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en relation avec le film Déchirés/graves (voir article plus ancien) sur le TNB
LES ÉTATS DU THÉÂTRE ÉDITOS SOMMAIRE
Le succès de Mettre en scène,
rendez-vous international de la création théâtrale et chorégraphique, grandit
au plan hexagonal et européen. Il contribue au dynamisme artistique et culturel
de Rennes. Télérama, Rennes Métropole,
la région Bretagne et le Théâtre national de Bretagne ont décidé de s'associer
une nouvelle fois pour proposer, lors de la seizième édition du festival Mettre
en scène, une réflexion sur le théâtre.
La création est facteur
d'innovation et de vitalité des territoires. Mais si, comme l'a écrit Victor
Hugo, «le théâtre est une tribune», il est aujourd'hui confronté aux
bouleversements de son temps. Dans un monde en mutation, les modalités
concrètes du travail artistique ont changé.
Confrontés à l'évolution de la
société et au pouvoir des nouvelles technologies, l'auteur, le comédien, le
metteur en scène s'interrogent sur la place de l'art dans nos cités et
cherchent à renouveler notre regard sur la condition humaine, les grands questionnements
de nos sociétés.
Au-delà de ces
interrogations, ces Rencontres Télérama se veulent aussi un moment de partage,
d'analyse et d'échange entre les publics et les responsables culturels, conviés
à débattre des conditions dont les artistes disposent aujourd'hui pour se
former, travailler, créer et
diffuser.
Comment mobiliser davantage
les professionnels, les passionnés, pour diversifier les points de vue et
affiner les analyses? Comment susciter des rencontres fécondes
et favoriser le dialogue?
Quelle place pour le théâtre dans des sociétés éprises de modernité ?
Autant de questions cruciales
pour ces Rencontres Télérama. Elles rejoignent la réflexion engagée par Rennes
Métropole, une métropole pour tous
les savoirs.
Résister. Résister au fric et
à ses triomphes. Résister à l'urgence et à ses vertiges. Résister aux mirages
indécents d'un divertissement badin qui, de jeux en jeux, nous conduit, en
pente douce, de clics en tweets, vers l'abîme. Disons-le, disons-le encore,
disons-le toujours : nous avons besoin des artistes, des livres, du théâtre...
Pour le doute entretenu, la question posée, le regard en coin, le regard
oblique.
Pour la mise en perspective,
le perplexe, le complexe.
Pour la mise à distance. Pour
la durée. Pour l'esprit. L'artiste, la création, la surprise, nous aident à
tenir ensemble, à tenir debout, à tenir, en humanités.
C'est pour toutes ces
raisons, ni plus ni moins, que la région Bretagne continue, envers et contre
tout, à développer ses budgets culturels. L'affaire est sérieuse, qui touche à
ce «rien essentiel auquel nous sommes
suspendus» 1. Elle mérite que combat soit mené. Merci à Mettre en scène de
nous le rappeler.
Jean-Michel Le Boulanger, vice-président du conseil
régional de Bretagne
1 L'expression est de Bernard Guillemot, poète,
libraire, éditeur (Calligrammes, Quimper).
C'est la deuxième fois que
Télérama s'associe au Théâtre national de Bretagne, et à son festival Mettre en
scène, pour débattre devant vous, avec vous, du spectacle vivant grâce à de
pertinents interlocuteurs choisis par nos deux maisons.
En 2010, nous avions choisi
de nous interroger ensemble sur la profession d'artiste, ce qu'elle signifiait,
exigeait. En 2012, nous désirons, avec plus d'ambition encore, dresser un
certain état du théâtre aujourd'hui en France.
Le théâtre subventionné, dit
de «service public», reste-t-il exemplaire? Quelle place ont en 2012 les
metteurs en scène, les auteurs? Qu'est-ce qui nourrit leur travail? Les acteurs
hexagonaux ont-ils évolué? Autant d'interrogations, rapidement esquissées ici,
qui alimenteront deux grandes journées de rencontres, d'autant plus riches et
denses que vous y participerez activement.
