mardi 10 novembre 2009

Dimitriadis un théâtre où l'on ne perd pas son temps....encore à l'Odéon


Dimitris Dimitriadis en majesté à l'Odéon
LE MONDE | 09.11.09 | 15h47 • Mis à jour le 09.11.09 | 15h47


Avec Dimitris Dimitriadis, c'est un auteur aussi considérable que méconnu que Paris s'apprête à découvrir. Le Théâtre de l'Odéon consacre tout un cycle, au long de la saison, au dramaturge grec, âgé de 65 ans, qui est aussi poète, romancier et essayiste : trois spectacles - le premier, Je meurs comme un pays, se joue jusqu'au 12 novembre aux Ateliers Berthier -, des lectures, des rencontres, des publications avec les éditions Les Solitaires intempestifs. De quoi plonger dans une oeuvre d'une puissance peu commune, qui explore les zones les plus obscures de l'humain.




SPECTACLES, RENCONTRES ET PUBLICATIONS
"Je meurs comme un pays", mis en scène par Michael Marmarinos. Dans le cadre du Festival d'automne, aux Ateliers Berthier, jusqu'au 12 novembre.
"Le Vertige des animaux avant l'abattage", mis en scène par Caterina Gozzi. Aux Ateliers Berthier, du 27 janvier au 20 février 2010.
"La Ronde du carré", mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti. Au Théâtre de l'Odéon, du 14 mai au 12 juin 2010.
Renseignements : Théâtre de l'Odéon, tél. : 01-44-85-40-40.

Des lectures, rencontres et tables rondes : jusqu'en mai. Lundi 9 novembre à 19 heures, rencontre publique aux Ateliers Berthier. Entrée libre sur réservation. Tél. : 01-44-85-40-37.

Des publications, aux éditions Les Solitaires intempestifs. Les pièces : "La Ronde du carré", "Phaéton", "Chrysippe", le triptyque de "L'Homériade" ("Ulysse", "Ithaque", "Homère"). Un recueil de textes théoriques : "Le Théâtre en écrit".


L'homme que l'on rencontre en cette grise journée de novembre est pourtant chaleureux et vivant, comme savent l'être les intellectuels grecs de sa génération. Dimitris Dimitriadis s'est fait connaître en France en 1968. Il était étudiant en théâtre et en cinéma à l'Institut national supérieur des arts du spectacle de Bruxelles. Il parlait déjà parfaitement la langue de Molière, qu'il avait apprise au lycée français de Thessalonique.

Il a alors écrit sa première pièce, Le Prix de la révolte au marché noir, directement en français, et comme un exercice d'école. Le texte a séduit un tout jeune metteur en scène : Patrice Chéreau, qui l'a monté à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Puis, plus rien, ou presque, pendant des années. Dimitriadis était rentré en Grèce : "Je ne pouvais pas m'abstraire de ce qui se passait dans mon pays. Je voulais plonger dans la réalité nue."

La "réalité nue", en Grèce, entre 1967 à 1974, c'est la dictature des colonels, dont Dimitris Dimitriadis ne veut pas parler directement, pour ne pas être catalogué comme auteur politique. Il se contente de suggérer que cette période, où, jeune homme, il a été mobilisé dans l'armée, a été pour lui d'une telle violence, d'une telle absurdité, qu'elle a failli l'anéantir.

Pendant dix ans, il n'écrit plus. Il survit en traduisant, en grec, Blanchot, Beckett, Genet ou Bataille, Molière ou Shakespeare. Mais, de cette longue nuit, il extrait soudain, en 1978, un texte au souffle exceptionnel : Je meurs comme un pays - qui ouvre, donc, le cycle présenté à l'Odéon. Un diamant noir comme en produit de temps à autre la littérature, qui plonge dans les bas-fonds de l'homme par la force d'une langue brûlante, torrentielle.

En cette fin des années 1970, la Grèce revit. Mais Dimitriadis mettra encore quelques années à trouver sa voix. Il écrit des pièces monstres, dont personne ne veut. Il traduit, toujours, Gombrowicz, Duras, Sartre ou Cioran. Mais, peu à peu, son rapport à l'écriture, proche de celui de Blanchot - "être au service de quelque chose qui nous dépasse" -, sa conception d'un théâtre poétique, libèrent une puissance, une maîtrise formelle qui ne se démentiront plus.

C'est la deuxième période Dimitriadis, celle de la fin des années 1990, à laquelle appartient la deuxième pièce qui sera montrée à l'Odéon : Le Vertige des animaux avant l'abattage. Pièce on ne peut plus fascinante et dérangeante. Elle met en scène une famille, dans toute sa banalité, soudainement confrontée à sa propre sauvagerie. Mais la manière dont Dimitriadis fait advenir la catastrophe est si singulière, si étrange, qu'elle pose des questions abyssales.

L'oeuvre théâtrale de l'auteur - une trentaine de pièces, dont plusieurs, grâce au cycle de l'Odéon, sont en cours de traduction en français - a à voir avec le tragique. Ce tragique qui constitue, selon lui, "la matrice" de la Grèce et du théâtre occidental. Dimitriadis a d'ailleurs écrit plusieurs pièces à partir de Médée ou d'Antigone. Il ne s'agit pas chez lui d'un retour à des formes anciennes, à une tradition. "Il faut être absolument moderne", dit, en citant Rimbaud, ce grand connaisseur de Claude Lévi-Strauss, qui a eu pour lui une importance "énorme".

"J'écris un théâtre qui cherche à faire apparaître les structures les plus enfouies de l'homme", observe-t-il. La troisième et dernière pièce du cycle de l'Odéon, La Ronde du carré, écrite tout récemment, témoigne de cette modernité. Elle est, elle aussi, fascinante et mystérieuse : sorte de Rubik's Cube théâtral, explorant de manière inédite l'incommunicabilité entre les êtres.

Dans l'oeuvre protéiforme de Dimitris Dimitriadis, le théâtre occupe une place particulière : "C'est l'art qui se rapproche le plus du processus de la vie même, constate-t-il. Nous sommes de l'étoffe de l'inconnu, de l'inconnaissable, de l'incompréhensible, de l'impensable, de l'imprévu, de l'incontrôlable et de l'irréalisable (...), écrit-il dans un texte théorique. Le théâtre, congénère de cette étoffe, constitue la tentative la plus risquée de (se) connaître, de (se) comprendre, de (se) penser et de (se) réaliser en tant qu'existences perdues et mortelles - tentative irremplaçable, toute destinée et toute prête à se donner à cette tâche, telle, sortie de la tête de Zeus, Athena."

La mère de Dimitris Dimitriadis, qui a joué un grand rôle dans sa vie, s'appelle Athena. Cela ne s'invente pas.

Fabienne Darge

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