lundi 13 juillet 2009

Wajdi Mouawad. Cet artiste associé à Avignon, au nom impossible retient...

Deux beaux articles qui me font regretter de ne pas y être déjà, là-bas mais patience mon heure de départ arrive. A Avignon, j'y vais depuis 20 ans sans discontinuer avec deux fois où j'ai joué tout le mois... C'est comme dirait Barbara, le seul endroit pour moi où le jour et la nuit s'épousent jusqu'à l'infini

Festival d'Avignon : ma nuit avec Wajdi Mouawad. sur le JDD
Par Sonia Desprez, dimanche 12 juillet 2009 à 18:26

(ce texte ne dévoile pas l’histoire des pièces, et encore moins la fin)
Certains prennent de la drogue, d’autres vont passer douze heures dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, voir trois pièces de Wajdi Mouawad se succéder depuis le crépuscule jusqu’à l’aube. J’appartiens à la seconde catégorie, peut-être par accident. En apprenant que j’allais m’enquiller ce marathon dramatique, et bien qu’excitée par l’événement, je m’étais donné carte blanche en matière de tangente. J’avais le droit de partir après la seconde pièce, « Incendies », et même au milieu si nécessaire. Pareil pour les 2000 (je crois) autres spectateurs, d’ailleurs, sauf que la plupart étaient venus entre amis, alors que j’avais laissé les miens se souler au vin rosé puis dormir du sommeil du juste, et j’étais donc seule avec mon amour du théâtre. Ah Wajdi, Wajdi. Sacré bonhomme. Un auteur metteur en scène un peu libanais, un peu français et un peu canadien. Un type qui aime les histoires, les sagas, même, et puis les promesses, les mystères, et puis les fresques initiatiques et historiques.
Alors quoi. C’est bien ? Ça vaut le coup ? Bah oui. Mille fois oui, pour des raisons parfois un peu périphériques au cœur de l’œuvre, toutefois. Ce qui est beau, dans Wajdi Mouawad, c’est par exemple sa fantaisie. Du genre dans « Littoral », première pièce de la trilogie de cette nuit (qui est en fait une quadrilogie intitulée « Le sang des promesses »), le héros, Wilfrid, a pour meilleur ami imaginaire un chevalier de la Table Ronde, qui est totalement burlesque dans le tragique, et très pertinent par ailleurs (vu que Wilfrid poursuit son propre Graal etc..). Ils jouent bien les acteurs de Mouawad. Ils jonglent comme rien avec les accents, notamment québécois. (C’est bien marrant d’entendre la cour d’honneur raisonner d’accents québécois, d’ailleurs). Il y a les personnages, aussi, avec toujours le jeune personnage central comme Wilfrid, Loup (une fille), Jeanne et Simon, en quête de ses racines, et très émouvant, plein de fraicheur, toujours un peu au bord de la folie, mais qui ne bascule pas. Bon ce qu’il y a de beau à part ça, c’est la scénographie. Des dispositifs très flexibles, à base de matériaux type chantier : peinture de couleur dont les protagonistes se tartinent allègrement, bâches transparentes, tissus qui épongent les couleurs, praticables lumineux en contreplaqué etc... Ce n’est pas vraiment beau, mais c’est assez fascinant, et ça joue une vraie partition dans l’évolution du drame. Et puis, il y a des acteurs : des jeunes, des vieux, des boiteux, des gros, des chauves, il y a vraiment un truc différent dans son casting. Là encore, pas vraiment beau. On dirait des gens normaux, qui jouent très très bien la comédie. Quand on voit les comédiens de Wajdi, on se rend compte à quel point les comédiens, d’habitude, au théâtre, n’ont pas vraiment des gueules de vrais gens de la vraie vie. Et puis ce qui est différent aussi, c’est que Wajdi, il n’a pas peur du mélo. Oooooh non.
Je récapitule les grandes lignes de ma nuit :
« Littoral » : Un début flamboyant et éminemment comique, une performance lumineuse du jeune Emmanuel Schwartz, qu’on empêcherait bien de retourner au Canada pour se le garder. Au début de Littoral, j’ai vraiment pensé que j’avais à faire à quelque chose de très très nouveau. Mais après, j’ai trouvé le temps long, parce que j’ai été plongée dans une guerre qui n’était pas la mienne, et qu’on ne me rendait pas accessible. Enfin, quand même, j’ai un peu chialé sur l’histoire du type qui cherche une sépulture pour son père, et ré-invente le monde dans sa quête.
Ensuite « Incendies » : au début, j’ai cru que j’allais me tirer, parce que j’étais du genre en plein coup de barre (il était déjà une heure et demi quand même). Et puis à un moment, l’histoire prend un tournant dramatique tellement violent et intense, que toute la cour d’honneur a été scotchée d’un coup, et moi avec. Là pour le coup, j’étais soudain concernée par la guerre (intime) qui se livrait sur le plateau, le drame familial, la rédemption. J’adore la rédemption, c’est un des trucs que je préfère dans la vie, et par conséquent, dans la fiction, aussi. J’ai trop chialé à la fin, ambiance larmes de crocodiles, et plus rien n’a d’importance dans ma petite vie misérable, merci l’art, merci le théâtre. Du coup, il avait beau être trois du matin, j’ai décidé de rester. Je suis allée m’enquiller des chips et une bière au bar, et écouter ce que disaient les autres gens. Comme moi, ils voyaient les faiblesses. Comme moi, ils commençaient à avoir froid, c’était marrant, cette ambiance réfugiés tous enveloppés dans les polaires marrons prêtées par le Festival, surtout que sur le plateau, ça parlait déracinement et immigration à gogo (mais à travers des histoires intimes, c’est pas du tout du social Wajdi, hein, attention.). Ils y avaient pas mal d’autre gens qui avaient pleuré, et pas que des filles. Ensuite, tout le monde s’est rassis, et quand je dis tout le monde, je ne suis pas loin du compte. Ça, c’est beau : plusieurs milliers de personnes, chaque soir, prêts à s’envoyer onze heures de théâtre d’affilée, sous les étoiles, onze heures avec des longueurs, quand même, je précise, onze heures avec des monologues, des moments très tragiques, d’autres comiques, onze heures de spectacle vivant quoi. Et presque personne ne se tire. Presque tout le monde reste jusqu’au bout. Un vrai miracle. L’espoir est donc permis (ah oui, parce qu’aujourd’hui, c’est la visite officielle de Frédéric Mitterand à Avignon, et ça, en revanche, on ne peut pas dire que ça me remplisse d’espoir mais bon).
Bon, sur la dernière pièce, « Forêts », la plus longue (3h45 ce qui stratégiquement est un peu cruel pour le public, je trouve), Wajdi a été à mon avis frappé du syndrome Dark Vador (« Luke, je suis ton père »). Ça vire à la saga à tiroirs pleins de révélations, limite ambiance soap. Alors oui, les acteurs sont formidables, oui , la dramaturgie est belle oui oui oui, mais quand même, on est plus du côté télénovela brésilienne que Tribute to the Atrides (vous savez, la famille grecque, qu’il fait bon citer pour faire classique, où tout le monde nique tout le monde, -dans les deux sens du terme, en raison de la guerre de Troie, et d’autres malédictions familiales, ex Electre, Iphigénie, Oreste, le pauvre, Clytemnestre et tutti quanti, personnellement j’adore mais j’admets qu’il faut se concentrer pour s’y retrouver) à mon goût.
Bon enfin, ça valait le coup, comme je disais plus haut, pour voir l’aube se lever sur les vieilles pierres, sur les planches ensanglantées de peinture rouge, sur les accents canadiens, et sur le public aux yeux rouges dans ses polaires marrons. Et pas que les filles, les yeux rouges. J’ai vu pas mal de types pleurer aussi. A la fin, les applaudissements ont duré tellement longtemps que ça faisait accélérer le cœur. Ça chialait sec, on ne savait plus qui applaudissait qui tellement tout le monde applaudissait debout, comédiens compris. De voir tous les personnages alignés devant nous, ces gens dont on avait vécu les naissances, les quêtes, les bassesses, les viols, les bontés, les blagues, et qui nous regardait, nous applaudissaient à leur tour…C’était beau, c’était rare, c’était émouvant, c’était exceptionnel, on avait vraiment vécu quelque chose, là, tous ensemble.
En hommage à la performance des comédiens, j’ajoute que j’imagine qu’ils vivent comme des moines pour jouer ça tous les soirs, et qu’ils ne doivent pas voir grand-chose de l’intense vie sociale avignonnaise. Comme ça n’a pas été trop mon cas non plus pour l’instant, je vais tâcher, pour leur témoigner toute mon admiration, et ma gratitude, d’inverser la vapeur. Pourvu que la suite de ces lignes s’en ressente favorablement.
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Avignon : douze heures dans la cour d'Honneur...
Par Armelle Héliot le 9 juillet 2009 11h46
Première hier soir des intégrales de trois pièces de l'écrivain libano-canadien Wajdi Mouawad dans la cour d'Honneur du palais des Papes. De 20h mercredi à 7h30 jeudi matin, près de deux mille personnes ont traversé la nuit...et étaient encore dans le bâtiment deux heures plus tard, traînant au petit déjeuner avec les artistes !



