Extraits suite de "l'enfant éternel" Philippe Forest : comment pourquoi à chaque deuil, l'insoutenable perte d'un enfant n'est jamais abordée
Personne n'ose à même, tenir la main des inconsolés, où est la frontière.... entre dire écrire et se tenir coït, accompagner.
Jusque là, pour moi, il n'y avait que Mahler qui avait su le mettre en notes, en musique, cinq lieder : Kindertotenlieder(que ce mot de la langue allemande est belle).
A chaque fois, un grand artiste part trop tôt, c'est comme un enfant ou un super-héros, un artiste qui sait toujours détacher du reste, la pureté. Si en plus il n'a jamais eu lui-même d'enfants... il en est resté un d'enfant éternel...
On leur offre des roses blanches, comme s'ils n'avaient jamais vieilli. Et on les applaudit quand leur corps mort passe dans le cercueil, à St Roch le plus souvent. Visconti YSL comme Patrice Chéreau.
les 5 femmes qui ont marqué la vie de Patrice Chéreau
Je déteste le mot défunt, je préfère celui d'enfant mort... et pourtant c'est le stade avec encore un peu d'âme : défunt avant : cadavre, squelette, restes funéraires, cendres, poussières d'étoile on rajoute....
P193-194-195 dans l'édition de poche Folio
Dans la vraie vie les enfants meurent rarement. Dans les livres, l'évènement est plus improbable encore. Les écrivains reculent devant ce qui leur semble n'appeler que le silence, ils ne se sentent jamais de taille à forcer les frontières de cet indicible là. Ce scandale fait taire toute methaphysique . En comparaison, tout drame prend des allures de pirouette savante. Tout fait vite toc et chiqué : spleen, angoisse phénomenologique, expérience intérieure, chagrin d'amour, ambition brisée... Même la plus cultivée et la plus sensible des femmes, vous aurez du mal à l'émouvoirsi elle est une mère touchée dans la personne de son enfant. Toute la comédie humaine prend des airs de bouffonerie affectée. ET la ménagerie romantique peut aller se faire rhabiller sous les siflets. Les enchères montent. Il faut un long détour de talent pour rejoindre de telles lectrices jusqu'au point extrême de douleur où la réalité les a parfois menées.
J'ai tout oublié des romans de Dostoievski que le lisais
d'une traite lorsque j'avais quinze ou seize ans. Karamazov : Dieu n'existe pas et tout est permis ; si les Innocents, Dieu permettrait qu'ils meurent et ne connaissent point son paradis, je pertagerais leur enfer... Les Possédés : j'aime les enfants, donc j'aime la vie et si peut-être, un jour, je me brûle la cervelle, je n'en croirais pas moins à la seule vie éternelle qui soit celle qui précède la mort et habite l'instant.
Je me revois en classe de quatrième ouvrant mon nouveau manuel de littérature, celui par lequel, dans toutes les écoles de France, on découvre les classiques etv la vraie poésie après les textes récités au primaire. Avec une précision sans faille, je me souviens du premier extrait étudié Malherbe depuis ? Consolation..." Ta douleur, Du Perier, sera donc éternelle ?... Le malheur de ta fille au tombeau descendue,/ Par un commun trépas, / Est-ce quelque dédale, ou ta raison perdue, / Ne se retrouve pas ? / Je sais de quels appâts son enfance était pleine, / Et n'ai pas entrepris, / Injurieux ami, de soulager ta peine, / Avec que son mépris. Mais elle était du monde, où les plus belles choses, / Ont le pire destin, / Et rose elle a vécu ce que vivent les rose, /L'espace d'un matin."
Je ne pensais jamais à tout cela. Pourtant je me revois... Sur le point de quitter cette même école où j'ai passé, à 2 pas du Luxembourg, toute mon enfance... Mon professeur d'alors semblait croire que le XX ème siècle n'avait jamais commencé... Le dernier roman lisible, Zola l'avait signé... Il racontait l'histoire d'un peintre fixant sur sa toile la figure sur le point de s'en aller de son enfant défunt : vert, jaune, ocre... "Un instant, ils restèrent béants au dessus du lit. Le pauvre être, sur le dos avec sa tête trop grosse d'enfant du génie, exagérée jusqu'à l'enflure des crétins, ne paraissait pas avoir bougé depuis la veille ; seulement sa bouche élargie, décolorée ne soufflait plus, et ses yeux vides s'étaient ouverts. Le père le toucha, le trouva d'un froid de glace. Et leur stupeur était telle qu'un instant encore ils demeurèrent les yeux secs, uniquement frappés de la brutalité de l'aventure, qu'ils jugeaient incroyable. "Le peintre se met au travail. Une obsession l'habite dont il lui faut se délivrer. Il résiste puis cède devant le spectacle dont le vertige le fait profondément renaître; "... bientôt il n'y eut plus là que son fils glacé, il n'y eut qu'un modèle, un sujet dont l'étrange intérêt le passionna. Ce dessin exagéré de la tête, ce ton de cire des chairs, ces yeux pareils à des trous sur le vide, tout l'excitait, le chauffait d'une flamme. Il se reculait, se complaisait souriait vaguement à son œuvre." La douleur visible de la mère sert de contrepoint à la folie du père. Elle dit la vérité que recouvrent les couleurs sur la toile. L'enfant est mort de trop de sagesse et d’obéissance. On exigeait de lui qu'il reste calme pour ne pas déranger le travail de démence de son père. Il ne bougera plus. Il sera le plus immobile des modèles. Il abandonne son cadavre à son père qui s'en saisit avec une joie presque carnassière. Survenant à la veille du Salon, la mort du petit garçon est providentielle. Elle alimente l'appétit de formes du peintre à qui l'inspiration manquait. Au Palais, on pourra expose cette toile : "... un chef d’œuvre de clarté et de puissance, avec une immense tristesse en plus, la fin de tout, la vie mourant de la mort de cet enfant."
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