle passa chez lui toute une semaine avec la grippe.
Il éprouva alors un inexplicable amour pour cette fille qu'il connaissait à peine. Il lui semblait que c'était un enfant qu'on avait déposé dans une corbeille enduite de poix et lâché sur les eaux d'un fleuve pour qu'il le recueille sur la berge de son lit.
Elle resta chez lui une semaine puis, une fois rétablie, elle retourna dans la ville où elle habitait, à deux cents kilomètres de Prague. Et c'est ici que se situe le moment dont je viens de parler et où je vois la clé de la vie de Tomas : il est debout à la fenêtre, les yeux fixés de l'autre côté de la cour sur le mur de l'immeuble d'en face, et il réfléchit :
Faut-il lui proposer de venir s'installer à Prague? Cette responsabilité l'effraie. Qu'il l'invite chez lui maintenant, elle viendra le rejoindre pour lui offrir toute sa vie.
Ou bien, faut-il renoncer? Dans ce cas, Tereza restera
serveuse de brasserie dans un trou de province, et il ne la reverra jamais.
Veut-il qu'elle le rejoigne, oui ou non ?
Il regarde dans la cour, les yeux fixés sur le mur d'en face, et cherche une réponse.
il revient, encore posiours, à l'image de cette femme couchée sur son divan; elle ne lui rappelait personne de sa vie d'autrefois. Ce n'était ni une maîtresse ni une épouse.
C'était un enfant qu'il avait sorti d'une corbeille enduite de
poix et qu'il avait posé sur la berge de son lit. Elle s'était endormie. Il s'agenouilla près d'elle. Son haleine fiévreuse s'accélérait et il entendit un faible gémissement. Il pressa son visage contre le sien et lui chuchota des mots rassurants dans son sommeil. Au bout d'un instant, il lui sembla que sa respiration se faisait plus calme et que son visage se soulevait machinalement vers son visage. Il sentait à ses lèvres l'odeur un peu âcre de la fièvre et il l'aspirait comme s'il avait voulu s'imprégner de l'intimité de son corps. Alors, il imagina qu'elle était chez lui depuis de longues années et qu'elle était mourante. Soudain, il lui parut évident qu'il ne survivrait pas à sa mort. Il s'allongerait à côté d'elle pour mourir avec elle. Il enfouit son visage contre le sien dans l'oreiller et resta longtemps ainsi.
A présent, il est debout à la fenêtre et il invoque cet instant. Qu'était-ce, sinon l'amour, qui était ainsi venu se faire connaître ?
Mais était-ce l'amour? Il s'était persuadé qu'il voulait mourir à côté d'elle, et ce sentiment était manifestement excessif : il la voyait alors pour la deuxième fois de sa vie!
N'était-ce pas plutôt la réaction hystérique d'un homme qui, comprenant en son for intérieur son inaptitude à l'amour, commençait à se jouer à lui-même la comédie de l'amour?
En même temps, son subconscient était si lâche qu'il choisissait pour sa comédie cette pitoyable serveuse de province qui n'avait pratiquement aucune chance d'entrer dans sa vie !
Il regardait les murs sales de la cour et comprenait qu'il ne savait pas si c'était de l'hystérie ou de l'amour.
Et, dans cette situation où un homme vrai aurait su immédiatement agir, il se reprochait d'hésiter et de priver ainsi le plus bel instant de sa vie (il est à genoux au chevet de la jeune femme, persuadé de ne pouvoir survivre à sa mort) de toute signification.
Il s'accablait de reproches, mais il finit par se dire que c'était au fond bien normal qu'il ne sût pas ce qu'il voulait :
On ne peut jamais savoir ce qu'il faut vouloir car on n'a qu'une vie et on ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures.
Vaut-il mieux être avec Tereza ou rester seul ?
Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n'existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même? C'est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même « esquisse » n'est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l'ébauche de quelque chose, la préparation d'un tableau, tandis que l'esquisse qu'est notre vie n'est l'esquisse de rien, une ébauche sans tableau.
Tomas se répète le proverbe allemand: einmal ist keinmal, une fois ne compte pas, une fois c'est jamais. Ne pouvoir vivre qu'une vie, c'est comme ne pas vivre du tout. »
* L’enfant trouvé mythe Moïse.
