Newton et sa pomme
Une rétrospective
est consacrée au photographe Helmut Newton,
mondain vorace et extralucide
Par Olivier Steiner
Coincé entre la naissance et la mort, se trouve le royaume des faits. En
dehors de ce territoire tout est littérature, vanité et poursuite du vent. Nous
sommes à Berlin le 31 octobre 1920. Le bébé qui vient de voir le jour s'appelle
Helmut Neustaedter. La maman est une Américaine à la poitrine opulente, le papa
est juif allemand, industriel et marchand de boutons. L’enfant a un demi-frère,
Hans, de dix ans son aîné. Très vite l’observation attentive du monde devient
son passe-temps favori.
La scène se passe le temps de la traversée d'un dirigeable dans le ciel. Il
est sur le balcon de l'appartement familial et il regarde : dans la rue il y a
une bataille rangée entre flics, nazis et communistes, une femme court dans la
direction opposée. Le silence est énorme. Helmut perçoit la vie comme un
ensemble de signaux contrastés, à la limite du réel.
Il a 7 ans et le voici sur les genoux d'une « fée » aux cheveux de feu,
c'est Erna la Rouge, prostituée aux allures de guerrière, équipée de cuissardes
et cravache. Il a 12 ans et achète son premier appareil photo, un Box Tengor
Agfa, qu'il étrenne dans le métro. Avide d'images, il fait le tour de tous les
kiosques à journaux, voit L'Ange bleu
au cinéma, découvre Murnau, feuillette la presse à sensation, des magazines
photo. Un jour il tombe sur un cliché signé von Perck-hammer et il a un début
d'érection : des blondes à la peau blême dans une BMW! Il est envoûté.
II a 15 ans et sa vie s'articule autour de trois centres d'intérêt : la
photo, la natation et le sexe (ou du moins sa possibilité). Il étudie au lycée
Werner von Trotschke puis à l'école américaine, II lit Arthur Schnitzler et
Stefan Zweig. Sa mère le place comme apprenti auprès d'Yva, célèbre photographe
berlinoise qui sera tuée à Auschwitz. Avec elle il s'initie au portrait et à la
photographie de mode. Six mois plus tard il obtient son certificat, mais, à
cause des lois de Nuremberg, il ne peut prétendre qu'à des postes de
subalterne.
1938. La Nuit de cristal précipite les choses. Sa mère organise la fuite du
fils aimé. Il se retrouve seul sur un bateau en partance pour Shanghai. Grâce à
son accréditation de photographe, il est sélectionné pour faire escale à
Singapour. Il se retrouve affecté au carnet mondain de The Straits Times, principal quotidien de la ville. Il travaille
mal et se voit remercié au bout de deux semaines. Sous le pseudonyme d'Helmut
Marquis, gigolo mondain, il vit désormais dans le luxe de l'hôtel Raffles,
protégé par une femme riche plus âgée que lui, Josette Fabien, mais un problème
administratif va changer la donne. Son passeport expire. En tant qu'apatride il
reçoit un avis de la police qui l'informe de son transfert dans un camp
d'internement près de Melbourne
II a 20 ans et ce n'est décidément pas le plus bel âge de la vie. Suivent
des mois d'abstinence sexuelle, à nettoyer les latrines, avant de se faire
enrôler de force dans l'armée où il est affecté à la logistique. Mais bientôt
c'est la Libération et il se voit offrir la nationalité australienne. Il en
profite pour changer de nom : Newton lui semble être la meilleure traduction de
son patronyme. Ça sonne bien, Newton, ça tombe bien, comme plus tard tomberont
bien les smokings Saint Laurent.
1948. Il épouse l'actrice australienne June Brunell (des années plus tard elle se lancera
elle aussi dans la photographie sous le nom d'Alice Springs) et le jeune couple
s'installe à MeIbourne. Newton devient photographe indépendant mais hors de
question d'être un artiste maudit. Pas de culpabilité judéo-chrétienne, pas de
conception idéaliste de l'art au-dessus de toute contingence, Newton veut
seulement faire des photos, n'importe quelles photos, et il compte bien se
faire payer. Tout est bon tant qu'il travaille : photos de mariage, portraits,
catalogues publicitaires... Il a 37 ans et signe un contrat d'un an à Londres
avec Vogue. Les Newton regagnent
l'Europe mais Helmut déchante vite : Carnaby Street et le « Swinging London »
ne sont pas encore là et tout ce qu'on lui propose est hautement soporifique,
l'Angleterre reste résolument victorienne.
