mardi 14 juillet 2009

A propos de la sincérité au théâtre, Peter Brook : extrait


Extrait de l'espace vide de Peter Brook, traduction Christine Étienne et Franck Fayolle, Éditions du Seuil, Paris 1977

C'est un livre indispensable, pour le plaisir maîtrisé...
la sincérité
(...)" Le plus difficile pour un acteur est d'être sincère et pourtant détaché. On a inculqué à un acteur que la sincérité est tout ce qui compte. Ce mot de sincérité, avec sa coloration morale est source de confusion. D'une certaine façon, la qualité la plus puissante des interprètes de Brecht est leur "insincérité". Ce n'est que grâce à la distanciation que l'acteur peut prendre conscience de ses propres clichés. Le mot sincérité cache un dangereux piège. Qu'est-ce qu'un acteur débutant découvre en premier ? Que son métier est difficile et qu'il exige de lui certains talents. Par exemple, il faut qu'on l'entende; que son corps lui obéisse; il doit être maître de son rythme et non pas esclave du hasard. Il étudie donc un certain nombre de techniques et acquiert vite du savoir-faire. Le savoir-faire peut rapidement devenir source de fierté et fin en soi. Il devient de la dextérité sans autre objet que sa propre démonstration. En d'autres termes, l'art devient "insincère". Le jeune acteur qui se rend compte de l'absence de sincérité des acteurs chevronnés est dégoûté. Il recherche la sincérité. La sincérité est un mot lourd de sens. Comme la propreté, il provoque des associations d'idées avec des notions acquises pendant l'enfance. : la bonté, la franchise, la correction. La sincérité semble un bon idéal, un but préférable à l'acquisition de la technique, et comme c'est un sentiment on peut toujours savoir quand on est sincère. Si bien que l'on dispose d'un fil conducteur. On peut trouver sa voie vers la sincérité en faisant don au public de ses émotions, en se donnant, en étant honnète, en travaillant "sans filet" ou comme disent les Français "en se jetant à l'eau". Malheureusement, le résultat peut-être détestable. Dans n'importe quel autre forme d'art, le créateur, si profondément uni soit-il à son acte de création, peut toujours prendre des distances et examiner le résultat. Quand le peintre s'écarte de sa toile, certaines facultés peuvent entrer en jeu qui l'avertiront aussitôt de ses excès. Chez un très bon pianiste, la tête est physiquement moins impliquée que les doigts, et même s'il est "emporté" par la musique, son oreille lui permet un minimum de détachement et de contrôleobjectif. La difficulté du jeu scènique est que l'acteur ne dispose que de lui même, que ce matériau mystérieux, perfide et changeant. On demande de prendre à la fois de la distance et d'être engagé - d'être détaché sans attachement. Il doit être sincère et ne pas l'être. Il doit s'entraîner à n'être pas sincère avec sincérité, à mentir avec franchise. Cela est à peu près impossible et pourtant essentiel."

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