vendredi 20 novembre 2020

Ailleurs de Gérard Depardieu au Cherche midi

Lire Depardieu ou ce que ses éditeurs ont accepté d’accoucher de lui est « fulgurant » dès les premières pages, en force et en lévitation avec ses retours sur son passé d’enfant, immanent, il a survécu à un avortement raté.... Cela m’a fait penser à la libération de Cioran quand sa mère lui avait dit : « j’aurais du t’avorter.... »
Le chamane de l’émotion, immense acteur, sait en parler, distribuer des petits cailloux, du jeu...pour mettre dans la chaussure, comme pour ouvrir le chemin vers ailleurs. Rien ne nous empêche de partir ailleurs.....
Déjà savoir qu’il aime et déteste les mots et préfère lire les livres d’histoire, et partir ailleurs pour lire les regards et dessous les mots d’une langue étrangère.....il aime pas
La vieille France qui vit dans ses écrans et ne se rencontre plus.... et qui nous fait tous et chacun mourrir seul et oui, mais libre quelquefois des conseils projections infantilisations des enfants comme un vieil écrivain un Jim Harrison devant la vallée de la mort. Le désir l’amour ne peut pas durer si l’on se veut gourou sans fans.

P 24
...
J’étais un enfant très joyeux. Attentif disponible, à l’écoute.
À l’écoute de tout.
C’est curiosité et cette joie ne m’ont depuis jamais quitté.
Cette foi en la vie.
Quand on me foutait à la porte de l’école, je ne le prenais pas mal. Il y avait toujours un chien qui arrivait, qui me suivait partout. Et j’étais plus à l’aise avec lui qu’avec les professeurs. Au moins, il était reconnaissant, il voyait que je ne lui voulais pas de mal, je le caressais, il bougeait la queue. On était heureux, tous les deux. Et ça me suffisait. 
...

P 51 
Elle est bien loin, l’époque des grands explorateurs.
L’uniformité qui gagne le monde a aussi gagné le voyage.
Aujourd’hui, tout le monde ou presque va au même endroit.
On suit le guide, la mode, les agences de voyage ou les médias.
Leur planète se réduit ainsi à cinq ou six destinations, bien confortables, avec juste ce qu’il faut d’exotisme.
Mais la planète est bien plus grande que ça, bien plus vaste que tout ce que l’on peut nous vendre.
J’ai parcouru des immensités, où mis à part ceux qui y vivent, personne ne met jamais les pieds.
Des immensités dont on ne sait rien, où tout est surprise.
C’est souvent là où j’ai vécu les instants les plus beaux, où j’ai rencontré les gens les plus émouvants.
Ce n’est pas toujours confortable, c’est vrai, mais pourquoi faudrait-il que le voyage soit confortable ?
Le voyage ne doit pas être confortable.
C’est en perdant tous tes repères que tu peux vraiment commencer à vivre un pays.
Parce qu’un pays, il ne faut pas le voir, il faut le vivre.
Sans plan, sans programme.
C’est important, la façon dont on l’habite personnellement, cette planète
Comment on profite ou non de tout ce qu’elle a à nous offrir.
Notre rapport à l’Ailleurs est bien souvent la meilleure mesure de notre volonté d’être. Et de notre liberté.
...

P 53
...
Je n’ai besoin d’aucune langue pour m’exprimer, je préfère les regards.
J’aime observer quelqu’un dont je ne comprends pas la langue, être complètement attentif à lui, à tout ce qu’il dégage, à tout ce qu’il est. Voir comment son histoire et sa géographie vivent en  lui.
Je lui souris, je l’imite, et très vite je vois qu’il me regarde comme si je parlais sa langue.
C’est ce regard là, que je vois et que je vis dans ses yeux, qui fait que d’un seul coup on est en connexion.
C’est ce que d’aucuns  appellent  une communion.
À l’état pur.
J’étais à chaque fois aussi soudain et surprenant qu’un prophète qui te dit : « lève-toi et marche ! », Et tu te mets à marcher.
C’est la foi en la vie tout simplement.
L’ailleurs qui est dans le regard de l’autre devient alors ce qui t’est le plus proche.
Ce qui s’exprime ici, c’est l’humanité dans toute sa richesse.
C’est humanité qui est là depuis l’aube des temps et qui soudain ressurgit à travers ce regard.
Cet instant d’éternité, c’est ce que je préfère au monde.

P 107-108
...
Pour continuer.
Continuer à aimer.
Ce n’est jamais en allant vers soi que l’on peut trouver l’Ailleurs, c’est toujours en allant vers les autres, vers la vie.
Il faut commencer par se délester de soi-même.
Ce qui est toujours un grand soulagement tellement on s’encombre en permanence.
Et surtout enlever toutes ses barrières.
On en revient alors à son regard d’enfant, cette innocence qui seule peut soigner.
Mais cela ne peut s’obtenir que sans mensonge, dans une franchise totale.
Ce qui est tout sauf paisible.
Ça peut même être destructeur, parce qu’il faut tuer beaucoup de choses en soi pour pouvoir s’alléger. Toutes ces choses qui, au quotidien, nous tuent à petit feu.
Il faut tout nettoyer.
Avoir le courage de s’extirper de soi-même.
C’est la seule façon de retrouver son état d’enfance.
Son infinie fraîcheur.
Ouvrir large les vannes, larguer les amarres, se laisser emmener par le courant et oublier tous les retours possibles.

