sur Rappels
Grande gueule, atypique, nécessaire. Myriam Boyer est une actrice à part : elle n’est jamais tombée dans la facilité. Pourtant, elle a toujours su rencontrer le public.
Après avoir joué plus de trois cent fois La Vie devant soi, elle reviendra bientôt pour nous raconter le destin passionné et fracassé de Fréhel.
Souriante, chaleureuse, elle pose sur le théâtre un regard sans concessions.
Rencontre avec une comédienne dont le théâtre a vraiment changé l’existence.
Rappels. Vous serez bientôt de retour sur les planches. Après avoir été une magnifique Madame Rosa, dans La Vie devant soi, (photo ci-contre) vous interprétez Fréhel. Cela a-t-il été facile à monter ?
J’ai fait tous les théâtres, et personne n’en voulait. On me disait : “Mais Fréhel, tout le monde s’en fout”… Mais La Vie devant soi, il y a dix ans qu’ils essayaient de la monter quand ils me l’ont apportée. Et il en a encore fallu deux de plus avant de pouvoir la monter. On m’a proposé cette pièce mais j’étais déjà sur le Blier (NDLR: Le Bruit des glaçons, film de Bertrand Blier et Désolé pour la moquette, pièce de Bertrand Blier au Théâtre Antoine) et j’ai dû décliner. Ce n’était pas le moment. Puis, après le film, je me suis dit : “Si ça n’a pas été monté, si ça n’a pas avancé, je la prends”. Parce que c’est ce que je voulais faire. On m’a répondu que personne ne connaissait Fréhel, que c’était vieux… Et quand je l’ai jouée en Avignon, les gens ont dit : “C’est formidable. C’est une sacré bonne femme”. Eh oui ! Elle a eu une vie tellement incroyable : son amour avec Maurice Chevalier qui lui avait promis de l’emmener sur la Riviera, la trahison avec Mistinguett. Là, c’est une grande histoire d’amour et une bonne femme étonnante. Qui s’est saccagée. C’est Amy Winehouse. Les deux ont bouffé la vie par les deux bouts.
On sent que vous avez une affection particulière pour ce genre de personnage à fleur de peau.
J’ai toujours aimé ces gens-là. Patrick Dewaere c’était mon pote, Philippe Léotard, c’était mon pote. Le problème, c’est que des gens comme ça font peur aujourd’hui. Ils font très très peur. Parce qu’on est dans le pognon. On ne mise plus sur des gens comme ça. Alors que je n’ai jamais vu Patrick planter quoi que ce soit. J’ai joué un paquet de fois Combat de nègre et de chiens de Koltès, mis en scène par Chéreau à Nanterre avec Léotard, et les gens se demandaient chaque soir s’il allait réussir à tenir jusqu’au bout de la représentation : il ne m’a jamais lâchée. Et des génies comme ça, sur scène, on ne les retrouve plus. C’est fini. Donc je les aime. Alors, les jouer… Maintenant, je peux me le permettre.
Le théâtre, ce n’était pas une évidence pour vous ?
Ça ne peut pas. Je viens d’un milieu où ça ne peut pas être une évidence. J’y étais allée avec l’école, et encore… Ce monde-là, ce n’était pas accessible, pas envisageable. Ce n’est pas raisonnable. Il faut vraiment un accident de la vie pour que, tout d’un coup, ça devienne possible. Alors aujourd’hui, dans les milieux bourgeois, ça fait bien de dire “Mon fils est au cours Florent”, mais à l’époque, non. Heureusement pour moi, à l’époque, ça ne faisait pas bien, dans les milieux bourgeois, de dire: “Mon fils est au cours Florent”. Du coup, ça nous laissait plus d’entrées quand on ne venait de rien. Alors, même si elle n’avait rien contre, ça inquiétait quand même ma maman au début. Parce que je ramenais de l’argent avec mon travail. Mais grâce à mon accident, j’ai pu, pendant cinq mois, être payée et jouer. Et quand j’ai repris le travail, je faisais de la figuration, le soir.
Au début, j’ai dû faire les deux. Et à 18 ans, je me suis mariée avec Cornillac pour pouvoir venir à Paris. J’ai débarqué à la Maison des Jeunes de Montreuil, je payais cinq cents anciens francs, cinq francs, pour un petit déjeuner, et j’ai passé le concours de la Rue Blanche. J’ai appris une scène de Molière. Juste une scène. Je n’avais même pas lu le reste de la pièce.
Vous racontez ça avec le sourire, pourtant, ça n’a pas l’air très confortable ou joyeux comme période ?