Pour revenir à notre soirée dîner lecture….episode…
épistolaire eh oui je n’écris que sur les réseaux mais c’est aussi un partage pour rester vivante….
….J’avais choisi de l’insoutenable légèreté de l’être le passage avec la chienne de Tomas et Teresa : Karenine en rapport avec le thème masques et mascarade
Car chez nos amis ça manque un peu d’animaux… quand j’étais enfant j’aimais déjà tant les animaux que j’aimais aller chez les adultes qui avaient des chiens ou des chats oiseaux ou même poissons parce que la conversation ne s’arrêtait pas qu’à eux
Maintenant adulte grande je penche pour tous les plaisirs… la reconnaissance et l’aller retour vers d’autres mondes.
Quatrième partie
l’âme et le corps
« Tereza rentra vers une heure et demie du matin, alla à la salle de bairs, enfila, un pyjama et s'allongea à côte de Tomas. Il dormait. Penchée sur son visage, au moment d'y
poser les lèvres, elle trouva a ses cheveux une odeur bizarre.. longuement, elle y plongea les narines. Elle le reniflait comme un chien et finit par comprendre : c'était une odeur féminine, l'odeur d'un sexe.
A six heures, le réveil sonna. C'était le moment de Karénine. Il se réveillait toujours bien avant eux, mais n'osait pas les déranger. Il attendait impatiemment la sonnerie du réveil qui lui donnait le droit de bondir sur le lit, de piétiner leurs corps et d'y enfouir son museau. Au début, ils avaient essayé de l'en empêcher et de le chasser du lit, mais le chien était plus têtu que ses maîtres et avait fini par imposer ses droits. D'ailleurs, Tereza constatait depuis quelque temps qu'il n'était pas désagréable de commencer la journée à l'appel de Karénine. Pour lui, l'instant du réveil était un bonheur sans mélange : il s'étonnait naïvement et bêtement d'être encore de ce monde et s'en réjouissait sincèrement. En revanche, Tereza s'éveillait à contrecœur, avec le désir de prolonger la nuit et de ne pas rouvrir les yeux.
Maintenant, Karénine attendait dans l'entrée, les yeux levés vers le portemanteau où étaient accrochés son collier et sa laisse. Tereza lui passa son collier et ils allèrent faire les courses. Elle acheta du lait, du pain, du beurre et, comme toujours, un croissant pour lui. Sur le chemin du retour, Karénine trottait à côté d'elle, le croissant dans sa gueule. Il regardait fièrement autour de lui, ravi sans doute de se faire remarquer et d'être montré du doigt.
A la maison, il resta à l'affüt sur le seuil de la chambre avec le croissant dans la gueule, attendant que Tomas s'aperçoive de sa présence, s'accroupisse, commence a gronder et feigne de le lui arracher. Cette scène se répétait jour après jour. Ils passaient cinq bonnes minutes à se poursuivre à travers l'appartement jusqu'à ce que Karénine se réfugie sous la table et dévore bien vite son croissant.
Mais cette fois-là il attendit en vain la cérémonie matinale. Un transistor était posé sur la table et Tomas écoutait. »
Et j’avais timidement… envisager de lire aussi toujours à propos de Karenine
Mais on n’a pas eu le temps de tout faire de tout lire de penser à tout car une fois c’est jamais, l’avenir n’est que dans la répétition avec réparation.
Pour moi ce chien ressemble à celui du film de Justine Triet : Anatomie d’une chute mais en plus en mieux il est batard selon l’auteur : un mélange de Saint-Bernard par sa mère pour sa tête et de chien-loup par son père pour le corps.
« La mère était le saint-bernard d'un collègue de Tomas. Le père était le chien-loup du voisin. Personne ne voulait des petits bâtards
et son collègue avait mal au cœur à l'idée de les tuer.
Tomas devait choisir parmi les chiots et savait que ceux qu'il ne choisirait pas allaient mourir. Il était dans la situation d'un président de la République quand il y a quatre condamnés à mort et qu'il ne peut en gracier qu'un.
Finalement, il choisit l'un des chiots, une femelle qui semblait avoir le corps du chien-loup et dont la tête rappelait sa mère saint-bernard. Il l'apporta à Tereza. Elle prit le toutou, le pressa sur ses seins, et l'animal fit aussitôt pipi sur sa blouse.