P 113-114
...
Prends n’importe quel condamné à mort. Si on l’amène à la culture, la violence disparaît.
La violence, c’est toujours un malentendu avec soi-même, une frustration, quelque chose qu’on arrive pas à exprimer. Si l’on arrive à donner une forme à cette expression, on se calme tout de suite. La culture adoucit. Il y a toujours un livre où on trouve non pas la vérité, mais sa propre vérité.
La culture, c’est un Ailleurs qui n’en finit jamais. C’est comme l’histoire d’Abraham qui s’allonge pour compter les étoiles, ça n’en finit jamais.
Il y a ce très beau film avec Burt Lancaster, le prisonnier d’Alcatraz. L’histoire d’un condamné à perpétuité qui trouve un oiseau blessé dans la cour de la prison. Il le soigne, l’apprivoise, devient peu à peu un brillant ornithologue. Cet oiseau lui a fait découvrir son Ailleurs.
Alors tu peux trouver tous les mensonges intérieurs que tu veux pour ne pas passer le pas. Tous les alibis. Mais, ou que tu sois quelque soit ta condition, il ne faut pas avoir peur de vivre.
Ni d’aimer.
C’est la même chose.

P 128
...
Quand je reviens de Russie, d’Algérie, d’Éthiopie, d’Ouzbékistan, j’ai l’impression qu’en mon absence une bombe a explosé.
Je suis stupéfait par le vide qui règne.
Dans les rues, dans les regards, dans les esprits.
Par ce silence inquiétant.
Je n’ai jamais vu un pays où les gens s’arrêtaient si peu dans la rue pour se parler. Il court d’un endroit à un autre et rentrent bien vite chez eux.

P 210
...
Nos peurs sont nos morts.
Mais la mort ne me fait pas peur.
J’écris ça, mais je ne sais pas comment je vais réagir le jour venu.
J’ai un peu comme les mecs qui te disent :
« Si j’avais eu 20 ans pendant la guerre, j’aurais résister. »
Tu parles…
On ne sait rien de soi à l’avance.

Allez- y vers l’Ailleurs des migrants par exemple dans nos rues... 
pour reprendre le chemin de mes Élucubrations... et de nos discussions avec mon Chéri à propos de mes lectures, Pascal a conclu : c’est sûr que lui l’Ailleurs, il ne peut pas le trouver en prenant le métro ou chez son boulanger ou au Franprix du coin...
L’ autre jour j’étais à la vie Claire -comme tous les bobos qui se respectent à Paris !, je m’y sens bien, l’équipe est très sympathique ; et dans les rayons un petit garçon à vélo de deux ans et demi était venu avec sa mère rejoindre son père, il était tellement content de pouvoir lui faire peur, bien après je l’ai entendu sortir tous les paquets de gâteaux secs au chocolat et dire si fort « chocolat »que je lui ai parlé en répétant « chocolat » tu le dis bien « chocolat » son père riait si franchement ; j’ai payé à la caisse proche du présentoir à « chocolat »... et en sortant j’ai salué la compagnie, au revoir messieurs, et mesdames, je me suis retournée  sur le petit garçon qui en me faisant signe au revoir, en me regardant me disait : «  chocolat, chocolat ! » J’en ai eu pour ma journée de cet Ailleurs là, j’espère le retrouver pour lui dire bonjour : Chocolat... tu te souviens et je le lui raconterais....
cette histoire je l’ai racontée aussi bien-sûr à Pascal et à un ami qui lui me téléphone encore....comme quoi même en cas de 2ème confinement, on a encore des choses à se raconter...








mardi 17 novembre 2020

Série : Le coup de la Dame Films : La Lune de Jupiter,

Vous pouvez tout regarder de la soirée d’hier Cold War de Pavel Pawlikowski (russe) vu deux fois : pareilles émotion et voyage de la pensée après, et le fantastique La Lune de Jupiter du hongrois Kornél Mundrunczó et le film muet : Le papillon meurtri de 1919 de Maurice Tourneur mélo noir et blanc, avec même pas la moindre envie de les quitter les personnages Marcène et Daniel et le chien ...et la vilaine tante pleine d’amertume, le respect des insectes « ne soyez pas cruel » ; en 3 ème vision de ma soirée festival....il était 1h26 j’ai arrêté alors qu’après encore il y avait Usual Suspects.....

La Lune de Jupiter de Kornél Mundrunczó (hongrois)
Les valeurs de Dieu mises de côté de plus en plus souvent ; il n’y a pas que le prosélytisme et la violence des inquisiteurs, il y a aussi l’amour du prochain, l’hospitalité et le pardon. Moi ce film m’a fait penser à l’incroyable Bad lieutenant d’Abel Ferrara. 
Et aussi je voulais à tout prix le voir à sa sortie puisqu’avec un ami à la sortie des films de Wenders : Les ailes du désir et Si loin si proche, on s’était promis de voir tous les films sur les anges.......Revenons à ce film... film où l’on comprend que pour survivre dans un pays en guerre, on est obligé de tout quitter et seule reste comme « valeur » après avoir rencontré tant d’atrocités : l’amour de la famille pour certains.......on ne parle pas là de ressentiment et de vengeance, alors qu’au vu de toutes ces atrocités.... dire que celles dues au colonialisme pour soit disant apporter la civilisation....ne nous permettent même pas d’accueillir décemment après les « migrants »
Il m’a rapproché d’un autre film là français de Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic fantastique aussi, l’angle mort vu avec une autre amie... que j’aime infiniment il avait raison ce Montaigne : qu’un ami véritable est une douce chose à chaque fois qu’à Sarlat je passe devant la maison d’Étienne de la Boétie je me dis qu’il y en avait qu’il y en a eu un avant tous les autres qui a su dire qu’entre l’amour et l’amitié y a qu’un lit, de différence......



