lundi 8 mars 2010

2 textes extraits de Guitry sur l'acteur : "Fou rire" et autres "Anecdotes" de "Théâtre, je t'adore."


QUADRILLE (1938)

Titre original : Quadrille
Réalisation : Sacha GUITRY
Année de production : 1938
Origine : France
Durée : 1H49
Tous publics
Avec : Gaby Morlay, Jacqueline Delubac, Sacha Guitry
"Fou rire"
je le dédis à tous ceux qui rient jusqu'au fou rire sur scène comme si...une autre pièce les avait saisis ou comme si, ils s'étaient vu jouer

"Rire en scène c'est défendu et parce que c'est défendu, quand ce malheur-là vous arrive, ça peut très bien mal finir.

Cela m'est arrivé rarement, très rarement. Non pas que je sois un phénomène, mais ne jouant que mes propres pièces, ma qualité d'auteur m'a toujours retenu dans cette voie funeste - funeste, mais tentante, il me faut bien le dire.
(...)
Or donc je hais cela et ne le tolérais pas d'aucun de mes interprètes. Et pourtant me voilà parti pour vous conter un fou rire inouï et qui venu de peu de chose, est allé, je pense, aussi loin que possible.
Nous jouions Gaby Morlay et moi, une pièce intitulée Quadrille, pièce que j'avais écrite à son intention. Au premier acte nous étions mariés. Au deuxième acte, elle me trompait. Au troisième j'en étais informé et nous avions une très longue explication, violente.
Ce soir-là, lorsque j'entrai en scène, le troisième bouton de mon gilet n'était pas boutonné. Gaby Morlay s'en aperçut immédiatement bien-sûr et tandis que je l'abreuvais de reproches, elle fixait cette boutonnière quasi béante et d'une manière encore imperceptible pour le public, elle me faisait observer ma négligence. Je portai aussitôt la main à mon gilet et m'aperçus alors que le troisième bouton n'était pas boutonné parce qu'il n'était pas là. Tout en continuant de jouer, j'exprimai à Gaby Morlay, d'un geste d'un regard combien ma tristesse était grande d'avoir égaré, perdu peut être ce bouton. D'un regard, à son tour, elle me fit comprendre quelle part sincère elle prenait à ma douleur. A dater de cet instant - et sans cesser de jouer son rôle, j'insiste sur ce point - elle chercha tout autour d'elle, à terre et sur les meubles, ce satané bouton qui s'était échappé. Moi-même, d'un œil circulaire, je l'aidai dans ses recherches.
Et pendant peut-être un quart d'heure, nous avons joué ces deux pièces à la fois, pourtant si différentes : la première celle d'un monsieur qui reproche à une dame son infidélité - la seconde, celle d'un monsieur et d'une dame qui s'inquiètent de savoir ce qu'à bien pu devenir un bouton de gilet.
Continuant d'être excellente dans la première, Gaby Morlay fut admirable dans la seconde.

Malheureusement nous avons ri... nous avons ri parce que nous nous trouvions réciproquement très drôles. Le public, nous voyant rire, s'est mis à rire aussi... d'abord. Mais nous avons, hélas ! été pris d'un fou rire, d'un tel fou rire que nous ne pouvions plus articuler un mot. Alors là, j'ai senti que ç'allait se gâter. A vrai dire nous étions à deux doigts de l'emboîtage. Il fallait aviser. Et j'avisai de la façon suivante : m'adressant au public, je dis la vérité. Je racontai en deux mots l'histoire du bouton et j'ajoutai :
"Vous voyez comme il suffit de peu de chose à une admirable comédienne et à son partenaire pour éclater de rire en scène."
Gaby Morlay, ahurie, avait cessé de rire comme par enchantement.
Lors, je lui dis :
" Gaby, enchaînons, voulez-vous ?"
Et nous avons repris la scène où nous l'avions laissée et le public, -Dieu soit loué ! - ne nous a pas tenu rigueur de l'intermède improvisé qui avait failli nous coûter cher !"


et extrait de "Anecdotes théâtrales"
à propos d'aimer ou pas les acteurs, le théâtre. Succulent...

"On peut prétendre que ce qui fait rire les architectes n'amuse pas les médecins et vice versa. On peut, oui, et il faut le prétendre, mais en ajoutant, n'est-ce pas, que le théâtre est l'exception qui confirme cette règle.
Le théâtre c'est autre chose et il ne faut pas s'étonner que la curiosité du public soit si vive à l'égard des comédiens. D'ailleurs, il ne faut s'étonner de rien quand il est question de théâtre, car tout y est particulier, jusqu'à ces sentiments excessifs qu'il fait naître. En effet, d'une part, il y a des personnes qui attendent les comédiens qu'ils aiment à la sortie du théâtre afin de les apercevoir une seconde de près - et d'autre part, il y a des gens qui disent et répètent volontiers qu'ils ont "horreur" des acteurs. Tout cela est excessif. Avez-vous jamais entendu dire que quelqu'un avait horreur des sculpteurs ? Avez-vous jamais vu des personnes attendant un peintre célèbre à la porte de son atelier pour le voir sortir et monter en voiture ?
Non, n'est-ce pas ? Et c'est justement parce que les gens attendent à "la sortie des artistes", que d'autres gens disent qu'ils ont "horreur" des comédiens.
L'amitié qu'on nous voue exaspère ceux qui ne la partagent pas. Sur cent spectateurs combien avons-nous d'ennemis ? Peu en vérité, très peu. En moyenne, j'en compte deux par rang d'orchestre, pas plus. Mais, chose curieuse nous les voyons tout de suite. Vous autres, de la salle vous ne pouvez pas les voir : vous avez les yeux fixés sur la scène. Tandis que nous, c'est autre chose. Nous, ils nous regardent fixement et comme, malgré tout ce qu'on peut dire, les comédiens ont bien plus la crainte d'être mauvais qu'ils n'ont la certitude d'être bons, nous sommes attirés, magnétisés pour ainsi dire par nos "ennemis". Leur attitude n'est pas outrageante, bien-sûr, ils ne poussent pas des cris, ils ne lèvent pas les bras au ciel et même ils affectent le plus souvent une immobilité absolue, mais leur hostilité, je vous jure, est flagrante. Ils ont une façon si comiquement dédaigneuse de regarder leurs voisins quand ils rient ? Et ils ont une façon si drôle de ne pas applaudir !
Comment sont-ils, physiquement, nos ennemis ? Élégants et jeunes encore. L'homme a quarante ans et la femme trente-cinq. Mais quand je dis "l'homme et la femme" cela ne signifie pas "le couple", car nos ennemis ne sont pas accouplés- au contraire. Et ce qui les caractérise justement, c'est le désaccord qui existe entre eux et la personne qui les accompagne.
J'ai souvent constaté que l'entrée en scène d'une actrice jeune et très joliment habillée ne faisait pas à toutes les spectatrices un égal plaisir."
(...)

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