Ensuite, il fallut lui trouver un nom. Tomas voulait quơn sût, rien qu'à ce nom, que c'était le chien de Tereza, et il se rappela le livre qu'elle serrait sous son bras le jour où elle était venue à Prague sans prévenir. Il proposa d'appeler le chien Tolstoï.
« On ne peut pas l'appeler Tolstoi, répliqua Tereza, puisque c'est une fille. On peut l'appeler Anna Karénine.
— On ne peut pas l'appeler Anna Karénine, une femme n'a jamais une petite gueule aussi marrante, dit Tomas. Plutôt Karénine. Oui, Karénine. C'est exactement comme ça que je l'ai toujours imaginé.
— Est-ce que ça ne va pas perturber sa sexualité de s'appeler Karénine ?
Septième partie
Le sourire de Karenine
4
Pourquoi le mot idylle est-il un mot si important pour Tereza ?
Nous qui avons été élevés dans la mythologie de l'Ancien Testament, nous pourrions dire que l'idylle est l'image qui est restée en nous comme un souvenir du Paradis. La vie au Paradis ne ressemblait pas à la course en ligne droite qui nous mène dans l'incoanu, ce s'était pas une aventure. Elle se déplaçait en cercle entre des choses connues. Sa monotonie n'était pas ennui mais bonheur.
Tant que l'homme vivait à la campagne, au milieu de la nature, entouré d'animaux domestiques, dans l'étreinte de saisons et de leur répétition, il restait toujours en lui ne serait-ce qu'un reflet de cette idylle paradisiaque.
…
Comment expliquer que les règles d'une chienne éveillaient en elle une grande tendresse, alors que ses propres règles lui répugnaient? La réponse me semble facile : le chien n'a jamais été chassé du Paradis. Karénine ignore tout de la dualité du corps et de l'âme et ne sait pas ce qu'est le dégoût. C'est pourquoi Tereza se sent si bien et si tranquille auprès de lui. (Et c'est pour cela qu'il est si dangereux de changer l'animal en machine animée et de faire de la vache un automate à produire du lait : l'homme coupe ainsi le fil qui le rattachait au Paradis et rien ne pourra l'arrêter ni le réconforter dans son vol à travers le vide du temps.)
Du chaos confus de ces idées, une pensée blasphématoire dont elle ne peut se débarrasser germe dans l'esprit de Tereza: l'amour qui la lie à Karénine est meilleur que l'amour qui existe entre elle et Tomas. Meilleur, pas plus grand. Tereza ne veut accuser personne, ni elle, ni Tomas, elle ne veut pas affirmer qu'ils pourraient s'aimer davantage. Il lui semble plutôt que le couple humain est créé de telle sorte que l'amour de l'homme et de la femme est a priori d'une nature inférieure à ce que peut être (tout au moins dans la meilleure de ses variantes) l'amour entre l'homme et le chien, cette bizarrerie de l'histoire de l'homme, que le Créateur n'avait sans doute pas prévue.
C'est un amour désintéressé : Tereza ne veut rien de Karénine. Elle n'exige même pas d'amour. Elle ne s'est jamais posé les questions qui tourmentent les couples humains : est-ce qu'il m'aime? a-t-il aimé quelqu'un plus que moi? m'aime-t-il plus que moi je l'aime? Toutes ces questions qui interrogent l'amour, le jaugent, le scrutent, l'examinent, est-ce qu'elles ne risquent pas de le détruire dans l'œuf? Si nous sommes incapables d'aimer, c'est peut-être parce que nous désirons être aimés, c'est-à-dire que nous voulons quelque chose de l'autre (l'amour), au lieu de venir à lui sans revendications et de ne vouloir que sa simple présence.
Et encore une chose : Tereza a accepté Karénine tel qu'il est, elle n'a pas cherché à le changer à son image, elle a acquiescé d'avance à son univers de chien, elle ne veut pas le lui confisquer, elle n'est pas jalouse de ses penchants secrets.
Si elle l'a élevé, ce n'est pas pour le changer (comme un homme veut changer sa femme et une femme son homme), mais uniquement pour lui enseigner la langue élémentaire qui leur permettrait de se comprendre et de vivre ensemble.
