samedi 2 juin 2007

Qu'est-ce qu'il faut dire après avoir vu du théatre, à propos d'un livre, à l'écoute d'un concert ? "Ensemble, c'est tout" : extraits, photos, la vie





Qu'est-ce qu'il faut savoir ? Comment dire pour ne pas être ridicule ?

Il faut partir de soi et y aller à l'aventure avec des amoureux, les premières fois ; il y en a pour tout des passionnés pour l'opéra, pour l'art de la peinture...
- mais si on n'en a pas rencontré chez soi ou à l'école
- il n'est jamais trop tard, même si cela demande plus de temps, c'est à dire plus d'échecs, de retours à la case départ, c'est à dire au handicap, comme les chevaux mal dégrossis, à chaque fois que claque le coup de feu du départ, de l'interrogation, du jugement, de la réprobation silencieuse.

Pour le roman, c'est un peu comme le cinéma, c'est tellement Large que la Taille Unique y est proscrite, on y rentre un jour parce qu'il y a de la lumière, et puis on grappille, on débroussaille, on engrange, et plus on en voit, plus on s'y connait.


Un peu, comme pour les vins les connaisseurs, ils y sont venus comment ? certains par le rosé, d'autres par les alcools fort sucrés, d'autres encore par le champagne et puis un jour on se trouve à fermer les yeux sur une très bonne bouteille, on ouvre alors les yeux, on regarde l'étiquette... pour moi c'était un Pommard, dans le Morvan, j'avais moins de 20 ans et j'étais avec des amis de mon âge. Il faisait moins de zéro, c'était à Pâques, une des premières années, où l'on changeait d'heure.

En refermant le livre d'Anna Gavalda : "Ensemble, c'est tout"j'ai coché des extraits pour qui ? qui sait ?
Pas prête d'oublier cette petite bonne femme : Camille (jouée dans le film par Audrey Tautou) pétrifiée par sa mère et qui s'offre difficilement à n'aimer qu'un seul homme, mais qui partage son goût et sa connaissance singulière de l'art du dessin et de la Peinture. Qui fait si bien l'amitié.
-encore ce bouquin, mais tu en as déjà parlé c'est de la littérature facile.
-justement je n'ai plus l'âge de me priver de quoique ce soit s'il s'agit de plaisir de souvenirs et d'émotions, car tout s'y mêle, et je crois pouvoir goûter un bon petit vin de pays comme un bon vieux vin, sans m'esclaffer, trancher : c'est immonde ou c'est sublîme...
Bastet : Déesse égyptienne
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Mon premier bouquin c'était Torrents, ma mère me l'avait passé (c'était de qui déjà ? Roman de Marie-Anne Desmarest, 1939, dans la chronologie des Éditions Denoël, il est noté : "Il envisage une collection de « romans romanesques » destinés à un public féminin, dans laquelle parut Torrents, le roman à succès de Marie-Anne Desmaret" ; ça a du lui permettre de tenir, à ma maman, jeune-fille pendant la guerre), juste après j'ai choisi le Grand Meaulnes... d'Alain Fournier.

Et puis et puis j'ai lu tant d'autres romans dont certains que je n'ai pas pu atteindre, finir, découvrir encore et encore, mais j'ai pris de bonnes cuites, des insomnies de livres, des romans et aussi des essais et puis du théâtre.

A ce propos, de roman facile ou des tas de pages voire même des personnages semblent de trop, mais juste à côté de... :

- Tu vois qu'on est différents... Que ce soit toi ou Philou, vous êtes pas dans le vrai monde vous avez aucune idée de la vie de comment y faut se battre pour survivre et tout ça... Moi j'en ai jamais vu des intellos avant vous deux mais vous êtes bien comme l'idée que je m'en faisais...

- Et c'était quoi ton idée ?
Il agita les mains
- C'était : Piou, piou... Oh, les petits oiseaux et les jolis papillons ! Piou, piou qu'ils sont mignons... Vous reprendrez un chapitre mon cher ? Mais oui mon cher deux même ! ça m'évitera de redescendre ... Oh ! non ne redescendez pas, ça pue trop en bas !