La mini série sur Netflix, réalisée par Scott Franck et du directeur de la photographie Steven Meizler : Le coup de la dame 

Oui c’est bien, mais l’avant dernier épisode, est un peu complaisant... il nous reste le dernier ; en tous les cas, l’actrice est très bien et la manière de la filmer et de filmer les parties d’échecs....sont extra ! 
Le dernier épisode  -Vu- est fantastique extraordinaire- fort émouvant, on a pleuré tous les deux et la fin : une merveille. Elle porte les beaux vêtements comme personne, peut être un peu comme se déplacent les chats. Et c’est toujours aussi bien filmé.  Je la reverrai cette série, encore merci à Virginie à Olivier et à tous ceux qui nous l’ont conseillée.
https://www.google.fr/amp/s/amp.lesinrocks.com/v/s/amp.lesinrocks.com/2020/11/02/series/series/les-parties-dechecs-du-le-jeu-de-la-dame-sont-elles-realistes/%3famp_js_v=0.1&usqp=mq331AQFKAGwASA%253D#ampf=

lundi 16 novembre 2020

Un petit livre bleu : Je ne suis plus inquiet Scali Delpeyrat

Je ne suis plus inquiet de Scali Delpeyrat Actes Sud collection Au singulier 





O le livre, en attendant le spectacle qui reprendra en Mars Avril, o comme c’est bien, déjà à « l’heure vagabonde »émission de france-inter,  le samedi 14/11/2020 à 19h16, j’ai pleuré, ri, retenu des passages pour les faire travailler.... 
Sont abordés avec délicatesse : la pudeur ... c’est quoi ça pour chacun vis à vis des parents ? 
Alors certains aussi me diront même si c’est singulier, même si c’est bien, j’en ai marre des seuls en scène, bah oui alors faut ne pas lire de roman, ni voir au musée de tableau, parce que là aussi c’est un seul en scène.... ni faire une confidence à un ami, mais tous n’en font pas des confidences....
Alors allez-y ou pas !  allez-y ou  prenez le livre, si vous ne savez rien ou peu du théâtre et du seul en scène, mais que vous aimez les petits livres qui ne vous lâchent pas, comme une épure, un très bon scénario avec des ellipses qui nous restent ; voilà, il y a des silences qui en disent aussi longs que les mots. Et le pas croyable, c’est que c’est intime et que jamais, ô jamais, on se sent voyeur....
Je me dis qu’il ne faut pas en mettre trop d’extraits car il vous le faut ce petit livre,  comedien en recherche de texte qui fait mouche, ou pas.
J’espère que tous les romanciers, les écrivains, l’écoutent à voix haute leur texte avant de le proposer. 
Le lisent comme au stand up? Oui et comme une prière, aussi !? 

Je ne vous en mettrais qu’un extrait : 
P 55
-la leçon de vélo– 
Papa un jour tu t’étais mis en tête de m’apprendre à faire du vélo. Tu étais très sportif et moi je détestais le sport. J’avais peur du vélo. J’avais peur de tomber, peur d’avoir mal. Tu aurais voulu que je sois courageux pour cette leçon, mais c’était le contraire, je grimaçais de peur. Je me rattrapais au guidon comme à une branche au bord d’un gouffre. Tu me disais « Pédale plus vite ! Prends de l’élan ! T’arrête pas ! ». Et je voyais que tu voyais que j’avais peur, que je n’avais pas envie de faire du vélo, et je voyais que cela te contrariait, que tu réprimais un petit sourire désolé, infligé par ma douilletterie et ma maladresse. Je pense que sans le savoir, j’ai voulu t’énerver, t’agacer, te contrarier, te navrer, t’exaspérer, te hérisser, t’horripiler, te porter sur les nerfs, de taper sur le système, papa. Et si, sans le savoir, j’ai voulu tout cela, c’était pour te décevoir. Je pense que te décevoir a été une de mes grandes passions. Et si, sans le savoir, j’ai tant voulu te décevoir, ce n’était pas pour que tu t’éloignes de moi, ce n’était pas pour que tu continues à être silencieux, c’était pour que je devienne un problème. Ton problème. Je me suis saboté pour que tu me répares. Je n’ai pas trouvé mieux. Je me suis saboté. »
Tant pis en voilà un 2 ème comment résister ! 

