dimanche 28 septembre 2008

Nouvelle rubrique "textes" pour jouer... L'ORAL ET LE HARDI, urgent, encore une semaine à La Maison de la Poésie

Sur le couple de Woody Allen, extrait pour 2 personnages

Fred :
ça sent la pluie.
(Jim acquiesce, mais ne souhaite pas entamer la conversation)

Du crachin.
(Jim hoche la tête avec un demi-sourire)

Jim : Mmm

Fred : Venez pas souvent ici, n’est-ce pas ?

Jim : Pourquoi ?

Fred : Intéressant !

Jim : Qu’est-ce que vous voulez ? Me taper du fric ? Tenez,
un dollar

Fred : Eh oh ! Je vous demandais seulement si vous veniez souvent par ici ?

Jim : Non. J’ai rendez-vous. Et j’ai assez de soucis comme ça.

Fred : Vous avez vraiment choisi le jour …

Jim : Je ne savais pas qu’il ferait aussi moche.

Fred : Vous ne regardez pas la météo ? Putain ! ils ne parlent que de ça, le fichu temps ! Ils nous cassent les oreilles avec ça !

Jim : Bon, eh bien, bonne journée à vous.
Écoutez… j’étais en pleine méditation…

Fred : Hé ! on parle littérature, là ! Et tu es écrivain.

Jim : Comment le savez-vous ? C’est mon costume qui vous fait dire ça ?

Fred : Vous êtes en costume ?

Jim : La veste de tweed et le pantalon de velours, c’est ça ?

Fred : Jean-Paul Sartre a dit que passé trente ans un homme est responsable de la tête qu’il a.

Jim : C’est Camus qui a dit cela.

Fred : Sartre.

Jim : Camus. Sartre a dit, lui, qu’un homme finissait par adopter le physique de l’emploi : par exemple, un garçon de café en vient à marcher comme un garçon de café ; un employé de banque bouge comme un employé de banque… Parce qu’ils ont envie de devenir une chose.

Fred : Mais toi, tu n’es pas une chose.

Jim : J’essaie… de ne pas en être une. J’aimerais beaucoup en discuter avec vous une autre fois.

Fred : Parfait, quand ?

Jim : Pour l’instant je ne suis pas très disponible…

Fred : Quand alors ? on peut déjeuner ensemble, je suis libre toute la semaine.

Jim : Je ne sais pas au juste. Vous voulez quoi ?

Fred : Un pourcentage sur votre film et mon nom au générique. Pas cinquante pour cent mais une part équitable.

Jim : Vous êtes cinglé ? Pourquoi devrais-je vous donner quoique ce soit ?

Fred : Parce que moi je vous ai donné l’idée.

Jim : Vous m’avez donné… ?

Fred : Disons que vous me l’avez piquée…

Jim : j’ai piqué votre idée ?

Fred : Oui. Le film fait un carton, et moi je veux mon dû.

Jim : Je ne vous ai rien piqué du tout.

Fred : Jim, arrêtons ce petit jeu.

Jim : Parlez pour vous, et s’il vous plaît, ne m’appelez plus Jim.

Fred : OK… James. Écrit par James L. Swain… sauf que tout le monde t’appelle Jim.

Jim : Comment savez-vous comment tout le monde m’appelle ?

Fred : Je vois. J’entends.

Jim : Vous me suivez ?

Fred : Et la petite souris brune… c’est Lola ?

Jim : ma femme n’a vraiment rien d’une souris !

Fred : OK, d’accord, souris n’est pas le mot… elle ressemble… je ne dirai pas à un rongeur…

Jim : C’est une belle femme.

Fred : Chacun ses goûts.

Jim : Pour qui vous vous prenez ?

Fred : Jamais je ne lui dirai ça en face.

Jim : Je suis son mari et je l’aime.

Fred : Alors pourquoi la tromper ?

Jim : Quoi ?

Fred : Je crois savoir à quoi ressemble l’autre. Un peu du genre vulgaire, non ?

Jim : L’autre, comme vous dîtes, n’existe pas.

Fred : Vous avez rendez-vous avec qui alors ?

