samedi 4 mai 2013

Littérature, livres pour garder le moral après, malgré tout le reste ? Clément Fingal Benech et Mathieu Simonet. Point de liseuse ni de tablette. Vive les supports papiers : à lire, journaux, livres.

Un refuge que l'amitié des livres ça tient la route même pour un temps compté.
La tablette est trop froide encore pour moi j'ai besoin de partage comme avec des bulles d'air et des gouttes de pluie et un souffle de vent et le bruit de la radio et le goût et l'odeur du pain et de douceur et de la compagnie des chats...
L'amitié des livres répare l'isolation actuelle non seulement parce qu'on est très occupé mais parce que la fidélité la durabilité des amitiés exigeantes et humaines, au fil des ans, deviennent "plus rien".
On fait semblant. On est remplacé et c'est la vie. "Rien de grave."
Les livres on garde la main, on les range on les abandonne on les raconte les partage les donne avec vite l'envie de savoir ce que l'autre va en dire. Les livres sont presque vivants. Ils vieillissent gondolent dans notre souvenir et surtout on peut les citer les reprendre les relire ils nous en remercient et se souviennent de tous les mots de notre 1ère rencontre. Et ils font meubles, décors, couleurs : ils ouatent ma vie.

 

 et Marc Beltra de Mathieu Simonet pour des tas de raisons restera en vous pour croire en toutes circonstances même les plus tragiques, à la délicatesse, affective.
un site à retenir pour tous les otages du monde.




Alexandre: "Je demeure convaincu que la foi répond à un besoin. La foi est un don que l'on obtient quand on le demande. Il n'y a pas de plus grande foi que celle d'un converti, car il a testé l'angoisse de ne pas savoir."

L'écriture, c'est apprendre à pousser les mots avec ses coudes.



**************************************************

* un article du monde Philip Roth et son mentor et un dessin d'humour sans rapport sur la Chine.