Nous les avons imaginées
parce que nous croyons que le théâtre est ce lieu unique, où peuvent se poser
toutes les questions. Non seulement sur l'intime, le privé,
mais sur la société, le
monde. La scène reste l'espace ultime, où peuvent se donner à voir et à
entendre les dilemmes, les crises. Pas forcément pour les résoudre,
mais pour mieux les
comprendre, les affronter. Un espace monstre pour les monstres. Inquiétants ou
drôles, toujours fascinants.
Fabienne Pascaud, directrice
de la publication de Télérama
REDONNER DU SOUFFLE AU THÉÂTRE PUBLIC
Metteurs en scène tout-puissants, institutions vieillies, programmations parfois incohérentes... jusqu'où cela tiendra -t-il ?
Il suffit de deux
interrogations brutale ment posées et voilà que surgissent le doute et le
trouble. Le metteur en scène est-il toujours nécessaire en 2012 ? Et est-il
possible de se passer de l'institution? Ces questions sont évidemment
provocantes, mais si elles s'enoncent aujourd'hui a liante et intelligible
voix, ce n'est pas par hasard. Usure des structures, impuissance de la jeune
génération à se faire une place au soleil, sentiment, ici d'impasse, là
d'injustice :
quelque chose ne tourne plus rond dans le théâtre français et il serait temps
d'y regarder de plus près.
METTEURS EN SCÈNE SUR LE GRIL
Deux questions,
donc, par ailleurs liées l'une à l'autre. Ces metteurs en scène aujourd'hui sur
le gril ne sont-ils pas aussi, en grande partie, les patrons des lieux phares
de l'institution ? Directeurs des théâtres nationaux et des centres dramatiques
nationaux, ils ont entre leurs mains une enviable marge de manœuvre artistique
doublée d'une réelle autorité économique. Nommés pour îles mandats
renouvelables, ils tissent la scénographie des scènes métropolitaines à coups
de créations et de coproductions. Mais à quoi ressemble-t-elle, la carte de
France du spectacle vivant? Que faut-il penser lorsque, dans une saison
nationale,
on voit
multipliées comme des petits pains les représentations d'une même pièce de
Tchékhov? Quand ce ne sont pas les « Maisons de poupée» d'Ibsen qui fleurissent
par brassées entières ou les retours concomitants vers Ionesco. Comment doit-on
réagir
devant ces queues
de comète que sont les festivals «jeune création», prétendus temps forts des
programmations, en vérité égarés en fin de saison ou reclus dans des salles de
moindre visibilité? Pourquoi doit-on de Paris à Rennes, de Rennes à Lyon, de
Lyon à Marseille, suivre à la trace le trajet de mises en scène achetées ou
échangées de maison à maison, selon les règles d'un troc financier entre
partenaires privilégiés? Un jeu de billard devenu indispensable à la
circulation des spectacles où se déplacent en quelques points du territoire les
quelques mêmes spectacles, verrouillant sérieusement, dans la foulée,
l'ouverture à la nouveauté. Et qu'est-ce qui, pour conclure, justifie cette
course a l'échalote effrénée que sont les nominations dans les centres
dramatiques nationaux (CDN), véritable numéro de chaises musicales? Sans
parler de
l'absence scandaleuse des femmes aux postes de
directions...
Voici pour le
portrait peu complaisant d'une institution à qui l'on met, avouons-le, beaucoup
de bâtons dans les roues. Une institution percluse de lourdeurs administratives
qui lui interdisent les huiles d'air nécessaires à sa vie artistique. La bataille
pour le maintien de L'équilibre financier entre ces deux pôles épuise les
directeurs, asphyxiés par des charges incompressibles qu'ils sont obligés
d'honorer. Les gels imposés par les gouvernements successifs, les menaces de
diminution de subventions, la stagnation des crédits alloués, l'absence
d'intérêt flagrant des précédents ministères de la Culture, plus préoccupés de
patrimoine que de spectacle vivant, sont autant de freins qui entravent
l'action des « artistes patrons ».