Elle se leva et éteignit la musique.
- Tu as raison, on ne va pas y arriver... Il vaut mieux que tu te casses... Mais laisse-moi te dire deux choses avant de te souhaiter bonne route : La première, c'est à propos des intellectuels justement... C'est facile de se foutre de leur gueule... Ouais, c'est vachement facile...
Souvent ils sont pas trop musclés et en plus , ils n'aiment pas ça se battre... Ca ne les excite pas plus que ça les bruits de bottes, les médailles et les grosses limousines, alors oui c'est pas très dur... Il suffit de leur arracher leur livre des mains, leur guitare, leur crayon ou leur appareil photo et déjà, ils ne sont plus bons à rien ces empotés... D'ailleurs, les dictateurs, c'est souvent la première chose qu'ils font : casser les lunettes bruler les livres ou interdire les concerts, ça leur coûte pas cher et ça peut leur éviter bien des contrariétés par la suite... Mais tu vois si être intello, ça veut dire aimer s'instruire, être curieux, attentif, admirer, s'émouvoir, essayer de comprendre comment tout cela tient debout et tenter de se coucher un peu moins con que la veille, alors oui je le revendique totalement : non seulement je suis une intello, mais en plus je suis fière de l'être... Vachement fière, même... Et parce que je suis une intello, comme tu dis, je ne peux pas m'empêcher de lire tes journaux de moto qui traînent aux chiottes et je sais que la nouvelle behème R1200 GS a un petit bidule électronique pour rouler avec de l'essence pourrie... Ah !
- Qu'est-ce que tu me chantes encore ?
-Et toute intello que je suis j'ai été te piquer tes BD Joe Bar Team l'autre jour et ça m'a fait glousser tout l'après midi... La deuxième chose c'est que t'es vraiment mal placé pour nous faire la morale, mon gars... Tu crois que c'est le vrai monde, ta cuisine ? Bien-sûr que non c'est tout le contraire. Vous sortez jamais, vous êtes toujours entre vous. Qu'est-ce que tu connais du monde, toi ? Rien. Ca fait plus de quinze ans que tu vis enfermé avec tes horaires inamovibles, ta petite hiérarchie d'opérette et ton ronron quotidien. Peut-être même que t'as choisi ce boulot pour ça d'ailleurs ? Pour ne jamais quitter le ventre de ta mère et pour avoir la certitude que tu seras bien au chaud avec plein de bouffe autour de toi... Va savoir... Tu travailles plus et plus dur que nous, ça c'est une évidence, mais nous tous intellos qu'on est, on se le coltine le monde. Piou, piou , on descend, tous les matins. Philibert dans sa boutique et moi dans mes étages, et t'inquiète pas que pour s'y frotter, on s'y frotte. Et ton truc de survie, là... Life is a jungle, struggle for life et tout ce merdier, on le connait par coeur... On pourrait même te donner des cours si tu voulais... Sur ce bonsoir, bonne nuit et bonne année.
- Pardon ?
- Rien. Je disais que tu n'étais pas très folâtre...
- Non, je suis acariâtre.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Ouvre un dico et tu trouveras ?
- Camille ?
- Oui.
- Dis-moi quelque chose de gentil...

...
L'installation d'une cabine de douche s'étant avérée trop compliquée, Franck avait fabriqué une marche antidérapante pour escalader la baignoire et coupé les pieds d'une vieille chaise sur laquelle Camille déposait une serviette-éponge avant d'y asseoir sa protégée.
- Oh... gémissait-elle mais moi ça me gêne... Tu peux pas savoir comme je suis mal à l'aise de t'imposer ça...
- Allons...
- Ce vieux corps, là, ça ne te dégoûte pas ? Tu es sûre ?
- Vous savez, je... Je crois que je n'ai pas la même approche que vous... Je ... J'ai pris des cours d'anatomie, j'ai dessiné des nus au moins aussi âgés que vous et je n'ai pas de problème de pudeur... Enfin, si, mais pas quand je vous regarde, je me dis pas : herk, ces rides, ses seins qui pendouillent , ce ventre mou, ces poils blancs, ce zizi flasque ou ces genoux cagneux... Non pas du tout... Je vais peut-être vous vexer mais mais votre cors m'intéresse indépendamment de vous. Je pense boulot, technique, lumière, contours, barbaque à circonvenir... Je songe à certains tableaux... Les vieilles folles de Goya, des allégories de la Mort, la mère de Rembrant ou sa prophétesse Anne... Excusez-moi, Paulette, c'est affreux tout ce que je vous raconte là mais... en vérité je vous regarde très froidement !
- Comme une bête curieuse ?
- Il y a un peu de ça... Comme une curiosité plutôt...
- Et alors ?
- Alors rien.
- Tu vas me dessiner moi aussi ?
- Oui.
Silence.
- Oui si vous me le permettez... Je voudrais vous dessiner jusqu'à ce que je vous connaisse par coeur. Jusqu'à ce que vous n'en puissiez plus de me sentir autour de vous...
- Je te le permettrai, mais là, vraiment je ... Tu n'es même pas ma fille ni rien et je ... Oh, que... comme je suis confuse...