Hommage à un mentor, par Philip Roth

LE MONDE |  • Mis à jour le 
Par 
 Réagir Classer Imprimer Envoyer
Partager   google + linkedin
J'avais douze ans quand je suis entré à l'Annexe de Hawthorne Avenue en 1946. C'était à l'Annexe, à un quart d'heure de bus du bâtiment principal, qu'on allait à cette époque quand on entrait en première année à Weequahic High. Le premier professeur en face duquel je me suis trouvé dès la première heure de mon premier jour à l'Annexe s'appelait Bob Lowenstein. Le Dr. Lowenstein. Doc Lowenstein. Il venait à peine d'être démobilisé après la seconde guerre mondiale, et à l'inverse de la plupart des autres enseignants du secondaire, il ne mettait jamais en avant son titre de docteur ès lettres. On se rendait aussi tout de suite compte, même à l'âge de douze ans, qu'il s'agissait d'un homme formidable qui ne supportait pas les plaisantins.
Bob était mon professeur principal. Cela voulait dire que chaque jour, durant toute l'année scolaire, c'était lui que je voyais en premier quand j'arrivais le matin. En fait, je n'ai jamais suivi aucun cours de langue avec lui – mademoiselle Glucksman enseignait le français et la senorita Baleroso l'espagnol – mais je ne l'ai jamais oublié. Qui aurait pu l'oublier parmi les élèves de Weequahic High ? C'est pour cette raison qu'au moment de la croisade anti-communiste des années quarante et cinquante, quand à son tour il s'est fait sauvagement attaquer et mettre en pièces par la Commission des activités anti-américaines du Congrès, je me suis tenu informé de son sort du mieux que je le pouvais en lisant les articles que j'avais demandé à mes parents de découper dans les journaux de Newark pour me les envoyer.
Je ne sais plus comment nous nous sommes retrouvés vers 1990, quarante ans après avoir obtenu mon diplôme à Weequahic High. J'étais de retour aux Etats-Unis après avoir principalement vécu à l'étranger pendant une douzaine d'années. Soit je lui ai écrit pour lui dire je ne sais plus quoi, soit c'est lui qui m'a écrit pour me dire je ne sais plus quoi, et nous avons déjeuné ensemble dans un restaurant, puis chez lui, à West Orange. A la manière de Bob Lowenstein, je vais dire les choses dans un langage simple, de manière aussi directe que possible : je crois que nous sommes tombés amoureux l'un de l'autre.
Il m'envoyait ses poèmes par la poste, parfois dès qu'il les terminait, et je lui envoyais mes livres au moment de leur parution. Je lui ai même envoyé le manuscrit de l'un de mes livres – la Pastorale américaine – parce que je voulais qu'il le lise avant sa publication. Il y avait plein de choses dans ce livre sur Newark au début du XXe siècle, et je voulais le lui soumettre pour être sûr qu'il n'y avait pas d'erreurs.
J'ai envoyé une voiture chercher Bob chez lui pour faire le trajet de deux heures et demie jusque chez moi, dans la campagne du nord-ouest du Connecticut. Pendant le déjeuner, je lui ai demandé son avis sur ce que j'avais écrit. Nous avons discuté durant tout le repas... puis toute l'après-midi. Comme toujours, il avait beaucoup à dire, et je crois bien que j'ai écouté tout ce qu'il m'a dit ce jour-là avec la même attention que je l'écoutais nous lire les annonces du jour, chaque matin à 8 h 30 dans notre salle de classe de l'Annexe de Hawthorne Avenue.
Dans mon roman J'ai épousé un communiste, le narrateur, Nathan Zuckerman, dit à un moment donné : "J'ai l'impression que ma vie est un discours que je n'ai jamais cessé d'écouter." Pour moi, la voix de Bob est l'une des voix les plus persuasives qu'il m'a été donné d'entendre. Le réel était omniprésent dans tout ce qu'il disait. Comme tous les grands pédagogues, il était l'incarnation même de cette transformation des choses par le discours.
Je dois dire ici qu'à son arrivée chez moi dans le Connecticut, il est descendu de la voiture un livre à la main. Ce qu'il avait lu durant le trajet, c'était un recueil de poèmes en français, de Charles Péguy, ce grand écrivain catholique disparu depuis presque un siècle au terme d'une vie très brève. Je savais bien évidemment que Bob était un homme sérieux, mais ce n'est qu'à la vue du livre de Péguy, ce livre qu'il avait choisi comme lecture pour la route, que j'ai compris à quel point il l'était.
En 1993, le jour de mes soixante ans, j'ai fait une lecture publique à Seton Hall, l'université de South Orange, et les gens qui m'avaient invité m'ont organisé une petite fête d'anniversaire surprise. Bob et sa femme Zelda y ont assisté. En fait, avant que je ne prenne la parole, c'est Bob qui m'a présenté ce soir-là, car il habitait à moins de deux kilomètres de Seton Hall et ne manquait jamais aucune de leurs soirées de poésie. Il avait quatre-vingt-cinq ans à l'époque. Dire qu'il avait encore vingt ans de bonne vie active devant lui – qui d'autre que Bob aurait pu le savoir.
Je lui avais écrit pour lui demander de dire un mot d'introduction, et de le voir ce soir-là à Seton Hall, debout devant un pupitre, évoquer avec beaucoup de finesse, d'esprit et de charme notre première rencontre en tant qu'élève et professeur m'a fait un immense plaisir. Je crois bien que pour lui aussi ça a été un immense plaisir.
Bob m'a servi de modèle pour le personnage principal de mon roman J'ai épousé un communiste, un livre paru en 1998 qui revient sur l'anticommunisme dont j'ai parlé plus haut et la violence ignoble avec laquelle Bob et des gens comme lui ont été traités par la racaille alors au pouvoir.
Ce personnage est un professeur du secondaire à la retraite. Il s'appelle Murray Rhinegold et, comme Bob, il enseigne à Weequahic High, mais contrairement à Bob, il n'enseigne pas les langues romanes mais l'anglais. J'ai aussi changé quelques détails, son aspect physique, ce qu'il avait fait pendant la guerre, ainsi que quelques détails importants de sa vie privée – par exemple, Bob n'avait pas pour frère un dangereux assassin – mais pour le reste, j'ai essayé de rester fidèle à l'étendue de ses vertus, telles que je les percevais.
J'ai aussi indiqué au passage le singulier plaisir qu'il prenait à lancer l'effaceur de tableau dès qu'il avait l'impression qu'un élève disait quelque chose de complètement idiot, généralement une bêtise due à un manque d'attention, le plus grave de tous les péchés.
Au bout du compte, le sujet de J'ai épousé un communiste, c'est l'éducation, l'apprentissage, la position et le rôle du mentor, et plus particulièrement l'éducation d'un adolescent intelligent, sérieux et impressionnable auquel on veut apprendre comment devenir – et aussi comment ne pas devenir – quelqu'un de courageux, d'honorable et fiable. La tâche n'est guère facile, nous le savons, car il y a deux gros écueils pour nous faire trébucher : l'absence de pureté du monde et notre propre absence de pureté, sans parler des énormes imperfections de notre intelligence, de nos émotions, de notre faculté de prévoyance et de notre jugement.
Ce livre sur un jeune garçon et les hommes qu'il croise dans sa vie commence par un bref portrait de Murray Rhinegold, celui des deux frères Rhinegold qui n'est pas un violent et dont la colère froide est réservée à l'injustice aveugle. D'ailleurs, d'une certaine manière, Murray Rhinegold reçoit, lui aussi, une éducation.
Comme ce fut le cas de Bob, évidemment, quand à la fleur de l'âge il se fit brutalement crucifier, quand il fut pris dans ce piège qui devait ruiner tant de carrières si prometteuses dans l'Amérique de cette époque – victime comme des milliers d'autres de la première décennie honteuse de l'histoire d'après-guerre de son pays. On lui retira le droit d'enseigner dans les établissements scolaires de la ville de Newark pendant six ans, on lui interdit d'exercer le métier qu'il avait choisi : exclu pour raisons politiques, dangereux pour la jeunesse.
Ce n'est plus de l'éducation d'un enfant que je parle maintenant, mais de celle d'un adulte : apprendre le manque, la douleur, et cette inévitable composante de la vie, la trahison. Bob avait une volonté de fer et il résista à l'horreur de l'injustice avec un courage et une bravoure extraordinaires, mais c'était un homme, et c'est en homme qu'il a vécu tout cela, dans la souffrance.
Dans mon roman, j'espère avoir fait une large place aux qualités de notre ami défunt, cet homme de légende d'une grande noblesse qui avait compris, comme Charles Péguy avant lui, que "la tyrannie est toujours mieux organisée que la liberté". Je ne sais pas comment Péguy est arrivé à cette conclusion, mais c'est une leçon que Bob a apprise au prix fort.
Traduction de Lazare Bitoun




Aucun commentaire: