jeudi 23 octobre 2008

Portrait Zabou Breitman


Un portrait d'une dame que j'aime bien paru dans Le Monde Portrait
Zabou Breitman : adieu Isabelle
LE MONDE • Mis à jour le 22.10.08 | 14h18

"Ne l'appelez plus jamais Zabou tout court. Depuis dix ans, elle a retrouvé son nom. Mais pas son prénom, qui était celui de la fiancée de Thierry la Fronde : Isabelle. Résumons-nous : au départ, il y a une petite fille nommée Isabelle Breitman. Puis une jeune fille, qui se fait connaître sous le nom de scène de Zabou. Enfin, aujourd'hui, une femme, qui s'appelle Zabou Breitman. Dans ces glissements s'est jouée la vie d'une actrice devenue metteur en scène de cinéma et de théâtre, et qui taille sa route. Avec Des gens (au Petit-Montparnasse à Paris), le spectacle drôle et touchant qu'elle a imaginé à partir de deux films du documentariste Raymond Depardon, Urgences et Faits divers, fait un carton cet automne.


PARCOURS
1959
Naissance à Paris.

1981
"Elle voit des nains partout", de Jean-Claude Sussfeld.

1987
"Georges Dandin", de Molière, mis en scène par Roger Planchon.

2001
"Se souvenir des belles choses", premier film comme réalisatrice.

2003
"L'Hiver sous la table", de Topor, première mise en scène de théâtre.

2008
"Des gens", d'après Raymond Depardon.

Comment passe-t-on de "Récré A2" et de films aussi impérissables que Gwendoline, de Just Jaeckin, ou Elle voit des nains partout, de Jean-Claude Sussfeld, aux plateaux de théâtre ? "Je crois qu'on devient ce que l'on est", sourit Zabou Breitman. Le théâtre, le cinéma, la télévision, le jeu : elle est tombée dans la marmite de potion magique à la naissance. Son père, Jean-Claude Deret, est acteur, et scénariste du feuilleton qui bercera les rêves héroïques des enfants des années 1960 : "Thierry la Fronde".

Sa mère, la comédienne québécoise Céline Léger, joue la fiancée de Jean-Claude Drouot (Thierry). Deret l'a baptisée Isabelle en hommage à leur petite fille, laquelle est aussi embarquée dans l'aventure pour quelques épisodes. Zabou Breitman n'a pas de mal à se souvenir des belles choses de son enfance.

Ce père, qui s'appelle en fait Claude Breitman, a changé de nom après la guerre. Persuadé que "le climat d'antisémitisme qui régnait encore à cette époque, en France et au Québec, serait préjudiciable à sa carrière", dit sa fille. Le grand-père a été déporté. Il est revenu, "mais sans ses dents". La famille venait de Kichinev, alors en Russie, et appartenait à "la bourgeoisie laïque éclairée".

"Un de mes arrière-grands-pères, que je partage avec Dominique Strauss-Kahn, a été un des premiers psychiatres-psychanalystes", remarque Zabou Breitman, qui rêve à haute voix des liens que l'on peut établir entre cet héritage et son nouveau spectacle, où se déroulent des scènes de la folie et de la misère ordinaires.

A la maison, l'atmosphère est "d'une gaieté folle". La petite fille passe des heures sous le piano de son père, à écouter du Chopin. Des années plus tard, c'est l'acteur Dominique Pinon qui passera L'Hiver sous la table, dans la pièce de Topor montée par Zabou Breitman. En attendant, comme beaucoup dans ces années-là, les parents militent énormément. En 1968, leur fille fait partie du comité Gavroche révolutionnaire, créé par un certain Renaud, 13 ans alors, qui deviendra le chanteur de Mistral gagnant et de Société tu m'auras pas. "J'étais raide dingue amoureuse de lui, s'amuse la comédienne. J'avais une casquette Mao, et je balayais la Sorbonne, ce qui me remplissait de bonheur. J'avais 9 ans. Quand "ils" ont pris la Sorbonne, j'ai pleuré pendant des heures..."

Zabou gardera de ces années-là un "sens obsessionnel de la justice" et une "méfiance envers la politique ou, du moins, le militantisme". Son enfance magique est aussi une enfance fauchée : les parents tirent le diable par la queue. Comme dans L'Hiver sous la table, le père se fait traducteur, pour survivre. En anglais, russe, italien, il passe des heures à traquer le mot juste, tel le Monsieur Dragomir de Topor. Mais surtout, il fait travailler sa fille "comme un véritable directeur d'acteurs", sur de nombreux textes classiques.

Isabelle Breitman, pourtant, ne s'imagine pas comédienne. Elle veut être journaliste. La réalité l'intéresse. Et la rattrape : pour payer ses études, elle se présente au casting d'une émission pour enfants, "Récré A2". Elle devient Zabou, joli bibelot d'inanité sonore, qui signera son enfance dans le métier, où elle traverse des comédies françaises légères, de La Boum 2 au Complexe du kangourou.

Peut-être serait-elle restée ainsi, dans la très soutenable légèreté des choses, si n'était arrivée "cette histoire" qu'elle mettra des années à définir comme une manifestation d'antisémitisme ordinaire. Au début des années 1980, actrice jeune, jolie et écervelée, elle prend des photos sur un tournage et les vend sans autorisation. Le producteur du film est fou furieux. "Il m'a passé un savon terrible, m'accusant d'avoir voulu gagner de l'argent indûment, et a conclu par ces mots que je n'oublierai jamais : "Cela ne m'étonne pas. C'est quoi, votre vrai nom, déjà ?""

De ce jour, Zabou Breitman n'a "eu de cesse" de récupérer son nom. Cela a pris des années : les producteurs ne voulaient plus lâcher Zabou, et le personnage de gentille fofolle qui allait avec. Mais parallèlement, sous l'influence de Roger Planchon, notamment, qui l'engage en 1987 pour jouer Angélique dans Georges Dandin, de Molière, son parcours d'actrice s'infléchit sensiblement.

En 1997, elle voit enfin son nom écrit sur une affiche, pour La Jeune Fille et la Mort, d'Ariel Dorfman, qu'elle joue au Théâtre du Rond-Point. Bonheur immense. Et gros symbole : "Que ce soit arrivé sur ce texte-là, qui parle d'identité et de justice, signé par un auteur originaire de la région de Kichinev..."

Depuis, elle a trouvé sa voie, entre la légèreté de son surnom et la gravité attachée à son nom. Ses films comme ses spectacles parlent de ces moments où la vie part en vrille, en d'insensibles glissements de la normalité à la folie, et inversement. Elle regrette parfois que le grand théâtre la boude, parce qu'elle ne fait pas partie de la famille. Mais là non plus, elle ne s'appesantit pas. Elle a envie d'inventer quelque chose autour de Frankenstein. L'histoire de Mary Shelley, du créateur et de sa créature à qui il ne donne pas de nom la poursuit depuis longtemps.

René Gonzalès, le directeur du Théâtre Vidy de Lausanne, qui l'a aidée à monter Des gens, dit d'elle, citant René Char, que c'est "une transparente, une belle personne, qui a une authenticité rare dans ce milieu". Zabou Breitman traverse l'existence comme une Alice qui aurait fait de la vie ordinaire son pays des merveilles.

Elle aime Paris, les surréalistes, et le Paris des surréalistes. "Il n'y a pas de vie ordinaire, s'insurge-t-elle. Il n'y a que des façons ordinaires de regarder la réalité." Et elle remonte sur son vélo, avec ses bottes et son grand chapeau, en quête d'éclats de réel à glaner, et à réenchanter."

Fabienne Darge
Article paru dans l'édition du 23.10.08.
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1 commentaire:

Stef35450 a dit…

Votre blog est très intéressants. Pour moi Gwendoline est un petit chef d'oeuvre très sympathique et Zabou est géniale. Pour juger par vous même, vous pouvez d'ailleurs voir de extraits en cliquant sur le lien ci-dessous :
http://www.laboutiquedezaza.fr/product_info.php?products_id=770
Il faut voir ce film comme un conte. Oui, ce film est une véritable réussite.
Amitiés cinéphiles
Stef