Artistes patrons,
terme en vogue, car «il faut», entend-on avec force, « des artistes à la tête
des théâtres » : la phrase n'a plus le goût des justes revendications mais la
saveur acide
d'un oukase
asséné avec une rigidité qui n'a d'égale que l'inquiétude de ceux qui la
profèrent : les artistes eux-mêmes. Se sentent-ils en danger de tout perdre
pour se décréter seuls garants du bon fonctionnement et de la vitalité du
théâtre français? On le voit bien au Festival d'Avignon, au Théâtre de la
Bastille à Paris, au Théâtre de Vanves ou à L’Échangeur de Bagnolet :
certes ce ne sont
pas des CDN, mais les «intendants» en place ne s'y débrouillent pas si mal
quand l'artiste, censé donner par son travail au plateau le tempo et la couleur
du lieu dont il a la charge, est en fait étonné par des contraintes qui n'ont,
elles, rien d'artistique: remplissage des salles ou équilibre budgétaire. Le
voilà qui doit calculer, anticiper, composer de savants dosages entre classique
et contemporain, valeurs sûres et émergence, désir des tutelles et goût
personnel. Il
devient, par la force des choses, un stratège que contamine parfois, en cours
de route, le désir de se transformer en propriétaire du bien dont il n'est que
locataire. Si le
metteur en scène
patron ne veut plus rendre les clefs île la maison qu'on lui a temporairement
confiées, c'est parce qu'il sait les difficultés qui l'attendent pour créer,
une fois la liberté
retrouvée. Revenu
en compagnie, il lui faudra trouver des partenaires qui produiront ses spectacles
et ce ne sera jamais gagné d'avance.
Une liberté que menace également la contestation d'un
statut jusque-là privilégié. Les années 1980 avaient consacré le règne sans
partage du metteur en scène tout-puissant. Certains n'avaient alors pas manque
de le déplorer : les auteurs au premier chef, grands perdants de l'affaire,
relégués aux arrières-plans. Combien clé lois n'aura-t-on entendu, au cours des
décennies qui viennent de s'écouler, «le Platonov
de Françon» ou «le Hamlet de
Chéreau ». Metteurs en scène intronisés, par le caprice d'un raccourci de langage,
auteurs des pièces! Metteurs en scène qui ne se revendiquent que d'eux-mêmes,
puisqu'il suffit d'accomplir un acte de création pour se définir comme tel. Si
certaines écoles ont inauguré des cursus d'apprentissage à la mise en scène, la
profession est l'une des rares à être accessible à tous les néophytes. A
condition de trouver ses colistiers financiers et son équipe artistique,
n'importe qui peut se lancer dans l'arène. Est-ce pour cette raison que la
fonction est depuis quelques années
sérieusement malmenée ou parce qu'elle perd inéluctablement de son prestige? De
plus en plus d'artistes la réfutent, préférant se dire concepteurs ou
performeurs.
L'INSURRECTION
PAR LES
COLLECTIFS
L'innovation
arrive du côté des jeunes et notamment des collectifs: ces bandes qui se cooptent se soucient peu de
«qui fait quoi » et se passent le relais île la mise en scène de
spectacle a
spectacle. Sylvain Creuzevault, du collectif D'ores et déjà, acculé malgré lui
dans une position de leader, a préféré s'absenter pendant plusieurs mois pour
trouver comment éviter le piège de la starification. Damien Mongin et Lise
Maussion, du collectif Pôle Nord, se partagent indifféremment tous les rôles,
du jeu à l'écriture et à la mise en scène. Jeanne Candel signe ses propres
spectacles mais assiste Thomas Quillardet ou Sarah Le Picard lors de leurs
créations. Est-ce la fin de règne pour le metteur en scène ? Il n'est qu'à voir
du côté des auteurs bien décidés à ne plus se laisser voler la vedette et qui
se chargent, eux-mêmes, de créer leurs pièces : ainsi Joël Pommerat, qui refuse
au passage toutes les propositions de direction qui lui sont formulées avec insistance.