P 10 
-Adopter-
J'avais passé des années à vouloir adopter un chat sans me décider à le faire. Ce jour là enfin j'allais passer à l'acte. Je l'avais repéré sur le site Internet de la société de protection des animaux. À la différence de beaucoup d'autres chats sur les photos, il n'y avait dans ses yeux aucune trace de malice ou de prédation, seulement de la douceur et une légère tristesse. Après être allé le voir une première fois dans sa famille d'accueil, j'y retournai muni d'une sacoche de transport afin de le ramener chez moi. En chemin je fus pris d'une crise de panique. Pour me calmer j'ai dû descendre de la rame de métro et m'assoir sur le quai. Après 10 minutes d'hébétement, j'ai décidé d'envoyer le même SMS à plusieurs de mes amis : « pardon de te déranger un dimanche matin mais je suis un peu angoissé. Penses-tu que ce soit une bonne idée que j'adopte ce chat ? » Au bout de cinq minutes, sans réponse, j'envoyai un deuxième SMS : « s'il te plaît réponds-moi c'est urgent.» Finalement un quart d'heure plus tard, une amie m'a répondu : « Ce chat fera de toi l'homme le plus heureux du monde. » L'idée me parut incongrue. Mais entre adopter un chat et devenir l'homme le plus heureux du monde, adopter un chat me sembla soudain une chose facile à faire." 



https://www.franceinter.fr/emissions/l-humeur-vagabonde/l-humeur-vagabonde-14-novembre-2020

vendredi 13 novembre 2020

Les Mille et une nuits et L’Arabe du futur tome 5















Ces livres sont proches dans le hasard de « mes caisses »,  qui selon ma mère me servent d’étagères, en fait ce sont de véritables étagères données par un ami de Pascal :  dessinateur poète musicien et qui lui aussi n’a pas eu son heure perpétuée de succès il a pas mal travaillé ici et ailleurs....pourtant mais il reste comme d’autres au monde des poètes anonymes qui surmontent tout et resurgissent dans leurs familles d’amis indépendants car assujettis à leurs seuls choix sincères et désintéressés. Des indépendants les amoureux et les poètes sont magiciens et de tous les temps antiques comme modernes. 
Pourquoi deux photos de ces livres des Mille et une nuits pourquoi comment expliquer par des mots ce qui me semble important et si infiniment sans importance, 
je les ai changés de place parce que je voulais mettre en exposition, au dehors les exemplaires de l’arabe du futur pour que déjà ils soient visibles et accessibles à tous les gens de passage... y en a pas beaucoup des passants à l’improviste notre amie et gardienne Lucilia et son fils Samuel qui hier nous ont apporté des crêpes et le chat a même cassé l’assiette « par l’odeur alléché »! 
Oui mais au cas où, les enfants passionnés de jeux électroniques  si tu ne leur proposes pas quelque chose de plus attractif attrayant tu crois qu’ils vont les lâcher leurs jeux....

Revenons à l’Arabe du futur 5 de Riad Sattouf, c’est addictif tout y est, ça reste, on se sent abandonné après la dernière page,  il faudra attendre un an pour voir la suite en Bd de cette auto fiction. Je me plains à chaque fois des lignes typo trop petites les plus petites pensées, mais en même temps c’est pas mal de prendre la loupe et les lunettes pour y regarder à deux fois ce sont à chaque fois des sortes de didascalies alors !? Rien n’est petit des échanges ou pensées entre les personnages j’adore, la grand-mère, la voisine, les petits rôles qui font la vie comme les grands : la mère et le père, à ce dernier, on lui pardonne presque l’impardonnable, c’est un arabe du futur looser cultivé et tout mais ça ne suffit pas....






Moi aussi à la même époque j’aurais voulu me marier à un jeune arabe pour faire chier mes parents parce qu’enfant je jouais avec Ali parce qu’après encore les représentations de Il est trop tard on allait au Scorpion une boîte de PD qui laissait entrer tous les jeunes arabes et moi la fille amie des PD j’etais choisie par Amar, Omar qui m’avait dit que je devais avoir une collection de dessous noirs et chics, il a passé la nuit mais après ensuite il n’est pas venu me voir jouer au théâtre où je jouais la Vierge folle photo avec la robe bleue et sur cet article pour la suite en noir et blanc....


Post du samedi 7 /11 à 10h50 sur FB
Chaque jour un objet qui me dit avec qui... je vis 
Aujourd’hui un duo, une tapisserie du Rajasthan qui vient des voyages en Inde de mon Chéri, ces voyages qui le racontent tant et qu’il ne fait plus...tapisserie que j’aime infiniment car quand je la regarde elle me perd et cela me repose. Duo avec un recueil de livres de contes les mille et une nuits que je lisais, ces contes sont tellement instructifs, intrusifs, inclusifs.... comme s’ils racontaient toutes les figures possibles humaines et leur dimension de pouvoir, avec celle imaginaire, le merveilleux est ici pour adultes, les djinns sont à la fois anges et démons comme nous tous et un chacun ; les yeux des princes princesses ressemblent à ceux des gazelles. Je les lisais donc à voix haute à un ami (sur scène avec moi 3 ème photo) mort du sida. Il a emporté les mêmes livres dans son cercueil... mais j’en ai déjà parlé ici...Prenez soin de vous.

Post légende de la photo des livres sur FB 
Mais les photos ne suffisent pas pour aimer....