Camille s'était finalement déshabillée et mise à genoux devant elle sur l'émail grisâtre :
- Lavez-moi.
- Pardon ?
- Prenez le savon, le gant et lavez-moi, Paulette.
Elle s'éxécuta et grelottant à moitié sur son prie-Dieu aquatique, tendit le bras vers le dos de la jeune fille :
- Hé ! Plus fort que ça !
- Mon Dieu, tu es si jeune... Quand je pense que j'étais comme toi autrefois... Bien sûr, je n'étais pas aussi menue mais...
- Vous voulez dire maigre ? la coupa Camille en se retenant à la robinetterie.
- Non, non je pensais "menue" vraiment... Quand Franck m'a parlé de toi la première fois je me rappelle, il n'avait que ce mot à la bouche : " Oh, mémé, elle est si maigre.. Si tu voyais comme elle est maigre... ", mais maintenant que je te vois telle que tu es là je ne suis pas d'accord avec lui. Tu n'es pas maigre, tu es fine. Tu me fais penser à cette jeune femme dans le livre du Grand Meaulnes... Tu sais ? Comment s'appelait-elle déjà ? Aide-moi...
- Je ne l'ai pas lu.
- Elle avait un nom noble elle aussi... Ah, c'est trop bête...
- On ira voir à la bibliothèque...

Mais revenons au théâtre
- Après avoir vu une pièce de théâtre, tu dis quoi...
- Partir de soi et respecter le travail, la générosité, l'humain...
- Mais tu peux ne rien dire...
Écouter, ensuite énoncer ce que tu aimes plutôt que ce qui te déplait ; éviter le cynisme, la maladresse de parler des costumes seuls ou des décors ou d'une scène comme si on avait dormi le reste du temps. Et surtout quand on a envie de rire : rire et lorsque le spectacle vous a donné des émotions, vous a plu, vous a dérangé : applaudir car il s'est passé quelque chose entre vous avec les comédiens.
Je me souviens d'un "après" avoir vu une première pièce de Botho Strauss : Le Parc, mise en scène par Claude Régy
qui a provoqué une révolution intérieure en moi, c'est sur la mort d'un enfant la famille avançait invisiblement, auprès du berceau central...
Ne suis-je pas en train de superposer les strates réactives au théâtre de Régy ; des années plus tard, il y a eu la mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, là, j'étais totalement seule...

Tandis que pour le Parc, j'étais avec un amour d'homme beaucoup plus cultivé et mondain que moi, il m'a traitée de "con" car je disais détester, ne pas supporter. Quelques jours plus tard, intérieurement enfin j'ai ressenti en moi un apaisement et une ouverture ; une lucidité sur une autre gamme à une autre portée de vie : l'incompréhensible extensible, éloigné du seulement sensible. Un jeu extérieur.
Régy, c'est intello , oui mais pas seulement comme la Danse de Matisse, il y a une danse invisible au delà du tableau qui tourne en moi depuis cette vision.




Et puis, il ne faut pas cracher sur les romans de Gavalda, les films de Besson, le théâtre de boulevard, avec ses extraordinaires serviteurs comme Jacqueline Maillan, Maria Pacôme,
Louis de Funès et Michel Serrault car d'une certaine façon "le public est souvent bizarre mais il faut admettre qu'il a a toujours raison" comme le disait un certain Monsieur Sacha Guitry.

Moi j'ai fait du théâtre pour "nager nager" avec les autres comme le dit, Arno, le chanteur belge.

Ne laissons pas la littérature, le théâtre, l'art, aux bourgeois repus car sinon ils se le partagent, se reproduisent et ne le transmettent qu'à leurs enfants.
Le nivèlement par le bas, l'aplanissement des pensées de la contestation ne passent pas par là.

Mais il est sûr qu'il faut apprendre et travailler et ouvrir quelques portes et après le théâtre vous en ouvre tant d'autres. Je vous en conterai quelque part un autre jour quelques bribes : le Cartel, Antoine, les mythologies.
Il faut bien commencer, comme cela en passant, interrogez les noms des théâtres...

Là, je vais faire à manger pour nous deux. Il n'est jamais trop tard...

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