mercredi 31 janvier 2007

LA LECTURE... RUE KATALIN DE MAGDA SZABO

Aux quatre coins d’un livre : le prologue d’abord, les premières pages et puis des phrases glanées au fil du rêve, voyage, reconnaissance des douleurs tues jamais tuées, tapies, qui reparlent. Merci, à Anne, la libraire de mes rêves, donc pour cette lecture, fréquentez admirez des libraires de tout temps, pour que résiste la foi en les hommes et leurs mots. Je lis comme je vis à petites bouchées lentement, je m’installe dans un endroit où je trouve la « posture » qui m’isole. Le plus souvent dans un train qui marche aux heures creuses. Il n’est pas besoin de dévorer les livres, de comptabiliser les livres, chacun sa meilleure façon de lire…au café, au cabinet… entre quelques fins entre quelques oublis entre quelques chagrins, pour
«resavourer» la joie…du souvenir.
RUE KATALIN de MAGDA SZABO
« Vieillir, cela ne se passe pas comme dans les livres, ce n’est pas plus décrit ce que décrit la science médicale.
Aucune œuvre littéraire, aucun médecin n’avait préparé les habitants de la rue Katalin à l’éclairage impitoyable que l’âge apporterait dans l’obscure galerie qu’ils avaient parcourue presque inconsciemment pendant les premières décennies de leur vie ; ni à ce qu’il mette de l’ordre dans leurs souvenirs et leurs craintes, modifie leur jugement et leur échelle de valeurs. Ils savaient qu’ils devaient s’attendre à certains changements biologiques, que leur corps avait entrepris un travail de démolition qu’il poursuivait aussi minutieusement qu’il s’était construit, depuis l’instant de leur conception, en vue du chemin à accomplir. Ils avaient accepté de voir leur physique se transformer, leurs sens s’affaiblir, leurs goûts, leurs habitudes et même leurs besoins s’adapter à ces changements ; de devenir gourmands ou de perdre l’appétit, d’être craintifs voire susceptibles. Ils s’étaient résignés à avoir du mal à dormir et à digérer, fonctions dont la régularité leur semblait jadis aussi naturelle que la vie même. Mais nul ne leur avait dit que perdre la jeunesse est effrayant, non par ce qu’on y perd, mais par ce que cela nous apporte. Et il ne s’agit pas de sagesse, de sérénité, de lucidité ou de paix, mais de la conscience de ce que tout se décompose.
Ils s’étaient soudain rendu compte que le temps avait désagrégé leur passé, alors que durant leur enfance et leurs années de jeunesse, ils l’avaient considéré comme un ensemble compact et bien cimenté. Tout s’était dissocié, rien ne manquait de ce qui leur était arrivé jusqu’à ce jour, et pourtant ce n’était plus la même chose. L’espace était divisé en lieux, le temps en moments, les évènements en épisodes et les habitants de la rue Katalin comprirent enfin que de tout ce qui avait constitué leur vie, seuls quelques lieux, quelques moments, quelques épisodes comptaient vraiment, le reste ne servait qu’à combler les vides de leur fragile existence, comme les copeaux dans une caisse préparée pour un long voyage empêchent le contenu de se briser.
Alors ils surent aussi que la différence entre les vivants et les morts n’était que qualitative, qu’elle ne comptait pas beaucoup, ils surent que dans la vie de chacun il n’y a qu’un seul être dont ils puissent crier le nom à l’heure de la mort. »
(...)
"Quelque chose dont il ignorait le nom liait étroitement ces êtres qui, comme s'ils se renvoyaient une balle, se lançaient des mots insignifiants dont ni lui, ni la petite ne saisissait le sens mais qui allumaient une flamme dans leur regard et faisaient rire Elekes. En fait, lorsque la première blessure, la première souffrance se furent apaisées, il se félicita de pouvoir partir, de pouvoir les quitter sans honte. Qu'ils se livrent entre eux sans témoin, à leur jeu de société !
Cependant, lorsqu'ils évoquaient leur monde énigmatique, leur gaîté, leur entrain ne duraient pas longtemps, ils se fatiquaient vite de leur rôle. Leur manège n'apportait ni solution, ni apaisement, il ressemblait plutôt à un désir inassouvi, qui n'aboutit pas à l'étreinte."
(...)
"Nous ne pouvions pas non plus compter sur mon père. Il admettait que les Held aient droit à un traitement de faveur, il trouvait même juste et naturel que le commandant fasse tout ce qui était en son pouvoir pour les aider. Mais on n'avait pas le droit de cacher quelqu'un, c'était interdit par la loi, et le respect des lois, même les plus immorales, était ancré en lui jusqu'à la moelle des os. Il était déconcerté par tout ce qui se passait à cette époque, il ne pouvait admettre les idées du fascisme, ni en qualité de chrétien, ni d'éducateur dont la vocation est d'enseigner la morale à une communauté, mais l'obéissance inconditionnelle aux autorités et aux supérieurs, même si elle représentait une obligation pénible, restait pour lui un devoir impératif. Il fallut la mort des Held, le meurtre d'Henriette pour que ses normes rigides volent en éclats et aujourd'hui encore, mon père ne peut se pardonner que tout cela soit arrivé alors qu'il n'était plus en mesure d'aider qui que ce fût."
(...)
"Il essayait d'imaginer le déroulement de l'audience, se demandant comment expliquer les actes de Blanka ou les faire admettre à qui que ce soit, alors qu'elle même ne contrôlait pas ses élans insensés, ne voyait pas les conséquences de ses actes irréfléchis, et ne pouvait maîtriser les accès de colère que, de tout temps, elle avait eus chaque fois qu'elle pensait qu'on la méprisait ou qu'on avait de l'antipathie à son égard. Il aurait beau expliquer aux membres du conseil pourquoi Blanka avait porté contre lui des accusations aussi invraisemblables, elle resterait pour eux une moucharde stalinienne, aucun eux ne pourrait comprendre ce qu'avait été jadis la rue Katalin et ce que Blanka avait éprouvé lorsqu'il avait quitté Iren."

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