lundi 16 novembre 2009

Théâtres Nanterre Bobigny La Colline... ça ne désemplit pas...

Sur BIBLIOBS
Article d'Odile Quirot
16.11.2009
Un siècle, ou vingt après: Ibsen, Müller



"Samedi dernier, 15 novembre, une foule se bousculait à la Colline pour découvrir les deux pièces d’Ibsen montées par Stéphane Braunschweig. Et pendant ce temps là, la MC93 ne désemplit pas d’un public enthousiaste venu célébrer les vingt-cinq ans de répertoire de Lev Dodine et de son théâtre Maly de Saint-Pétersbourg. Et de l’autre coté du mur d’hier, et des tombes d'aujourd'hui, Heiner Müller (sur notre photo) sourit, lui qui a ses fervents, et ils se pressent pour voir son énigmatique « Philoctète » mis en scène par son traducteur français, Jean Jourdheuil, avec Maurice Bénichou. .


Mais qui a dit que le public était frileux, et choisissait la frilosité ? Mais qui a dit, dit et dira que le théâtre était en crise, ou passé de mode ? Et que si une récente enquête du Ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français indiquait un retour d’amour pour le théâtre, c’est parce que ses statistiques incluaient les one man show, les comiques solo ( théâtre ou non théâtre, là est la question, mais enfin, si on parle de Stéphane Guillon qui passe direct de l’antenne à la salle de spectacle, là, oui, la confusion des genres est totale. Déjà que Claire Chazal elle aussi s’y était collée…On ne l’a pas vue, et on n’ira pas le voir : question de principe. Etre présentateur de télé ou radio, c’est un métier, et un beau métier. Etre comédien en est un autre. Fin de parenthèse)


Donc retour à nos moutons : le théâtre. Rarement je n’aurai vu grandes salles aussi pleines qu’en ce début de mois, et ce pour de grands spectacles, souvent longs, et parfois en langue étrangère sur titrée. C’est assez incroyable, cette simultanéité de la venue sur les scènes du Maly Théâtre de Lev Dodine de retour à la MC93 de Bobigny avec sept spectacles, une grande saga russe (on en a parlé dans le magazine,), d’ »(A)ppolonia » de Warlikowski, crée l’été dernier à Avignon (actuellement à Chaillot), de Jan Klata, autre Polonais, qui même un samedi soir à la Maison des Arts de Créteil ( pour s’y rendre, c’est une expédition !) fait quasi salle pleine avec « Transfer ! », un beau théâtre quasi documentaire sur le déplacement de populations entières suite à la conférence de Yalta…Le théâtre serait-il le plus beau, et le plus humain, livre d’histoire du XXème siècle ?
« Ca a bien changé » constatait une spectatrice en sortant de « Maison de Poupée » d’Ibsen (1879) telle que mise en scène par le nouveau directeur du Théâtre National de la Colline, Stéphane Braunschweig. Oui. La condition des femmes n’est plus la même. Et celle des hommes non plus. Quoique…Courez voir « Maison de Poupée » d’Ibsen, chaque mot y est une claque, chaque acteur resplendit. A voir aussi, pour les plus curieux, « Rosmerholm » du même Ibsen, une pièce plus âpre et lourde, voir lourdingue, moins connue, que Braunschweig monte en diptyque avec ce tube qu’est « Maison de Poupée ». Et c’est tout à son honneur : Rosmer, c’est un ancien pasteur, holm , c’est sa demeure familiale, son héritage. On y voit à l’œuvre une pensée, une réflexion sur la soif, et l’impossibilité de l’innocence, de la pureté amoureuse ou politique. On y voit le chemin d’un génie : Ibsen. On y reviendra dans l’Obs magazine, plus en détail, puisque ces deux spectacles sont à l’affiche jusqu’au 20 décembre.

« Philoctète » de Heiner Müller se joue jusqu’au 15 novembre, ce n’est donc qu’ici qu’on pourra témoigner. Un : de la splendeur fragile de Maurice Bénichou qui interprète ce héros blessé à la jambe puante, abandonné sur son île, réfugié dans sa douleur, et la rectitude de sa révolte. Deux : de l’intelligence tranchante d’une scénographie (Mark Lammert) telle un rectangle creux et abstrait, décalé de tout réalisme, mais formidable point d’appui de jeu, et d’assise de la géométrie mouvante des enjeux de la pièce. Trois : de la limpidité de la farouche et superbe poétique de Heiner Müller, et de la machine de guerre qu’il met ici en œuvre, entre trois figures d’anti-héros, dont Ulysse, le rusé, qui fait du mensonge un art, et une nécessité. Quatre, enfin : de la belle rigueur quasi janséniste, donc pascalienne, du spectacle de Jean Jourdheuil, condensé implacable, mais humain, si humain, de l’irrésolue dialectique entre individu et raison d’état, barbarie et douceur de la langue, ici arme plus importante que les flèches, et l’arc de Philoctète.
« Philoctète » date de 1964. Trois ans avant, Müller( 1929-1995) a été exclu de l’Union des Ecrivains de la RDA. Et déjà, cela semble une autre époque, avec des enjeux à nous étrangers. Voir le « Philoctète » sans dieux de Heiner Müller, et inspiré de Sophocle, c’est, ressentir combien la mer sur le rivage dépose des larmes, et des armes, dont nous sommes faits.
PS: à voir aussi "Médée" de Max Rouquette, haute et autre figure grecque, autre beau spectacle déplacé aux rives d'Afrique par Jean-Louis Martinelli, avec Odile Sankara, superbe sorcière (Nanterre/Amandiers, jusqu'au 13 décembre)."



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Commentaires
Oui, les théâtres sont pleins et le public est enthousiaste et prêt à faire le déplacement. Merci pour ce papier, je ne cesse de constater la même chose...on dirait que certains peinent à reconnaître que le théâtre reste une des sources de plaisir, de création, d'intelligence qui nous restent. Et il n'y a pas que des personnes âgées, les jeunes sont là et le manifestent!
Ecrit par : martine | 16.11.2009

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