samedi 11 juin 2011

Michel Fau au Théâtre des Bouffes du Nord et dans Rappels



Courteline en dentelles, en ce moment au Théâtre des Bouffes du Nord, nous y allons, Mercredi.
LECTURE avec Michel Fau et Jérôme Deschamps
http://www.bouffesdunord.com/#/Saison/Fiche_Spectacle:129606098635

Michel Fau
Michel Fau est un phénomène.
Pas seulement parce que ses mises en scène récentes de Maison de Poupée et surtout de Nono ont rencontré un vif succès. Véritable bête de scène, acteur capable de toutes les outrances, il a su imposer talent en donnant sa pleine (dé)mesure à sa folie.

Rappels. Votre univers est toujours en équilibre entre le burlesque et le pathétique, quelque part entre le music-hall et le théâtre classique. D'où vous vient ce goût très particulier ?
J'ai découvert le théâtre d'une façon un peu détournée, le jour où ma mère m'a offert des marionnettes. Je devais avoir cinq ans et, jusqu'à dix ans, j'ai passé mon temps à faire de la marionnette. Je montais des petits spectacles avec mon frère Bernard qui faisait déjà les décors, en peignant des toiles de fond. Aujourd'hui, en fait, on ne
fait que reproduire cette vieille habitude enfantine quand on fait des mises en scène.
Ensuite, à dix ans, ma mère a commencé à m'emmener au théâtre voir Jacqueline
Maillan, Sophie Desmarets, Maria Pacôme, toutes ces créatures incroyables. Jean
Poiret aussi. Ça m'a bouleversé. Je me suis immédiatement dit que je voulais faire
du théâtre!

C'était donc une vocation très précoce...
J'étais jeune, oui... Et ça a été un peu l'enfer! Pour mon entourage surtout Je passais ma vie à lire enfermé dans ma chambre. Mais jamais je ne jouais avec des jouets ou des choses de cet âge-là, non, je lisais... D'autant plus que le théâtre était un plaisir rare pour nous qui habitions en province. On n'allait à Paris qu'une fois par an, le reste du temps à voir les tournées.

Pour vous, déjà, le théâtre était constitué à la fois de Jacqueline Maillan ou Maria Pacôme et des grands textes ? Il y avait déjà ces deux pôles: le spectacle et la littérature?
Oui, mais se mêlaient aussi à tout ça les opéras et les opérettes que ma mère nous emmenait voir souvent. Evidemment, je ne réfléchissais pas à ces questions de registres : je prenais tout ce que je pouvais sans distinction. Mais c'est vrai que ce mélange était assez terrible. Pendant longtemps, ça m'a semblé tout à fait naturel : je voyais beaucoup de vaudevilles donc J'étais très imprégné d'un certain burlesque, mais j'aimais aussi beaucoup le lyrisme de l'opéra et des grands textes. C'est plus tard que ça a été parfois un peu difficile à gérer. Il a fallu que je me démerde avec tout ça... Disons que, par exemple, l'emphase et le grotesque ne sont pas forcément très bien accueillis au Conservatoire...

On imagine effectivement que votre répertoire ne collait pas tout à fait à celui du Conservatoire et à son enseignement plutôt classique...
À Agen d'où je suis originaire, je prenais mes premiers cours de théâtre avec une dame qui voulait absolument gommer notre accent. Elle nous faisait donc beaucoup travailler les grands textes et j'en conserve un véritable amour des classiques. Pour ce qui est du Conservatoire, en fait tout dépend de vos professeurs. Personne n'a vraiment cherché à corriger mon mauvais penchant pour le grotesque. Au contraire,
des gens comme Pierre Vial ou Michel Bouquet ont complètement respecté ça et m'ont aidé à en faire un atout. Mais en arrivant au Conservatoire, j'ai eu une sorte de choc. J'étais totalement naïf, je voulais être Jean Le Poulain ou Paul Meurisse et tous autour de moi travaillaient Koltès avec un sérieux imperturbable. Ils étaient tous très intenses et très graves alors que moi je voulais juste être un clown ! Alors, Pendant un moment, j'ai été un peu perdu. Je sentais bien que j'étais en décalage par rapport au paysage du théâtre. Je n'osais pas dire que j'allais voir Maria Pacôme et que j'adorais ça I...

Vous ressentiez déjà cette tension entre deux types de théâtres, deux univers différents.
Oui. Je crois que ça a un peu changé depuis, mais pour moi, à l'époque, c'était quelque chose de très nouveau. Je n'avais jamais pensé faire une distinction j'allais aussi bien voir Vitez ou Régy que Jacqueline Maillan. Ce qui m'attirait, c'était les excès, la folie, quelles que soient les formes qu'elle devait prendre. Finalement, le Conservatoire a été une expérience un peu mouvementée mais qui m'a appris à affirmer qui j'étais et à identifier le théâtre que je ne voulais pas faire.

