vendredi 17 octobre 2008

OPÉRA de Lille jusqu’au 23 oct. 08 : SIVADIER met en scène LES NOCES DE FIGARO


JEAN-FRANÇOIS SIVADIER, METTEUR EN SCÈNE D’OPÉRA
La musique transcendée par le jeu
A l’opéra de Lille jusqu’au 23 oct. 08
On connaissait surtout Jean-François Sivadier acteur et metteur en scène - avec le talent que l’on sait. En montant Les noces de Figaro de Mozart, il s’illustre à présent dans l’opéra. Découverte d’un spectacle où théâtre et opéra s’unissent pour le meilleur.

Publié le 16 octobre 2008 Christophe Gervot, Renaud Certin

L’opéra de Lille propose depuis le 6 octobre une nouvelle production des Noces de Figaro, dans une mise en scène de Jean François Sivadier. Formidable acteur et metteur en scène de théâtre (Molière de la meilleure mise en scène en 2006 pour La mort de Danton de Büchner, il a créé l’un des évènements du festival d’Avignon en 2007, avec Le roi Lear dans la cour d’honneur du Palais des Papes), il signe sa troisième mise en scène d’opéra après Madame Butterfly de Puccini ( présentée à Nantes et à Angers en septembre 2004) et Wozzeck de Berg (2007 à l’opéra de Lille). L’oeuvre est dirigée par Emmanuelle Haïm, à la tête de son concert d’Astrée, dont l’actualité est aussi l’envoutant CD Lamenti, consacré aux compositeurs italiens du XVII ème siècle. La rencontre de ces deux immenses artistes offre un grand moment de bonheur !

De Beaumarchais à Mozart


En février 2000, Jean François Sivadier mettait en scène Le mariage de Figaro au TNB à Rennes. Ce spectacle est ensuite repris lors d’une longue tournée qui passe par le Lieu Unique à Nantes en décembre de la même année, et au cours d’ un mois de représentations au théâtre des Amandiers de Nanterre, en février 2001. Nous ne sommes pas prêts d’oublier l’énergie communicative de cette folle journée, et de toutes les musiques qui en prolongeaient le mouvement : les émois de la comtesse étaient enveloppés par les sonorités irréelles des Métamorphoses de Richard Strauss, à l’arrivée du comte libertin se superposaient les premières mesures du Don Giovanni du divin Wolfgang et la reconnaissance de Figaro par sa mère, Marcelline, explosait en un accord de Madame Butterfly de Puccini. A la fin du spectacle, l’interprète de la comtesse chantait a capella le grinçant "Ah que la vie est belle" de Brigitte Fontaine. C’est comme si le texte de Beaumarchais appelait la musique, et en particulier l’opéra, genre que Jean François Sivadier aime avec passion. Le texte de Beaumarchais comme l’opéra de Lorenzo Da Ponte et Mozart ont en commun d’induire puissamment le théâtre.

Jean François Sivadier part de ce que chacun est, ce en quoi il est l'héritier du grand Antoine Vitez.
Une enfance retrouvée

Le spectacle qu’offre l’opéra de Lille jusqu’au 23 octobre est de ces moments de théâtre qui transportent. A la fin de l’ouverture, l’interprète de Chérubin, à l’androgynie bouleversante, envoie un baiser à la chef d’orchestre, geste qu’elle reprend lors de l’ultime image. Ainsi, ce spectacle est-il placé sous le signe des émois adolescents et du désir. Chaque personnage est entrainé dans une folie qui nous rappelle, aussi, que le théâtre est associé aux jeux de l’enfance. Il y a, dans cette vision des noces de Mozart, une fluidité et une évidence, qui renvoient à la liberté du théâtre. On se cache derrière des toiles peintes qui s’élèvent, se décrochent, s’entassent. C’est comme si Mozart et les interprètes de cette divine production s’étaient accordés pour nous dévoiler dans une joie communicative l’enfant que chacun porte en soi.