Jim : Ça ne vous regarde pas, nom d’une pipe, et si vous ne dégagez pas j’appelle la police.

Fred : Tu parles pas quand on a un petit rendez-vous clandestin.

Jim : Comment saviez-vous que ma femme s’appelle Lola ?

Fred : Je t’ai entendu l’appeler Lola .

Jim : Vous m’avez suivi ?

Fred : Est-ce que j’ai une tête à suivre les gens ?

Jim : Oui.

Fred : Je ne suis pas du genre procédurier. Moi j’aime les arrangements à l’amiable.

Jim : Et comment je vous l’ai « piquée », votre idée ?

Fred : Vous m’avez entendu raconter l’intrigue.

Jim : Mais à qui ? E t quand ?

Fred : À John.

Jim : Qui ça ?

Fred : John.

Jim : Quel John ?

Fred : Big John.

Jim : Qui ?

Fred : Big John.

Jim : Big John, qui c’est celui-là ?

Fred : Je ne sais pas… c’est un sans-abri. Enfin, c’était. On m’a dit qu’il s’était fait trancher la gorge dans un foyer.

Jim : Vous avez raconté je ne sais quelle histoire à un sans-abri et vous dîtes que je vous ai entendu ?

Fred : Et vous vous en êtes servi.

Jim : C’est la première fois que je vous vois.

Fred : Bon sang ! Ça fait des mois que je te suis.

Jim : Que vous me suivez ?

Fred : Et je sais tout de toi mais toi, tu ne m’as même pas remarqué. Pourtant je ne suis pas minus. Je suis costaud. Je pourrais probablement te briser le cou d’une seule main.

Jim : Écoutez, qui que vous soyez, je vous assure que…

Fred : Je m’appelle Fred. Fred Sauvage. Un grand nom pour un écrivain, non ? Oscar du meilleur scénario original, l’enveloppe s’il vous plaît… and the winner is… Frederick R. Sauvage et James L. Swain pour Le Voyage.


Jim : C’est moi qui ait écrit : "Le Voyage". Sur une idée à moi.

Fred : Jim, vous m’avez entendu le raconter à John Kelly. Le pauvre ! Il marchait sur York A venue, ils étaient en train de hisser un piano et la corde a lâché… Mon Dieu, une horreur…

Jim : Vous avez dit qu’il s’était fait poignarder dans un foyer.

Fred : La cohérence à tout prix est la marotte des petits esprits.

Jim : Écoutez, Fred… je n’ai jamais subtilisé l’idée d’un autre. Premièrement, je n’en ai pas besoin, j’ai les miennes ; deuxièmement, même en panne, je ne le ferais pas, d’accord ?

Fred : Mais l’histoire est là tout entière. Ma dépression, la camisole de force, ma peur panique à la dernière minute… le caoutchouc entre mes dents, puis les électrochocs… tu parles !… évidemment que j’étais violent…

Jim : Vous êtes violent ?

Fred : Cent pour cent.

Jim : Là, je commence à m’inquiéter.

Fred : Ne vous en faîtes pas, elle va arriver.

Jim : Ça m’étonne d’habitude elle est ponctuelle.

Fred : Elle doit flairer quelque chose . Si j’étais toi je me méfierais.

Jim : C’est le cas. Je veux simplement faire observer que mon film…

Fred : Notre film…

Jim : Le film… Ça vous va, « le film » ? Le film parle des horreurs d’un certain établissement que j’ai situé par hasard…

Fred : Je suis allé là-bas, je suis passé par là.

Jim : Mais enfin beaucoup d’autres ont connu des expériences similaires. Ce pourrait être aussi bien leur histoire.

Fred : Non… non… vous m’avez entendu la raconter. J’ai même dit à Big John que ça ferait un film épatant… l’épisode surtout où le héros met le feu.

Jim : C’est ce qui vous est arrivé ?

Fred : J’avais reçu ordre de mettre le feu à plusieurs bâtiments.

Jim : Ordre de qui ?

Fred : La radio.

Jim : Vous avez entendu des voix à la radio ?

Fred : Et vous, dans votre voix, y aurait-il comme l’ombre d’une trace de scepticisme ?