1956. Il débarque à Paris au volant d'une Porsche blanche, décroche un job
au Jardin des modes, mais cette fois
il impose ses conditions : « Une femme ne vit pas dans un studio devant un fond
de papier blanc. » Il veut réconcilier la mode avec le monde réel : il shoote
en extérieur, dans la rue, marre des préliminaires. Ses modèles seront
dominantes, irrévérencieuses, sexuelles, libres, provocantes. Il veut faire du
beau avec du faux, il veut dire la vérité avec du mensonge. « Les plus beaux
gazons ne sont-ils pas en plastique ? » Le monde qu'il va photographier sera
dominé par l'argent, le sexe et le pouvoir. Il veut des palaces, des villas,
des piscines à débordement, des voitures de luxe, des jets privés, des
hommes-objets au service de femmes puissantes, déesses disponibles et distantes
à la fois. Il est le contraire de quelqu'un de cynique : « Photographier la
pauvreté du haut de mon objectif, voilà ce qui serait moralement dérangeant. »
II ne fait pas de la philosophie ou de la sociologie, il s'amuse, se rince
l'œil au passage, c'est tout. Et les propositions affluent : Elle, Queen, Playboy, Nova, Marie-Claire,
Stern... Sa carrière décolle. L'œil est le prince de l'univers. Newton
règne sur un monde sophistiqué et cru, un monde où la femme est omniprésente.
Il a banni de son vocabulaire les mots « romantique » et « sentimental ».
Provocation, ironie, rébellion, mauvais goût, vulgarité ? Peut-être. Mais ne
pas trop se fier aux apparences. La pudeur, la rigueur et l'élégance peuvent
porter des masques tout à fait paradoxaux.
1964. Il déclenche un scandale politique international lors de la parution
dans le Vogue France d'un roman-photo
restituant l'histoire d'une espionne russe hyprasexy, séductrice et
dominatrice, s'apprêtant à franchir le mur de Berlin. Les constipés et les
bien-pensants s'indignent. Il est ravi. Avoir mauvaise réputation n'a aucune
importance, ce qui compte c'est d'être à la hauteur de cette mauvaise
réputation.
1971. Alex Liberman du Vogue
américain fait appel à lui : « Montrez tout mon cher Helmut. » Le
photographe fait des séries de nus, des Polaroid, s'inspire de l'univers
sadomasochiste, il y aura des billets de banque, des talons hauts, des clopes,
des flingues dans la bouche de filles sublimes. Pour lui on inventera le
concept de « porno chic ». Les féministes le détestent, le monde de l'art les
méprise, on le surnomme « Newton le sournois ». Au début des années 1980 il
quitte Paris pour s'installer à Monte-Carlo. Lorsqu'on lui demande la raison de
son départ il répond que ça fait vingt ans que le percepteur français lui
ponctionne 70 % de ses revenus. Il s'éloigne un temps de la mode pour se
consacrer aux portraits mais, quand Anna Wintour vient le voir, il rempile pour
le Vogue US. Il vit désormais entre
Los Angeles et Monaco, travaille le plus souvent sans équipe, à l'arrache, avec
un matériel rudimentaire, presque à l'instinct.
Octobre 2003. Il offre la totalité de ses archives à la ville de Berlin.
2004. Il a 83 ans. Lancé sur Sunset Boulevard au volant de sa Cadillac, il
est victime d'une attaque cardiaque et meurt en percutant l'un des murs du
Château Marmont. Certains hommes persévèrent dans leur être jusque dans la
mort. Selon ses dernières volontés il repose au cimetière de Schöneberg auprès
de celle qu'il n'a jamais photographiée, son ange bleu, Marlène Dietrich.
La cambrure de l'orgasme que marcher dans des chaussures à talons rapportait un grand créateur styliste de chaussures
Christian Louboutin
Newton et sa pomme (dans Le Magazine Littéraire)-magazine différent de magasin : je viens de comprendre pourquoi, je manque toujours d'écrire magasin avec un Z, vieillir c'est lire dans ses lapsus, actes manqués, projections sur des gens plutôt que d'autres, prévenir ces colères infondées et vis à vis d'une personne de substitution en général très proche, de préférence.... !?
Ce fut le 1er journal après Strange, Mandrake, Mickey et Nano Nanette que j'achetais de mes sous, le Magazine littéraire. Ma base de données dans l'enfance, c'était un magasin de jouets tenu par mes parents : "Tout pour l'Enfant" devenu "la Gaminerie" et à l'adolescence Le Magazine Littéraire ! . Je suis très émue de trouver donc cet article et de racheter ce Magazine. J'en ai plein de vieux exemplaires reliés à la cave.....