C’est miraculeux. Tout était dur, d’accord. Je ne savais pas de quoi serait fait le lendemain, j’étais enceinte très jeune, mais tout était tellement incroyable que je m’en foutais. Après, j’allais gagner ma vie à la télévision où on était payé à la ligne. C’était un grand couloir, aux Buttes Chaumont, et ça s’appelait le couloir de la honte. Parce que c’était difficile. Les comédiens faisaient la queue devant chaque bureau et on était reçu, plus ou moins bien selon qu’on était une jeune fille mignonne ou pas, par le troisième assistant. Mais à côté de ça, je fréquentais des gens incroyables, alors ça m’allait.
Vous aviez déjà conscience, à cet âge, de l’importance et de l’intelligence de ces gens ?
J’aimais la vie. Je ne pigeais pas tout. Mon mari lisait Artaud, et entre deux biberons et la vaisselle, j’essayais de lire mais je reposais le bouquin en me disant: “Ma pauvre conne, oublie tout de suite, fais tes cachets à la télé”. Je me sentais larguée. Mais en même temps, j’étais nourrie de leurs discussions. Je ne m’en rendais pas compte mais j’entendais. C’est de là que vient, je pense, ma façon de travailler. Mon exigence. J’aime les auteurs. Je suis une des rares à avoir joué autant de créations. J’ai créé Koltès ou Laurent Gaudé. Et je suis sûre que si une gamine, aujourd’hui, veut commencer ce métier, si elle n’est pas attirée que par les paillettes, qu’elle est un peu branchée théâtre, elle se doit de dire: “C’est une carrière comme ça, que j’aimerais”. Je suis fière de mon parcours. C’est formidable de pouvoir regarder derrière et de se dire ça. Même si j’ai, plusieurs fois, pensé que ça s’arrêtait, parce que c’est évidemment moins simple quand on ne va pas vers la facilité ou le putassier. Aujourd’hui encore, il m’arrive de rester deux ans sans rien avoir. Mais quand je me lance, rien ne m’arrête.
“Je suis là pour défendre les artistes”.
Quand votre fils Clovis naît, que vous devez quitter la Rue Blanche alors que vous venez à peine d’y entrer, vous demandez-vous si vous n’allez pas reprendre la dactylo ?
Jamais. Du jour où j’ai mis les pieds dans le théâtre, j’ai su que je n’en sortirais pas. Même si c’était dur, même si j’ai eu de grandes périodes de détresse, je n’ai jamais envisagé autre chose. Pourtant, toute ma carrière a été compliquée. Dans les années 70, ça allait. Mais dix ans plus tard, les castings sont arrivés et ça, ça n’était pas pour moi. Même aujourd’hui, j’ai du mal avec les essais. J’en ai passé un, sur les huit dernières années, et ça n’a pas marché. Mais j’ai fait ma vie comme je la voulais. Je me suis remariée avec John Berry et on a vécu aux Etats-Unis. Je n’ai pas travaillé là-bas, mais je m’en foutais, j’étais amoureuse. Et du coup, je ne faisais que des choses qui me plaisaient, en France. C’est comme ça que j’ai tourné Série noire. Il n’y avait pas de sous, et ça a été pour moi. S’il y avait eu des financements, ç’aurait été quelqu’un d’autre. Je n’ai jamais eu droit au tapis rouge. Derrière Combat de nègre et de chiens : quatre ans sans théâtre. Et quand j’y reviens, c’est parce que l’assistant de Chéreau monte quelque chose. Heureusement que j’ai eu la télé.
Vous avez refusé beaucoup de choses ?
On me dit que j’en refuse plus que je ne crois. Mais parfois, je n’ai même pas l’impression qu’on me les a proposées. Quand c’est des merdes, je n’ai pas le sentiment de refuser. C’est trop évident que je ne vais pas le faire. Je ne me rends pas compte que je dis non. Et je n’ai aucun regret. Je n’ai rien raté. La vie est importante et j’ai eu une belle vie. Ce n’est pas parce que je joue que je vis. Je n’y vais que si c’est beau, que si ça raconte quelque chose. Il faut que je défende quelque chose d’humain.
Vous êtes très proche des auteurs. Qu’est-ce qui vous attire chez eux ?