Noëlle Kenaude prend le même chemin en dirigeant elle-même l'acteur Nicolas
Maury. Il n'est qu'à jeter un coup d'œil du côté de l'étranger pour constater
que la fonction «mise en scène» est doublée sur sa droite par les scénographes,
sur sa gauche par les dramaturges, en son centre par les acteurs eux-mêmes qui prennent
à l'occasion les rênes en main. Que serait Christophe Marthaler sans sa
scénographe Anna Viebrock, Krzysztof Warlikowski sans Malgorzata Szczesniak,
Jean-François Sivadier sans son comédien phare Nicolas Bouchaud ? Patrice
Chéreau, en personne, sollicite régulièrement le chorégraphe Thierry Thieû
Niang. Cette démocratisation des tâches ouvre un vaste champ de possibles. Des
complémentarités se créent.
On peut donc
tenter autre chose. Quelque chose qui souffle principalement du côté de ceux
qui n'ont ni réseau, ni argent, ni outil entre leurs mains et qui inventent une
autre manière de procéder, s'introduisant parfois dans le chas d'une aiguille
pour faire advenir leur art devant le public. Si rien n'est encore en place
pour se substituer au système en vigueur, on peut toutefois formuler le vœu que
ceux qui veillent sur lui jettent un œil attentif à ce qui bouge sous leurs
yeux et comprennent qu'en 2012, une page, peut-être, se tourne.
LES AUTEURS
SONT-ILS EN DANGER?
Les auteurs vivants français sont trop peu représentés
sur scène et le théâtre public continue d'ignorer les plumes contemporaines.
Comment survivre?
Par Joëlle Gayot
En 2004 et 2007
sortaient aux Editions Théâtrales deux anthologies : la première consacrée aux Ailleurs dramatiques de langue française de
1950 à 2000, la seconde aux Auteurs
dramatiques européens de 1945 à 2000. Au total, près d'un millier de pages
recensant des centaines de noms de toutes origines, brassant toutes les
esthétiques, tous les langages. Sauf à penser qu'un cataclysme se soit produit
depuis, on ne peut imaginer que ces auteurs soient passés par pertes et
profits. Mais le bruit de leur extinction persiste dans une France théâtrale
qui n'aime sans doute pas à leur juste valeur les dramaturges, puisqu'elle se
contente souvent de les laisser dormir dans les rayonnages île quelques rares
librairies au lieu de les faire résonner haut et fort. Dès 1987, dans son Compte-rendu d'Avignon (éd. Actes Sud),
Michel Vinaver tirait la sonnette d'alarme et pointait l'abandon progressif par
les maisons d'éditions généralistes des collections théâtre, l'absence de
relais dans la presse, la difficulté à être représenté lorsqu'on écrit pour le
plateau. Tout ce qui hier creusait la tombe des auteurs reste d'actualité. Et
ce, malgré la politique d'aides publiques activée par Robert Abirached,
directeur du théâtre et des spectacles au ministère de la Culture de 1981 à
1988. Une politique fructueuse dont on mesure pourtant aujourd'hui les effets
pervers.