Et aussi: son amour pour le chien est un amour volontaire, personne ne l'y a contrainte.
…
avec elle. Elle n'a pas ranis
était telle qu'elle était, mais parce que c'était sa mère.)
Mais surtout : aucun être humain ne peut faire à un autre l'offrande de l'idylle. Seul l'animal le peut parce qu'il n'a pas été chassé du paradis. L'amour entre l'homme et le chien est idyllique. C'est un amour sans conflits, sans scènes déchirantes, sans évolution. Autour de Tereza et de Tomas, Karénine traçait le cercle de sa vie fondée sur la répétition et il attendait d'eux la même chose.
Si Karénine avait été un être humain au lieu d'être un chien, il aurait certainement dit depuis longtemps à Tereza :
« Ecoute, ça ne m'amuse plus de porter jour après jour un croissant dans la gueule. Tu ne peux pas me trouver quelque chose de nouveau?» Il y a dans cette phrase toute la condamnation de l'homme. Le temps humain ne tourne pas en cercle mais avance en ligne droite. C'est pourquoi l'homme ne peut être heureux puisque le bonheur est désir de répétition.
Oui, le bonheur est désir de répétition, songe Tereza.
Quand le président de la coopérative allait promener son Méphisto après le travail et rencontrait Tereza, il n'oubliait jamais de dire : « Madame Tereza! Si seulement je l'avais connu plus tôt! On aurait couru les filles ensemble ! Aucune femme ne résiste à deux cochons! » A ces mots, le goret poussait un grognement, il avait été dressé pour ça. Tereza riait, et pourtant elle savait une minute à l'avance ce qu'allait lui dire le président. La répétition n'enlevait rien de son charme à la plaisanterie. Au contraire. Dans le contexte de l'idylle, même l'humour obéit à la douce loi de la répétition. »
*Mephisto cochon apprivoisé qui se promenait comme un chien avec son maitre president de la coopérative agricole. Karenine l’appréciait car contrairement aux autres chiens il n’était pas enchainé à sa niche et n’aboyait pas bêtement.
« La vraie bonte de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c'est ici que s'est produite la plus grande déroute de l'homme, débâcle fondamentale dont toutes les autres découlent.
Une génisse s'est approchée de Tereza, s'est arrêtée et l'examine longuement de ses grands yeux bruns. Tereza la connaît. Elle l'appelle Marguerite. Elle aurait aimé donner un nom à toutes ses génisses, mais elle n'a pas pu. Il y en a trop. Avant, il en était encore certainement ainsi voici une trentaine d'années, toutes les vaches du village avaient un nom. (Et si le nom est le signe de l'âme, je peux dire qu'elles en avaient une, n'en déplaise à Descartes.) Mais le village est ensuite devenu une grande usine coopérative et les vaches passent toute leur vie dans leurs deux mètres carrés d'étable.
Elles n'ont plus de nom et ce ne sont plus que des « machinae animatae». Le monde a donné raison à Descartes.
J'ai toujours devant les yeux Tereza assise sur une souche, elle caresse la tête de Karénine et songe à la déroute de l'humanité. En même temps, une autre image m'apparait : Nietzsche sort d'un hôtel de Turin. Il aperçoit devant
lui un cheval et un cocher qui le frappe à coups de cravache.
Nietzsche s'approche du cheval, il lui prend l'encolure entre les bras sous les yeux du cocher et il éclate en sanglots.
Ça se passait en 1889 et Nietzsche s'était déjà éloigné, lui aussi, des hommes. Autrement dit : c'est précisément à ce moment-là que s'est déclarée sa maladie mentale. Mais, selon moi, c'est bien là ce qui donne à son geste sa profonde signification. Nietzsche était venu demander au cheval pardon pour Descartes. Sa folie (donc son divorce d'avec l'humanité) commence à l'instant où il pleure sur le cheval.
Et c'est ce Nietzsche-là que j'aime, de même que j'aime
Tereza, qui caresse sur ses genoux la tête d'un chien mortellement malade. Je les vois tous deux côte à côte : ils s'écartent tous deux de la route où l'humanité, « maître et possesseur de la nature », poursuit sa marche en avant. »Milan Kundera,
Toujours L’insoutenable légèreté de l’être. Chapitre 3 de la septième partie : le sourire de Karenine
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