A quoi ressemblait-il, ce théâtre que vous vouliez éviter ?
A un théâtre trop sérieux, portant un discours trop didactique, ou alors à un théâtre au contraire purement commercial. Ni l'un ni l'autre ne me plaisaient, c'est d'ailleurs certainement ce qui explique que ma sortie du Conservatoire ait été très violente. Ça n'a pas été très long, mais pendant quelques années, j'ai très peu travaillé. J'ai tenté de monter des spectacles avec des camarades du Conservatoire, mais ça c'est très mal passé. Je m'étais même juré que, jamais plus, je ne referais de mises en scène !...

Le déclic à cette époque a été votre rencontre avec Olivier Py. Dans quel contexte ?
Il était au Conservatoire en même temps que moi. Il faisait déjà beaucoup de théologie, il écrivait, il se vivait comme un poète bref, tout le monde le prenait pour un fou ! Et voilà qu'Olivier s'est mis à écrire des rôles pour moi, des personnages qui correspondaient à ma folie et à mon univers. C'était inespéré.  Et les gens se sont mis, d'un seul coup, à me dire que j'étais formidable. Avant ça, on ne me le disait pas tellement !...

Jusque-là, vous aviez dû affronter un accueil un peu dubitatif. Comment le vit-on quand on est un jeune comédien plein d'énergie et d'espoir ?
C'est terrible Je suis venu à Paris sans le moindre doute. Dans mon esprit, les choses étaient claires j'allais entrer à la Comédie-Française ou devenir une vedette de boulevard. Je ne pouvais pas imaginer un seul instant que ça ne se fasse pas ! J'ai vite déchanté Mais le plus ironique, c'est que j'ai fini par devenir l'acteur d'Olivier Py dans les théâtres branchés du secteur subventionné. Pour moi qui rêvais d'être Jean Le Poulain, c'est curieux.

Malgré ces difficultés initiales, vous êtes toujours resté fidèle à ce qui avait suscité votre vocation : cette vision du théâtre finalement très ouverte, très libre.
Oui, ça n'a pas toujours été évident. Pendant longtemps je n'ai pas osé faire ce que je voulais faire, ou alors je n'osais pas le faire à fond. C'était presque un peu malgré moi, mais je voyais bien que ce n'était pas le théâtre qui se faisait. Le travail que je faisais avec Olivier m'a prouvé petit à petit qu'il y avait peut-être une place pour ce théâtre dont j'avais envie. Mais du coup, en dehors de ces collaborations j'étais souvent un peu frustré.

Vous avez pourtant développé d'autres complicités avec certains metteurs en scène Jean-Michel Rabeux à une époque, Philippe Calvario.
Bien sûr Avec Rabeux, on a fait des choses folles. Je me souviens d'un Copi qui était une aventure formidable. J'aime beaucoup la jeunesse et l'énergie de Calvario. J'ai aussi rencontré récemment Jérôme Deschamps avec qui on prépare un spectacle autour de Courteline, qu'on va jouer en le déclamant de façon très prétentieuse et affectée comme si c'était Mallarmé. On s'est immédiatement très bien entendu!...
Il y a des gens dont l'univers m'est proche, des gens assez fous, mais ils ne sont pas si nombreux. J'ai eu des expériences très douloureuses avec certains metteurs en scène parce qu'ils manquaient de folie parce qu'ils n'avaient pas d'humour, pas de chair... C'est un peu mais, malheureusement, c'est comme ça.                             

On a l'impression aujourd'hui que vous avez réussi à faire le théâtre que vous vouliez : une espèce de synthèse assez miraculeuse entre le burlesque et le classique…
Je me suis aperçu que, mis à part chez Olivier Py, le théâtre que j'aimais avait disparu, J'ai eu envie, il y a quelques années, d'être à  l'initiative des projets. Pour tenter de faire le théâtre que J'aime tout   simplement. Je me suis longtemps senti très seul dans cette aspiration donc J'ai été très agréablement surpris, et pour tout dire, assez rasséréné, de voir qu'il y avait un public pour venir voir des spectacles comme Maison de Poupée, Nono ou ma revue. Je trouve ça rassurant qu'il y puisse y avoir une place pour autre chose que le théâtre d'un Warlikowski et celui d'un Bernard Murat. Mais c'est un combat de tous les jours!...                                                         

Un combat contre qui ?
Il faut surtout se battre avec les gens qui font ce métier, avec ceux qui ont le pouvoir dans le théâtre. Les directeurs, les metteurs en scène. J'ai eu une chance folle de rencontrer Frédéric Franck, directeur du Théâtre de la Madeleine, qui a été assez fou pour parier sur moi. Alors que je n'avais jamais joué dans le théâtre privé, il m'a reçu comme prince. Il m'a donné les moyens de faire ce que je voulais. Et même quand les critiques ont été un peu dures avec Maison de Poupée, il m'a toujours soutenu, et il m'a de nouveau suivi sur Nono avec Julie Depardieu qui n avait encore jamais joué au théâtre. Il a une audace très rare dans ce métier,                                             

C'est peut-être un peu excessif, mais on vous sent presque "libéré"...
D'une certaine façon, les choses se sont simplifiées dans mon esprit : je n'hésite plus à faire ce que J'ai envie de faire. Je ne m'interdis plus de faire ci ou ça parce que ça pourrait être mal perçu. Là, après un Guitry qui succédait à une pièce d'Ibsen, je trouvais intéressant de monter Racine... Pourtant, on m'a tellement souvent dit que je n'étais pas fait pour la tragédie ! Alors qu'on confond la tragédie et le drame. Mais la tragédie ça n'est pas sérieux, c'est ce qu'il y a de plus barge ! C'est Shining !...