 « Les Mille et une nuits traduits par René R. Khawam né à Alep en 1917 « sa technique de traduction, scrupuleusement fidèle au rythme poétique du texte initial quel qu’ il soit préfère toujours à l’interprétation élégante qui s’acharne à serrer de près l’idée, une transposition « directe » qui reflète plutôt l’image porteuse de l’idée. Cette traduction peut paraître plus naïve, plus triviale : elle seule pourtant rend vraiment compte de la saveur inimitable de la langue arabe. dans sa richesse et dans sa diversité. »


lundi 9 novembre 2020

La vie mensongère des adultes d’Elena Ferrante

Ce roman m’a tenue, m’a retenue et sortie de cette période dont on ne voit pas le bout, comme un peu l’adolescence. 
En même temps, je lisais Retour à Reims de Éric Petitbon... 
et c’était ce début d’article inachevé après le premier confinement. Au mois d’août ?! Article qui me tombait des mains qui sans images restait « brouillon » car j’avais tellement annoté pour ne rien vouloir en perdre ou à en extirper  du contexte. 

Traduit de l’italien par Elsa Damien. Les traducteurs sont pour moi des écrivains sacrément doués au moins autant que l’auteur exemple Baudelaire et Edgar Allan Poe, mais à part cet exemple qui pourrais je citer ? Pour le théâtre russe André Markowicz...pour Shakespeare le fils Hugo François-Victor.

Revenons à ce livre la vie mensongère des adultes Je l’ai acheté à la librairie point presse papeterie placée dans la galerie de l’Intermarché du Bugue : bourg auprès duquel habite ma Mère, j’aime cette librairie même si avant elle était située au centre ville, car ils évoluent en suivant les gens pour les lecteurs et n’ont pas d’attitude discriminante avec qui ce soit et l’on peut avec eux bien parler des livres, ils ont aussi un large choix..,.
Et puis après j’ai lu à la rentrée de septembre Chavirer(article déjà sur ce blog) 
Je n’aime pas les manipulations les formatages par lesquels on passe depuis la famille le voisinage puis l’école. Et je voudrais ici sur ce blog comme tracer le fil de mes influences au travers des lectures à différents moments ; la lecture que reste t-il ? après un ou deux voir trois mois si on ne note pas ?!
J’ai mis dans le livre de Elena Ferrante des signets.
Les goûts le bon et le mauvais goût... m’ont toujours interrogée même quand plus âgée adolescente,  je reprochais à mes parents tous leurs goûts et avant tout leurs opinions. 
Le temps à 66 ans,  la mémoire que j’ai toujours eue en pointillé et pour cette raison je suis lente je prends des notes recopie marque en marge les meilleurs passages, pour colmater les brèches de mon fil de pensée, de ma mémoire. Je le faisais pour me souvenir de mes textes au théâtre. 
J’ai même donné ma méthode à un ami qui lui ne prenait jamais de notes et maintenant il ne trouve plus facilement les traces de ses dernières lectures...
Se replonger dans le bain, retrouver ensuite les passages où j’ai laissé un signet, relire à voix haute et tout se remet en place les personnages quand c’est un roman. 

Ce livre m’a recueillie.
p 211-212
« Mais je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche. À peine me vit-elle qu’elle m’asséna un long monologue, agressif, douloureux et pathétique, qui me déboussola et m’intimida. Plus elle parlait, plus je me rendais compte que la restitution du bijou n’avait été qu’un prétexte. Vittoria m’avait prise en affection, elle avait cru que moi aussi je l’aimais, et elle avait voulu que je vienne essentiellement pour pouvoir me dire combien je l’avais déçue.
J’espérais que maintenant tu serais de mon côté -Elle parlait très fort dans un dialecte que j’avais du mal à comprendre, malgré mes efforts récents pour l’apprendre–, et qu’il te suffirait de voir quel genre de personnes sont vraiment ton père et ta mère pour comprendre qui je suis, moi, et quelle vie j’ai menée à cause de mon frère. Eh bien non je t’ai attendue tous les dimanches en vain. Un coup de fil aurait suffi, mais non, toi t’as rien compris, au contraire, t’as cru que c’était ma faute si ta famille s’est révélée être une famille de merde. Et pour finir, qu’est-ce que t’as fait ? Vise un peu ça, tu m’as écrit cette lettre, là–une lettre comme ça, à moi–, pour me faire lourdement ressentir que j’ai pas fait d’études, pour me faire lourdement sentir que tu sais écrire et pas moi. Ah t’es vraiment comme ton père, ou bien non, t’es pire, tu me respectes pas, tu ne sais pas voir qui je suis vraiment, t’as pas de sentiments. Donc le bracelet tu dois me le rendre, il était à feu ma mère, tu le mérites pas. Je me suis plantée, t’es pas de mon sang, t’es une étrangère. »