Avant les idées, les mots. Au théâtre, on ressent souvent quelque chose d’assez merveilleux. Quand vous rentrez dans le texte, quand vous le possédez, il pourrait presque jaillir tout seul. Il y a quelque chose que vous avez compris. Koltès a une musique, par exemple. C’est assez fascinant de s’en rendre compte. Le théâtre offre la possibilité, parce qu’il donne le temps et qu’il creuse, de trouver la profondeur des choses… On trouve des virages. Personne ne les voit, personne ne les entend, mais finalement ça résonne quand même. C’est ça, le théâtre.
Entre votre départ, en 68, de l’école de la Rue Blanche et le Koltès en 1982, vous ne jouez pas au théâtre, sauf quelques rôles de figuration. Ça ne vous manque pas ?
Je pensais que je ne ferais pas de théâtre. J’ai fait de belles choses, de jolis films d’auteur, mais pas de théâtre. J’avais débuté avec des gens, et je ne comprenais rien à ce qu’ils faisaient. C’était des théâtreux. Et c’est péjoratif, quand je dis ça. Ce sont des gens qui se complaisent à compliquer les choses pour se donner des airs plus intelligents. Moi, je trouve qu’il faut amener les textes au public comme si ça coulait de source. Quand on arrive à faire de quelque chose de compliqué un truc évident et léger, j’adore. Quand on est dans la complication de la complication, je fuis. Je ne suis pas une intellectuelle, alors quand je tombe sur des tordus, je m’en vais. J’aime travailler simple et accessible. Sinon je suis malheureuse et ce n’est pas ma place.
“Je trouve qu'il faut amener les textes au public
comme si ça coulait de source”.
Qu’est-ce qu’une bonne pièce, selon vous ?
C’est quand on nous apporte quelque chose qu’on ne connaît pas encore, quelque chose de nouveau. Quand on rentre chez soi différent de ce qu’on était quand on est arrivé. Soit parce qu’on a bien rigolé, soit parce qu’on a entendu quelque chose. Même une seule phrase. Il y a encore de bonnes pièces aujourd’hui, mais il y en a d’autres, qui se montent, dont on se dit : c’est dommage. Et pour les comédiens, c’est pareil… je trouve qu’on leur a monté la tête d’une drôle de façon.
C’est-à-dire ?
Quand j’ai fait partie des jurys des écoles, je me suis rendu compte qu’ils ont une intelligence des textes que, moi, je n’ai jamais eue mais qu’ils sont déjà un peu formatés. Et le problème, c’est qu’ils se sont formatés tout seuls. Ils ont tout vu. Ils ont trop zappé. Ils ont trop fait d’arrêts sur image. Ils ne se rendent pas compte qu’ils ont perdu leur créativité. Ils ont perdu l’instinct. Il faudrait parfois casser tout ça. Il faudrait aller chercher quelque chose de plus personnel. Mais c’est difficile de l’être et de le faire dans notre époque. Il faut avoir la patience de se découvrir soi-même. On ne leur laisse pas le temps. Moi, j’ai eu la chance de découvrir des choses en les jouant. Chéreau dit toujours qu’un acteur, si tu le laisses faire, va directement aller au sommet de la montagne mais par le plus simple. Alors que, parfois, c’est bien aussi d’aller chercher le contresens. D’arriver au sommet par un autre chemin. Il faut chercher.
C’est compliqué le théâtre aujourd’hui ?
Oui, c’est délicat. Délicat d’être une femme, déjà. Il n’y a pas l’équivalent de Robert Hirsch ou de Michel Bouquet. On ne monte pas des grands projets avec des femmes. Pourtant, il y en a. Mais on préfère mettre des comiques que des pièces de théâtre. Avant, c’était des maisons de la danse. En fait, on va de plus en plus vers la facilité. Il y a beaucoup de merdes aujourd’hui, et j’ai peur qu’on s’y habitue. Et puis, il n’y a pas de passerelle entre le public et le privé. Moi, le subventionné me boude. Il m’a tourné le dos. Et ça, ça me fait de la peine. Mais il faut se battre pour y arriver. Les théâtres ont peur de ce que je fais. C’est pour ça que je suis passée par Avignon. Pour donner sa chance à ce projet. Il faut faire confiance aux gens, au public. On est de moins en moins avec les artistes. C’est dommage. C’est pour ça que, moi, je suis aux Molières, à la SACD. Pour les défendre. Pour les faire entendre.
Propos recueillis par Nicolas Roux
1 commentaire:
Myriam Boyer est vraiment une comédienne exceptionnelle ! ... de part son parcours, de par les pièce qu'elle joue ! J'ai eu la chance de la voir jouer deux fois dans La vie devant soi ! Je ne peux l'oublier !
Thierry Avrain
Enregistrer un commentaire