Jim : Non…

Fred : Je n’ai pas toujours été… c’est quoi leur terme…

Jim : Schizophrène paranoïde.

Fred : Des termes techniques, on n’a plus que ça à la bouche !
Tout ça, c’est du babillage. Dans le temps on disait « piqué de la tarentule »… Pire que du babillage : c’est du maquillage. Une fille amène son fiancé chez ses parents et leur dit : « Voilà, je vous présente Max, un maniaco-dépressif. » Imaginez leur réaction ! Ils voient déjà leur fifille mariée à un type qui le lundi veut se jetter d’un gratte-ciel et le mardi s’acheter toute la boutique… Au lieu de dire : « Je vous présente Max c’est un bipolaire. » Ce qui fait penser à un exploit… une sorte d’explorateur… bipolaire comme le commandant Charcot.
Non, Jim… plus prosaïque était leur diagnostic. Pas « maboule » ni « frappadingue »… ils ont dit : « Fred Sauvage est homicide…
Un total psychopathe.»

Jim : Homicide ?

Fred : Ça vous plait, les étiquettes !

Jim : Fred, manifestement vous êtes quelqu’un d’instruit…

Fred : Je lis le sanscrit. Docteur ès lettres. Thèse sur les Effets positifs de la tension dans la relation triangulaire de Goethe, Schopenhauer et sa mère. Et du coup vous vous demandes ce que je faisais dans une agence de pub ? Des dépressions…
Parce qu’ils étaient aveugles à l’originalité de ma pensée en général. Par exemple : huit putes attendent dans un bordel.
Entre un micheton, qui les passe en revue. Finalement il continue et dans le coin de la salle, il choisit le porte-parapluies. Il suit le couloir le machin dans les bras et se met au lit avec et en jouit comme un fou. On zappe et le voilà qui repart au volant d’une Volkswagen, et là, sur l’écran on projette : Volkswagen, pour l’homme au goût particulier. Alors celle-là, ils ont dé-tes-té !
À l’époque, je fréquentais déjà pas mal les établissements spécialisés comme si j’avais eu une carte de fidélité. Et le jour où j’ai été licencié, ma copine m’a éjecté. Et je suis rentré chez moi, et là,surprise, j’entends la voix d’un présentateur m’ordonner de mettre le feu à l’agence de pub où j’avais bossé ! Je n’ai jamais autant pris mon pied. Vous avez décroché ?

Jim : C’est très triste comme histoire...

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L'Oral et Hardi
Courrez-y vite ne vous retournez pas on a tous besoin de hardiesse et d'oralité, c'est une prouesse verbale et de jeu d'acteur. La mise en situation des mots est drolatique, on voudrait que cela ne s'arrête jamais. Il n'y a plus que 4 jours...
Merci Monsieur Bonnaffé j'ai nagé dans la poésie la plus jouissive, poésie que je ne connaissais pas.
Il y avait dans la salle de vieux wallons qui connaissaient certains textes par cœur. Pour moi je les avais en stéréo. C'était anarchique, rabelaisien, Perec-ien, c'était Ferré-ien, c'était un bain je vous dis avec des longueurs de liberté : n'oubliez-pas Jean-Pierre Verheggen,
par Jacques Bonnaffé.
Tous les spectateurs, apprentis acteurs doivent y aller sans attendre un one man show de cette qualité là, c'est totalement inoubliable.
Les textes vous pouvez les trouver dans toutes les bonnes librairies.

Dates : du 21 Novembre 2007 au 4 Octobre 2008


Présentation
D'abord un bain de foule, on serre les mains. On se fait acclamer pour aussitôt protester de sa modestie, gagner la tribune et s'y perdre en circonvolutions poétiques : 'L'Oral et Hardi', discours de campagne d'un éventuel non candidat probable, parcours entamé au gré des festivals d'été, prolongé en soirées concerts jusqu'à devenir à Paris ville allocution poétique, fin de campagne à la maison... de la Poésie.

De Jean-Pierre Verheggen
Mise en scène de Jacques Bonnaffé
Scénographie de Michel Vandestien
Création sonore de Bernard Vallery
Avec Jacques Bonnaffé

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