Car si les
soutiens sont effectifs, le remède se révèle pire que le mal. Certes, le
système mis en place fonctionne, même s'il est, lui aussi, fragilisé par de
désastreuses réductions financières. Du Centre national des lettres au Centre
national du théâtre en passant par Beaumarchais ou France Culture, une large palette
de ressources s'offre à l'auteur. Des subsides sont versés aux maisons
d'éditions spécialisées, des fonds apportés aux compagnies ou lieux impliqués
dans l'émergence d'œuvres originales, les commandes pleuvent, l'institution
exhibe ses bureaux de lectures, de la Colline à Théâtre Ouvert, de la
Comédie-Française au Rond-Point. Ce dispositif attentif qui n'abandonne pas
l’auteur à son sort est un refuge lorsqu'on sait qu'à moins d'être associé à la
saison d'un théâtre, ce même auteur ne perçoit pas de salaire, ne bénéficie pas
du régime intermittent mais vit du seul fruit des représentations de sa pièce.
Or, paradoxalement, c'est là que le bât blesse. Se glissant par la porte,
revenant par la fenêtre ou le soupirail, nombreux sont ceux qui, sans jamais
(ou rarement) être mis en scène cumulent les demandes de prises en charge,
slaloment de bourses en résidences et occupent indûment un territoire où se
bousculent le pire et le meilleur. Et tout aussi nombreux sont ceux qui
s'improvisent auteur sans nécessite on légitimité. Encouragé de tons côtés par
les innombrables mannes Financières, chaque quidam veut écrire du théâtre.
Dès lors, il ne s'agit plus de déplorer la mort des auteurs mais d'en
dénoncer la prolifération. Ils sont trop! Trop à se faire «passer pour» quand
seuls quelques-uns habitent la fonction à temps plein. Trop a s'imaginer qu'il
suffit de s'asseoir un été à sa table pour que naisse le théâtre. Ecrire pour
la scène, ce n'est pas juste aligner des dialogues. C'est un geste qui, à
l'égal du jeu d'acteur, de la scénographie, de l'usage de la vidéo, questionne
et renouvelle les formes de la représentation. Un geste que ici certains
renverraient volontiers au passé du théâtre. lequel théâtre, en 2012, se
revendique exclusivement de la mise en scène, oubliant au passage que ce qui
l'a aussi fondé, dérouté, fait grandir, ce sont les mots de Brecht, la radicalite
de Beckett. les audaces de Ionesco.
Comment reconnaître l'authentique de l’imitateur? Dans les années 1980,
Chéreau croisant Koltès trouvait en lui l'interprète d'une décennie marquée par
l'urbanité, la drogue, l'angoisse, la nuit, lesida. C'est une époque qui avait
rencontré son auteur. Les années 2000 tâtonnent-elles encore à la recherche de
celle ou celui qui sera leur passeur? Ce poète capable de déchiffrer et
révéler, dans ses mots, ce qu'il en est de «l'air du temps»? Possible... Ce
poète est Siins doute déjà là. Mais le tempo des années 2000, brutal et
impatient, n'autorise plus la connexion en temps réel avec ce qu'elle implique
fatalement d'erreurs et de ratages, d'insistance et d'entêtement. On préfère
dire que, non, il n'y a plus d'auteurs plutôt que de risquer la confrontation avec
l'inconnu d'une langue, vierge de toute représentation.
Alors on rend
contemporaines les tragédies, on actualise les classiques, on adapte les
romans, on va chercher à l’étranger les fers de lance des dramaturgies. A
l'heure, en France, où être auteur et n'être que ça est un choix de vie quasi
surréaliste, écrire pour le théâtre, authentiquement, devient un geste voué à
l'obsolescence et au silence. Comment ne pas s'étonner et s'attrister lorsqu'on
voit le défrichage accompli par le théâtre privé qui, quoi
qu'on pense de
ses choix, ose innover en montant les textes de plumes vivantes, quand l'ensemble
du théâtre public préférera toujours exhumer Shakespeare, Tchékhov, Molière.