p 250-251
À cette époque, sans avoir décidé, mais comme si je renouais simplement avec une habitude, je me remis à travailler, bien que le lycée me semblait plus que jamais un lieu de bavardages idiots. J’obtins bientôt des résultats corrects et, en outre, je m’efforcai d’être plus disponible pour mes camarades de classe, au point que, le samedi soir, je commençai à sortir avec eux, tout en évitant d’établir des relations amicales. Naturellement, je ne parvins jamais à éliminer tout à fait mon ton hargneux, mes  pics d’agressivité ou mon mutisme hostile. Et pourtant j’avais l’impression de pouvoir m’améliorer. Parfois, je fixais des bols, des verres, des cuillères, un caillou dans la rue et même une feuille morte, et je m’émerveillait de leur forme, que celle-ci soit travaillée ou naturelle. J’observais certaines rues du Rione Alto, que je connaissais depuis que j’étais petite, comme si je les voyais pour la première fois : magasin, passants, immeubles de huit étages et balcons –des bandes blanches posé sur les murs ocre, vert ou bleu ciel. J’étais fasciné par les pierres de lave noir de la via cinq Jack homo des Capri, sur lesquelles j’avais marché mille fois, par les vieux bâtiment gris rose ou couleur rouille, par les jardins. Il m’arrivait la même chose avec les gens : professeurs, voisins, commerçants, inconnus dans les rues du Vomero. Je m’étonnais d’un geste, d’un regard, d’une expression du visage. C’était des moments où j’avais l’impression que tout contenait un sens caché, qu’il me revenait de découvrir. Mais cela ne durait pas. De temps à autre, malgré tous mes efforts, ce qu’il l’emportait  chez moi, c’était le sentiment d’en avoir marre de tout, c’était une tendance aux jugements cinglants et à une envie de querelles. Je ne veux pas être comme ça, pensais-je souvent lorsque je me trouvais entre veille et sommeil. Et pourtant voilà ce que j’étais, et réaliser que je ne parvenais à me manifester que de cette manière âpre et médisante m’inciterait parfois non pas à me corriger mais, avec un plaisir pervers, à me comporter de manière pire encore. Je me disais : si je ne suis pas aimable, très bien, alors qu’on ne m’aime pas ; de toute façon, personne ne sait ce que j’ai jour et nuit dans le cœur. Et je pensais à Roberto, mon refuge.

 p 292-293-294
Dialogue entre Roberto et Giovanna
–Un Dieu facile n’est pas un Dieu. Dieu est autre que nous. On ne communique pas avec lui, il est tellement au-dessus de nous qu’il ne peut pas être interrogé mais seulement invoqué. Quand il se manifeste, il le fait en silence à travers de précieux petits signaux qui sont muets et  proviennent de mots tout à fait ordinaires. En faire sa volonté, c’est baisser la tête et s’obliger à croire.
–J’ai assez d’obligations comme ça.
L’ironie réapparut  dans son regard, et je sentis avec joie que mon style rugueux l’intéressé.
–L’obligation envers Dieu, ça vaut la peine. Tu aimes la poésie ?
–Oui.
–Tu es en lis ?
–Ça m’arrive.
–La poésie est faite de mots, exactement comme la conversation que nous avons en ce moment. Mais quand le poète s’empare de nos mots banals et les libère du bavardage, voilà que ces mots, de l’intérieur, de leur banalité manifestent une énergie inattendue . Dieu se manifeste de la même manière.
–Un poète n’est pas Dieu, c’est juste quelqu’un comme nous qui en plus, sait écrire de la poésie.
–Mais cette écriture nous ouvre les yeux, elle nous émerveille.
–Parfois. 
–Dieu, pour moi c’est ça : une secousse dans une pièce sombre donc je ne trouve plus le sol, ni les parois, ni le plafond. Ce n’est pas une chose qui se discute, sur quoi on peut raisonner. C’est une question de foi. Si tu crois, ça marche. Autrement, non.
–Pourquoi devrais-je croire en une secousse ?
–Par esprit religieux.
–Je ne sais pas ce que c’est.
–Pense À une enquête, comme dans les romans policiers, mais où le mystère reste un mystère. L’esprit religieux, c’est chat : une secousse qui te pousse en avant, toujours plus en avant, pour dévoiler ce qu’il reste voilé.
–Et je ne comprends pas.
–Les mystères ça ne se comprend pas.
–Les mystères sans solution me font peur. Moi je me suis identifiée aux trois femmes qui vont au sépulcre, ne trouvent plus le corps de Jésus et s’enfuient.
–C’est la vie qui devrait te faire fuir, quand elle est obtus.
–La vie me fait fuir quand elle est souffrance.
–Tu veux dire que tu te contentes des choses comme elles sont ?
–Je veux dire que personne ne devrait être crucifié, en particulier par la volonté de son père. Ça ne se passe pas comme ça.
–J’ai une change ne te plaît pas il faut la changer.
– changer aussi la création ?
–Bien sûr nous sommes là pour ça.
–Et Dieu ?
–Dieu aussi, s’il le faut.
–Attention, tu blasphèmes.
L’espace d’un instant, je l’impression que Roberto avait saisi l’intensité de mes efforts pour lui tenir tête, et que ses yeux ont brillé d’émotion. Il dit :
–si le Blachevelle me permet ne serait-ce qu’un petit pas en avant, je blasphème.
–Vraiment ?
–Oui j’aime Dieu et je serai capable de tout, même de l’offenser, pour m’approcher de lui. C’est pourquoi je te conseille de ne pas envoyer tout valdinguer : attends un peu, l’histoire des Évangiles en dit plus que ce que tu lui as trouvé pour le moment.
–Il y a tant d’autres livres à lire. Les Évangiles, je les ai seulement lus parce que tu en as parlé, ce jour là, à l’église, et que ça m’a intrigué.
–Relis-les. Ils parlent de Passion et de croix, c’est-à-dire de souffrance. La chose  qui te déboussole le plus.
–C’est le silence qui me déboussole.
–Toi aussi, tu as été silencieuse pendant une bonne demi-heure. Mais ensuite, tu vois, tu as parlé. 