Ce sera donc Britannicus qui sera monté au festival de Figeac cet été. Verra-t-on ce spectacle à Paris ?
Jouer Néron face à Geneviève Page en Agrippine, c'est un véritable rêve. On espère le reprendre au printemps prochain. J'aimerais beaucoup jouer le spectacle au moins deux mois. Pouvoir Jouer longtemps, c'est une chance incomparable. C'est très frustrant de jouer un spectacle seulement trois semaines, comme dans le subventionné. Le public n a même pas le temps de venir. Alors que jouer trois ou quatre mois, c'est extraordinaire. C'est ce qui donne tout son sens à notre métier! Dans certains théâtres, J'ai eu parfois l'impression de jouer pour les gens du métier ou pour les journalistes, mais ce n'est pas pour eux qu'on joue, c'est pour le public ! J'aime l'idée que des ados de quinze ans viennent voir deux heures d'Ibsen... et qu'ils ne s'y ennuient pas

C'est peut-être ça qui vous rend si singulier : ce souci permanent du jeu, ce désir de faire du "spectacle"...
Je travaille toujours plus ou moins autour de la folie. J'aime les choses folles, donc c'est vrai que c'est souvent très vivant, parfois déjanté... et facilement séduisant pour le public.

C’est aussi un exercice très délicat qui nécessite un dosage extrêmement précis...
C’est un équilibre très précaire, on est constamment au bord de la chute. J'aime beaucoup flirter avec le mauvais goût. Evidemment c'est casse-gueule, mais c'est justement ça qui est à la fois exigeant et excitant. Après, bien sûr, on n'aborde pas Guitry de la même façon qu'Ibsen ou Racine: ce qui m'intéresse, c'est de travailler le texte, de traquer la folie qu'il recèle. Je ne cherche pas à plaquer mon propre univers sur un auteur. C'est amusant d'ailleurs parce qu'on a été très attaqué sur le Ibsen, alors qu'on a été les seuls à respecter scrupuleusement ses didascalies...
En fait, je lutte constamment contre l'idée que le théâtre est une chose sérieuse. Le théâtre est le lieu de l'artifice et du jeu. Et ça doit être une joie ! Non, le théâtre n'est pas chiant !

 Propos recueillis par David Roux


BIO EXPRESS

Ceux qui ne le connaissaient pas encore n'ont pas pu passer à côté de son apparition surréaliste aux derniers Molières.
Son irrésistible parodie de Carla Bruni en Castafiore outrageusement expressionniste est un concentré de son univers très singulier : passionné d'opéra et très inspiré par le music-hall, Michel Fau travaille beaucoup autour de figures burlesques, subtilement pathétiques et, généralement, hilarantes. Après sa formation au Conservatoire National, notamment par Michel Bouquet et Gérard Desarthe, c'est avec Olivier Py que Michel Fau développe rapidement une complicité créatrice très féconde. Avec lui, il aborde les registres les plus variés (La Servante, Le Visage d'Orphée, Le Soulier de satin de Paul Claudel, L'Orestie d'Eschyle, Les Enfants de Saturne...) dans des interprétations volontiers baroques. Michel Fau est aussi un pilier fidèle des mises en scène outrées de Jean-Michel Rabeux (L'Homosexuel de Copi, Feu l'amour de Feydeau). Il a également travaillé avec Stéphane Braunschweig, Philippe ; Calvario ou Emmanuel Daumas. Si le grand public ne le connaît pas encore, le monde du théâtre a depuis longtemps reconnu son talent : en 1998, Michel Fau a reçu le prix Gérard Philipe de la Ville de Paris avant d'être récompensé du Prix du Syndicat de la Critique en 2006.

Fervent admirateur de Jacqueline Maillan et Jean Poiret, Michel Fau revendique son éclectisme : "Personnellement, je trouve tout à fait normal d'aimer à la fois Paul Claudel et Maria Pacôme" assure-t-il. En tant que comédien autant que comme metteur en scène, il parvient à opérer, entre ces deux pôles, une synthèse assez miraculeuse. En témoignent ses récents spectacles: L Impardonnable Revue pathétique et dégradante de Monsieur Fau au Rond-Point début 2010, véritable déclaration d'amour au music-hall, puis ses mises en scène de Maison de Poupée d'Ibsen, et Nono de Sacha Guitry au Théâtre de la Madeleine.
Directeur artistique du festival de Figeac, Miche! Fau y mettra en scène, cet été, Britannicus de Racine.

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