Et puis, si les
auteurs vivants veulent être entendus, ne doivent-ils pas se prendre en main ? Joël
Pommerat Valère Novarina, Pascal Rambert et bien d'autres ne se le sont pas
fait dire deux lois, et ils sont leurs propres metteurs en scène. Si les
auteurs vivants veulent être interprétés, ils n'ont qu’à franchir les portes de
la Madeleine, du Marigny ou s'envoler pour l'étranger, à l'instar de Yasmina Resa
S'ils veulent être joués, ils n'ont qu'à prendre rendez-vous aver Claude Régy
et Patrice Chéreau ou ressusciter Roger Blin. Ou sinon, ils n'ont qu'à mourir
pour de bon et leur heure viendra. Comme Jean-Luc Lagarce dont le talent restera
à jamais
post-mortem. Mais que les futurs Brecht, Beckett, Pinter, Kane, Koltès se
rassurent : les écrits restent. Les mises en scène, elles, passent.
CHIC, L’ACTEUR
FRAINÇAIS N ENNUIE PLUS !
Tout bouge, très vite. L’acteur n'est plus aujourd'hui
un passeur, un porte-voix, mais un performer physique, instinctif.
Par Joëlle Gayot
Roland Bertin,
Sami Frey, Serge Merlin brillent au firmament d'une rentrée parisienne inscrite
sous le haut patronage des icônes du théâtre français. Ceux-là n'ont rien à craindre
du temps qui passe: leur talent ne s'use pas avec l'âge et, comme les meilleurs
crus, il se bonifie de spectacle en spectacle. Ces mythes vivants tracent un sillon
qui échappe aux grilles de lecture. Il n'y a, les concernant, pas de recette à
reproduire car c'est l'humain, et l'humain seul, qui les a fait tels qu'ils
sont : uniques.
STARS, PASSEZ
VOTRE CHEMIN
Le théâtre privé aime particulièrement ces figures phares qui n'hésitent pas
à franchir la ligne rouge entre lui-même et le subventionné, affirmant par
leurs allers et retours une liberté affranchie des chapelles, la seule mention
de leur nom suffisant à drainer les foules. Du côté du théâtre public, la donne
est autre. Aux têtes d'affiches, on préfère l'idée de la troupe soudée au
service du texte et de la mise en scène. Stars, passez votre chemin, ici c'est
l'équipe qui prime.
Ce parti pris louable connaît son revers de médaille. Celui de couler dans
un même moule des spécificités rendues invisibles à force de mises aux normes.
D'où les reproches à l'encontre d'un jeu français sans éclat ni originalité,
soumis aux consignes en vogue. Le cérébral, l'intellect, la musicalité de la
profération vendus comme le fin du fin, sont de ces modes qui ont eu la peau
dure et les effets pervers : la tête, de plus en plus, s'est délestée du corps,
suivi, dans sa chute, par l'instinct, le sentiment et l'émotion. Cette
manière-là a vécu. l'acteur français renaît au monde contemporain qui bruisse
de parlers métissés au cinéma, à la télé et surtout dans les rues.
De plus en plus éclatent sur les plateaux des caractères, des personnalités
qui brisent des cadres de jeux répétitifs et prévisibles. Dans les écoles, on
ouvre les portes à l'altérité. Ce ne sont plus seulement les belles gueules, les
jolis timbres de voix et les déclamations parfaites qui sont recrutés mais les
gueules tout court, les voix cassées ou les débits hachés, même s'il manque
encore cruellement le concret d'une vraie mixité. Un coup d'œil sur les
distributions qui viennent des Etats-Unis en dit long sur l'absence dont
souffre un théâtre français encore trop peu accessible aux minorités.
L'EMPLOI CE FLÉAU
Et comment ne pas
s'insurger contre ce fléau auquel reste vissée une France rétrograde :
l'emploi. Une petite boulotte ne joue pas les princesses, une grande liane
n'est pas femme de ménage. Un gros, et chauve de surcroît, n'a pas a séduire.