p 301
Le temps de mon adolescence est long, fais de gros blocs gris ponctués brusquement de reflets verts, rouges ou violets. Les blocs n’ont pas d’heures, de jours, de mois ni d’années, et les saisons sont incertaines, il fait chaud et froid, il pleut et le soleil brille. Les bosses non plus n’ont pas de temporalité bien définie, leur couleur compte davantage que toute tentative de datation. D’ailleurs la durée même de la teinte et que prennent certaines émotions n’a pas d’importance, celle qui écrit le sais bien. Dès que l’on cherche à mettre des mots dessus, la lenteur se transforme en tourbillon, et les couleurs se mélangent comme des fruits différents dans un robot mixeur. Non seulement « le temps passa » devient une formule vide, mais même des indications comme « un après-midi », « un matin  » ou « un soir » ne sont plus que des facilités.

p 304-305
Je dois dire qu’au début, je fus pleine d’anxiété. À chacune de nos rencontres, je me disais que j’avais peut-être été trop loin, que je cherchais à lui tenir tête –il avait presque 10 ans de plus que moi, j’allais au lycée et lui enseignait à l’université– avait été  une marque de prétention, et que je m’étais sans doute couverte de ridicule. Je me repassais mille fois dans la tête ce qu’il m’avait dit, ce que je lui avais répondu, et je ne tardais pas à avoir honte de chacune de mes paroles. Je prenais conscience de la légèreté futile avec laquelle j’avais liquidé des questions compliquées, Et je sentais croître en ma poitrine un malaise très semblable à celui que j’éprouvais, enfant, lorsque je faisais impulsivement quelque chose qui allait certainement déplaire à mes parents. À cet instant, je doutais d’avoir suscité une quelconque sympathie. Dans ma mémoire, son ironie changeait de nature et devenait explicitement de la moquerie. Je me rappelais avoir eu recours à un ton méprisant, je repensait à certains passages de notre conversation, quand j’avais tenté de faire mouche, et il me venait une sensation de froid et de nausée, comme si je voulais m’expulser de moi-même, comme si j’allais me vomir.
Cependant en réalité, il n’en allait pas ainsi. Chacun de ses rendez-vous me faisait progresser, les paroles de Roberto déclenchaient immédiatement en moi un besoin de de lectures et de connaissances. Mes  journées devinrent une course pour arriver à notre prochaine rencontre mieux préparer, avec des questions plus complexe sur le bout de la langue. Je commençais par fouiller dans les livres que mon père avait laissé à la maison, afin d’en trouver qui me permettait de mieux comprendre. Mais mieux comprendre quoi, qui ? Les Évangiles, le père, le fils, le Saint Esprit, la transcendance et le silence, l’embrouillamini de la foi et de l’absence de foi, la radicalité du Christ, les horreurs de l’inégalité, la violence toujours exercée sur les plus faibles, le monde sauvage et sans limites du système capitaliste, l’avènement de la robotique, la nécessité et l’urgence du communisme ? Roberto passait sans arrêt d’un sujet à l’autre, et avait toujours une vaste vision des choses. Il faisait tenir ensemble le ciel est la terre, il savait tout, il mêlait exemples tirés de la vie quotidienne, fictions, citations et théories, et moi j’essayais de le suivre, oscillant entre la certitude de passer pour la fille qui parle en faisant semblant de savoir et l’espoir d’avoir bientôt une nouvelle occasion de prouver que j’étais meilleure que ça.

p 312-313
Pourquoi dès qu’on creuse un peu, trouve-t-on le sexe dans toute chose, même les plus élevées ? Pourquoi un seul adjectif est-il insuffisant pour décrire le sexe, et pourquoi en faut-il tant -gênant, insipide, tragique, joyeux, agréable, rebutant–, et jamais un seul, mais tous à la fois ? Un grand amour sans sexe est-il possible ? Les pratiques sexuelles entre hommes et femmes peuvent-elles ne pas gâcher le besoin d’aimer en étant aimé en retour ? Je m’imaginais en train de poser ces questions et d’autres encore, d’un ton détaché et peut-être un peu solennel, surtout pour éviter que Giuliana et lui puissent penser que je voulais espionner leur vie privée. Mais je savais que je le ferais jamais. 

p 321
Je remontais lentement chez moi. Cette expression –ne plus rien y voir– ne voulait plus me quitter. Tout a l’air en ordre–bonjour, à bientôt, installez-vous, qu’est-ce que vous voulez boire, vous pouvez baisser un peu le son, merci, de rien. Et pourtant, un voile noir peut s’abattre à toute instant. C’est une brusque cécité, on ne sait plus mettre les choses à distance, mais on se cogne partout. Cela concernait-il seulement quelques personnes, ou bien n’importe qui pouvait-il en arriver à ne plus rien y voir, une fois une certaine limite dépassée ? Et était-on davantage dans le vrai lorsque l’on voyait toutes choses clairement, ou bien lorsque les sentiments les plus puissants et les plus intenses–la haine, l’amour–nous aveuglaient ?