Du théâtre avant toute chose


Dans un entretien qu’il a accordé à Opéra magazine, Jean François Sivadier affirme que le chanteur d’opéra doit toujours rester conscient qu’il chante, sans chercher à être réaliste, et que c’est par cette conscience qu’il devient un formidable acteur. Il part de ce que chacun est, ce en quoi il est l’héritier du grand Antoine Vitez. Le metteur en scène, au charisme incroyable, sait comme personne, créer un esprit de troupe dans chacun de ses spectacles. Il parvient à montrer à chacun son importance et sa nécessité, dès lors qu’il entre sur le plateau. Durant l’ouverture, selon un procédé qu’il avait avait exploré dans sa magnifique Madame Butterfly, chaque interprète vient de la salle et monte sur la scène, pour se l’approprier, et s’en émerveiller, car il y a aussi cette dimension poétique de l’émerveillement, comme celui d’un enfant, dans ces Noces de Figaro. L’arrivée de Marcelline au premier rare est un instant qui cristallise toute cette démarche. L’interprète de Figaro vient de chanter un grand air, il se fait chaleureusement applaudir au moment où Anne Mason entre sur le plateau. Elle joue avec cette ovation,salue et sourit au public.

Tout est prétexte à jeu. On joue avec la musique, avec les sonorités. L’incroyable Emmanuelle Haïm, à la tête de son concert d’Astrée, en résidence à Lille, est dans une même dynamique. Elle dirige l’orchestre de manière théâtrale, fougueuse, totalement habitée. Jean François Sivadier a déclaré sur France Musique la semaine dernière qu’en la regardant diriger, on a l’impression qu’elle joue tous les rôles.

Un grand bonheur

On sent que ces Noces de Figaro ont été une formidable aventure humaine. Les interprètes improvisent et inventent sans cesse de nouvelles choses. Jacques Imbrailo, sublime interprète du comte et formidable acteur, se met torse nu à la fin de l’acte 3, dans un bel élan de désir. Tous sont radieux et leur bonheur d’être là est communicatif. Le quatrième acte est d’une rare poésie. Il est dans le prolongement immédiat de ce qui précède. Au fond du plateau, devant le fascinant mur de l’opéra de Lille, on célèbre le banquet de noces. L’une des convives raconte une histoire en italien tandis que Chérubin est adossé,dans un état mélancolique, à l’écart des autres. L’avant de la scène est plongé dans la pénombre et Barberine avance lentement, une bougie à la main, en chantant qu’elle ne retrouve pas l’épingle qu’elle doit remettre à Suzanne. Toute la scène de travestissements et de confusions amoureuses a lieu dans cet espace en clair obscur tandis qu’à l’arrière plan, le banquet se poursuit.


On a envie de tout raconter, de tout partager. Les interprètes sont tous à citer. Nicole Heaston offre des instants de grâce dans les arias de la comtesse, Mathieu Rose est un Figaro d’une belle énergie, Kate Lindsey, trouble dans le personnage travesti de Chérubin et exprime les contradictions et les désirs de l’adolescence avec une poésie infinie. Le seul regret, c’est que ce spectacle ne soit pas repris, si ce n’est en version de concert au théâtre des Champs Elysées le 21 octobre. Mais Jean François Sivadier a d’énormes projets d’opéras qu’il ne faudra pas manquer et une Dame de chez Maxime de Feydeau qui sera créée à Rennes, au Théâtre National de Bretagne en avril 2009 et repris au théâtre de l’odéon en mai avant une grande tournée en France la saison prochaine. On pressent déjà un moment énorme de théâtre, d’une nécessité absolue en ces temps où la culture a parfois trop tendance à passer au second plan.

Christophe Gervot

Photos : Frédéric Iovino / Opéra de Lille

Légendes :

Bandeau : Nicole Heaston, La Comtesse/ Jacques Imbrailo, Le Comte / Hélène Guilmette, Suzanne. Colonne 1 : Kate Lindsey, Chérubin / Matthew Rose, Figaro. Colonne 2 : Nicole Heaston, La Comtesse. Colonne 3 : Kate Lindsey, Chérubin / Hélène Guilmette, Suzanne / Jacques Imbrailo, Le Comte

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