Un beau blond ne saurait être vicieux. Pourtant, on ne trouve rien à redire aux
spectacles étrangers qui ramènent sous nos yeux, par vagues régulières, des
acteurs qu'on redécouvre dans des rôles hétéroclites et inattendus. Personne ne
bronche devant les troupes allemandes où chaque comédien circule indifféremment
d'un personnage tragique à un héros comique. Mais les Allemands, les Polonais,
les Russes sont rompus à l'exercice du jeu qu'ils pratiquent quasi quotidiennement.
L'évidence avec laquelle ils s'immiscent d'un registre au registre opposé
évacue les critiques. Ils sont mobiles et efficaces. C'est ce que visait Antoine
Vitez qui propulsait, dès le cours terminé, ses élèves de Chaillot devant le
public, sans latence ni temps mort.
Or des temps
morts, Facteur français en connaît, et plus qu'il ne voudrait. Le statut
d'intermittent du spectacle, lui permettant financièrement des arrêts
prolongés, ne fait-il pas de lui, aussi, un intermittent du jeu? Celui qui ne
pratique pas intensivement n'entretient pas le muscle du comédien : c'est cette
leçon qu'assènent les troupes d'Europe de l'Est. Et c'est précisément contre
cette vacance du temps, temps perdu à jamais, qu'à lutté Gwenaël Morin
lorsqu'il a pris d'assaut les Laboratoires d'Aubervilliers avec son Théâtre
permanent. Lieu où,
à toute heure, on
voyait des acteurs au travail. Sursaut salutaire qui prouve que le théâtre,
conscient de ce qui le menace de routine et d'immobilité, cherche en lui même
les ressources
de sa
métamorphose.
Ainsi en va-t-il,
par exemple, des langues qui s'inventent et mettent ce fameux corps en action.
André Marcon ou Agnès Sourdillon doivent à la prose de Valère Novarina leur mue
en «acteurs créatures» révélant un au-delà des mots où se meuvent tout de go
jambes, bras, torses, ventres et cerveaux. L'écriture contemporaine se faufile
dans les schémas figés du jeu à la française, fissurant des habitudes enkystées
qui poussent certains à réitérer éternellement les mêmes mélodies, quelle que soit
la partition engagée. Ceux qui acceptent de se laisser sculpter de l'intérieur par
ces langages qui les traversent donnent en retour du volume
aux souffles des
écrivains.
ACTEUR CRÉATEUR
On demande
aujourd'hui à l’acteur d'être son propre metteur en scène. On exige qu'il
devienne créateur de ce qui sort de ses lèvres. C'en est fini des canons
académiques, porteurs d'un soi-disant bon goût qui n'est, en vérité, que hiératisme.
Il ne s'agit plus d'être passeur, relais ou porte-voix, mais de « performer »
syntaxes et pensées. Nuance subtile qui fait du jeu un acte, à chaque seconde
inaugural.
Depuis quelques
années déferlent des mises en scène, qui font de l'interprète le co-auteur de
la représentation. Vincent Macaigne ou Sophie Perez fomentent cette révolution,
qui le consacre à l'origine du tout. Un jeu «total» se profile, qui prend en compte
non le nombre de muscles ou les kilos en trop, mais la personnalité des individus.
C'est avec ce qu'on est dans la vie (vindicatif, plaintif, séduisant) qu'on
devient ce qu'on joue sur la scène.
Le réel est passé
par là, qui rénove le théâtre à grands coups de vérité. Un réel redevable aux
mutations apportées par la danse, laquelle a su ouvrir ses tapis de sol aux
amateurs, aux personnes âgées ou handicapées, tout en portant au bout de sa
logique ce qui s'est appelé la «non-danse». C'est bien de cet art frère que
s'inspire le jeu français contemporain. Aujourd'hui jouer, c'est in fine ne plus jouer. Ou du moins en
donner l'apparence. En attestent les tg Stan, la compagnie des Chiens de
Navarre ou celle des Possédés. Jouer, c'est être dans l'instant et y être tout
entier. Et susciter, à chaque seconde de sa présence en scène, l'accident,
l'inattendu, l'imprévisible.
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