*******************critique de Télérama 

Avec “La Vie mensongère des adultes”, Elena Ferrante provoque un dernier frisson littéraire avant 

Marine Landrot,

Publié le 06/06/20 mis à jour le 08/10/20

Dans La Vie mensongère des adulte, Elena Ferrante suit la vie d’une Napolitaine de 12 à 16 ans… Un subtile autoportrait ?

Dans La Vie mensongère des adulte, Elena Ferrante suit la vie d’une Napolitaine de 12 à 16 ans… Un subtile autoportrait ?

Photo: Mirjam Appelhof/VOZ'Image

De sa plume mordante, la grande et mystérieuse autrice plonge au cœur du cyclone intérieur qui secoue une adolescente. Un roman d’apprentissage brillant.

Giovanna se croyait belle, avec ses cheveux lumineux, mais soudain elle se sent laide, à en bouillir de honte. Elle portait des vêtements roses comme l’aurore, et voilà que la nuit noire envahit sa silhouette bourgeonnante. Elle avait des notes brillantissimes à l’école, et subitement c’est la dégringolade désinvolte. Turbulence de l’adolescence et entourloupe du destin, depuis L’Amie prodigieuse, on connaît de quel bois se chauffe Elena Ferrante, qui revient de très loin, de très haut, propulsée au firmament de la gloire littéraire, avec triomphe en librairie et série afférente, le tout au débotté comme de qualité, sans que jamais l’autrice montre son vrai visage, du sommet de sa tour d’ivoire à l’adresse tenue secrète.

La voilà de retour, intacte, souveraine, avec un brillant roman d’apprentissage dont l’arrivée en Italie a quasiment provoqué, en février dernier, des files d’attente dignes des nouvelles parutions de Haruki Murakami au Japon. Autant rassurer les inconditionnels, suite il y aura, si l’on en croit la dernière phrase engageante, qu’on peut lâcher sans rien divulgâcher : « Nous nous fîmes une promesse : nous deviendrions adultes comme aucune fille n’avait jamais réussi à le faire. »

Saisir le temps qui passe est l’aptitude première d’Elena Ferrante, qui déroule ici quatre années cruciales dans la vie d’une Napolitaine de 12 à 16 ans. Le récit fend l’air, sinueux et tranchant, tandis que sous l’admirable étude de caractère un autoportrait de l’autrice se dessine : « Je n’ai fait que glisser, et je glisse aujourd’hui encore à l’intérieur de ces lignes qui veulent me donner une histoire alors qu’en réalité je ne suis rien »,confesse l’héroïne, Giovanna, au début de ce livre prenant, consacré à sa mise en lumière pour que ce rien devienne plein. La jeune fille est éperonnée par des rencontres décisives qui la mènent à l’intérieur d’elle-même, dans un mélange de sourde douleur et d’ivresse virevoltante.

Giovanna s’entiche d’abord d’une tante, brouillée avec ses parents depuis bien avant sa naissance, une sorte d’Anna Magnani libre et blessée, en couple avec la femme de son amant défunt, dotée du franc-parler propre aux êtres abîmés par la colère. Cette fée maléfique lui transmet le plus dangereux des pouvoirs, celui de l’intransigeance envers soi, capable de vous ronger jusqu’à vous faire disparaître, mais aussi propice à l’éveil absolu.

“Une ambiance de cimetières, de torrents et de chiens féroces…”

Elena Ferrante parle depuis le point de bascule entre les deux, debout sur la ligne de frontière, en poste d’observation. Elle a trouvé la place juste, dans l’œil du cyclone, au milieu du tourbillon des apparences et de la réalité, du bien et du mal, pour absorber l’énergie ambiante sans vaciller, et la redistribuer avec une grande intelligence. Tel est le secret de son écriture, précise, mordante, centrifuge, assez assurée pour faire des embardées dans l’imaginaire le plus halluciné, comme Giovanna, qui, pour épater ses amies, réinvente la vie de sa tante, « dans une ambiance de cimetières, de torrents et de chiens féroces, de flammes de raffineries et de squelettes de bâtiments abandonnés ».

Quand se déroule l’histoire ? Rares sont les indices qui le révèlent, mais l’ambiance fin de règne du XXe siècle est palpable. Pas de téléphone portable ni d’Internet, des femmes en tailleur et collier de perlouses, des adolescentes en tee-shirt échancré. La libération des mœurs a visiblement tenté d’avoir lieu, dans les années 1970, mais une quinzaine d’années plus tard, le naturel pincé est revenu au galop, avec son cortège d’hypocrisies et de cachotteries. La cruauté le dispute à la vulnérabilité, le patriarcat tire ses dernières cartouches, la peau dure des conventions se ramollit, les coups font tous mal. Sur ce terrain miné, une jeune fille fleurit, décidée à interroger en priorité son consentement. Face aux sollicitations des hommes, des amies, de la famille, de l’école, elle apprend à soulever au fond d’elle « la pierre sous laquelle est cachée une vie élémentaire ». La seule vie qui vaille, celle qui nourrit les romans palpitants.