Devant Kean...on s'ink(l)ine !
Il y a 2 semaines - écrit par kimnovak
On joue parce qu'on aime la vérité et parce qu'on la déteste. On joue parce qu'on deviendrait fou si on ne jouait pas. Jouer ! Est-ce qu'il y a un moment où je cesse de jouer ''. On naît (est) acteur comme on naît prince de naissance Ces deux répliques donnent toute la dimension de la pièce dont le héros, Kean, acteur anglais vécut une vie aventureuse, échevelée, passionnante et tragique ; débauché, couvert de dettes, ivrognes et grand amateur de femmes (dans la pièce, il est amoureux (mais peut-il ou saurait-il l'être) de la belle Elena, épouse de l'ambassadeur du Danemark, et malgré les apparences, sensible au charme juvénil et ingénu d'Anna Damby, qui fait tout pour devenir actrice, jusqu'à le séduire ! Kean est un homme excessif, qui se moque des contingences, s'abîme dans ses passions, se livre avec volupté à l'insolence et au mépris. Chez lui, l'homme et le comédien se confondent bien souvent...Comme le présente Alain Sachs, le metteur en scène, la quête d'absolu, le donjuanisme, le pouvoir, la folie...en sont les thèmes essentiels, mais bien plus encore, dans cette oeuvre d'une grande modernité. En effet, l'acteur Kean (et l'acteur devant nous) , est lui-même à la fois ses personnages et ses personnages sont lui. Notons aussi le sous-titre de la pièce de Dumas : désordre et génie. Le personnage réel l'acteur anglais Edmond Kean (1787-1833), dont nous savons peu de choses, était lui-même un personnage hors-normes, inclassable : acteur génial, séducteur adulé des femmes, mythomane, génie, fou, mystificateur... ? Par son jeu " hénaurme " comme aurait dit Flaubert, de saltimbanque de bateleur de tréteaux, il se fond dans la peau d'Hamlet, d'Othello, du roi Lear, de Falstaff et de Roméo (à 48 ans!) . A n'en pas douter Sartre en 1953, la pièce de Dumas, (1836), écrite pour le célèbre acteur Frédérick Lemaitre, a voulu se placer au plus près des thématiques shakespeariennes, tout comme en filigrane, nous retrouvons bien des concepts développés dans l'Être et le Néant. Sartre dramaturge ne saurait nier le Sartre philosophe. N'oublions pas que Dumas, lorsqu'il a crée en 1846 son " théâtre historique " y faisait jouer en premier lieu les pièces de Shakespeare. Alors nous avons devant nous, du " théâtre dans le théâtre ", un " jeu de miroirs " fascinant et pathétique, une véritable " mise en abyme ", où est transposé, à l'échelle des personnages, le sujet même de l'oeuvre. Certaines scènes, répliques, situations nous font aussi penser à Wilde et à Pirandello. Le fil rouge de la pièce est contenue dans ces interrogations : Quand est-on au théâtre, quand est-on dans la vie ? Quand joue t-on la comédie ou le drame, quand ceux-ci se jouent-ils de nous. Il y a là aussi du théâtre et son double d'Artaud. Shakespeare nous dit que le monde est un théâtre, que la vie est pleine de bruit et de fureur et que nous sommes faits de l'étoffe de nos rêves. de fait, Kean est montré comme l'acteur passionné d'un drame, d'une comédie, d'une farce, et en même temps, le spectateur désabusé de leur représentation. Nous sommes à la fois dans la comédie la plus échevelée, parfois proche de la comedia del arte et dans la pure tragédie, où l'acteur devient pathétique ayant quasiment perdu sa propre personnalité tant les rôles l'ont dévoré. Quand Kean est-il lui-même, quand est-il ses personnages, au point que sur la fin, il semble sombrer dans la folie, ne sachant plus qui il est, mais un certain monsieur Edmond bijoutier, confiant ici au dédoublement schizophrénique ; le "moi" personnel, s'étant fondu dans le théâtral. Prisonnier de son personnage, il cherche à s'en évader. C'est là un thème récurrent qu'un siècle de théâtre et de cinéma, ont souvent montrer. Le drame de l'acteur, qui serait comme le cannibale dévoré par sa proie ou comme une abeille engloutie dans son propre miel Kean est un homme démesuré, extravagant, un trublion magnifique, un "pantalone", arlequin, une sorte de bouffon du roi. Mais en même temps, et c'est ce qui fait la complexité du personnage, cette double face de Janus : on dirait aussi aujourd'hui, qu'il est un un loser magnifique, un homme perdu, seul, au milieu ou envahi par sa gloire, et puis par une pirouette dont il a le secret, hop, il repart, régénéré comme une plante vers de nouvelles aventures ; et tout le temps, il ne sait plus quand il joue et quand il ne joue pas ! Au-delà de ces considérations, Kean est un spectacle fascinant, intelligent, magnifique et comme le dit Belmondo (vidéo INA, 20/02/1987 - , c'est un "rôle superbe", auquel seuls de grands comédiens peuvent se frotter. La troupe d'acteurs joue dans une parfaite cohérence, où les répliques, les échanges sont réglés avec une précision qui relève de l'horlogerie. Mais mention particulière au rôle principal, tenu avec un brio étourdissant par Alexis Desseaux. Quand l'on saura que Sartre a crée la pièce pour Pierre Brasseur, nous ne sommes pas étonnés du mimétisme entre le jeu de Brasseur et celui d'Alexis Desseaux. On se croirait presque devant Brasseur dans son rôle de Frederick Lemaître, dans Les enfants du Paradis. Desseaux en arriverait presque à nous faire oublier la prestation de Belmondo dans le Kean monté par Hossein au théâtre Marigny en 1987, où pour son retour au théâtre après 28 ans d'absence, il fit un triomphe et obtint le prix du Brigadier (...le bâton des 3 coups) Puisse l'acteur et la troupe trouver un succès aussi retentissant et durable ; ce que déjà les nominations aux Molière réalisent. Bravo aussi à Alain Sachs pour sa mise en scène élégante, raffinée à l'image de ses salons anglais du 19°, ses décors, ses lumières, sa géométrie de l'espace, sa direction impeccable d'acteurs. Mention aussi à ses deux superbes actrices, Justine Thibaudat (Anna), fraîche, espiègle et déterminée ; et à Eve Herszfeld (Elena), hiératique, humiliée et digne dans le malheur. Alors, amateurs de vrai et grand théâtre, n'hésitez pas à vous précipiter pour réserver - un moment de théâtre inoubliable. »
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