"Evidemment, il faut aimer le théâtre. Passer douze heures ou presque, assis à la même place -avec deux entractes, l'un d'une heure quinze, l'autre de trente minutes- paraît exercice douteux à qui ne sait pas que le théâtre est souvent miraculeux et que l'on ne voit pas le temps passer si les histoires que l'on vous raconte sont bien menées...

On se prépare comme on se prépare pour un voyage. Petites laines, voire doudoune, vêtements souples, bonnes chaussures ! Onze/douze heures, c'est Paris-Séoul ? Assis à la même place, mais avec des possibilités d'escapade plus conséquentes que dans le couloir d'un long courrier...





Photo de Littoral Agence Wikispectacles avec l'aimable autorisation des photographes

Hier soir, la représentation débutait deux heures plus tôt que d'habitude au palais des Papes. Vingt heures. A Avignon, il faisait encore très chaud et le vent du Nord (pas encore du mistral) qui avait soufflé dans la journée, s'était apaisé. A 20h, la cour était pleine à craquer. Près de 2000 personnes fin prêtes à cette longue traversée de la nuit comme le Festival d' Avignon les aime : ici même, Le Soulier de Satin de Paul Claudel, Les Comédies barbares de Ramon del Valle Inclan ou encore à la carrière de Boulbon Le Mahabharata sont des spectacles entrés dans la légende de par leurs qualités artistiques, mais aussi du fait des nuits partagées, avec leurs anecdotes, leurs histoires.

On se souviendra de cette première car elle a été marquée par la plus fabuleuse entrée que l'on ait vue dans la cour...N'était le cavalier noir du Hamlet de Chéreau, surgissant, dans un fracas d'enfer de sabots sur la pierre et le bois, on n'avait jamais été aussi étonné : il était 20h10, lorsque, se glissant sur le plateau vaste, venant de jardin (à gauche en regardant la scène), un chat, un superbe Européen, très fier avec sa silhouette racée, un collier vert autour du cou, s'aventura dans ce territoire qu'il connaît visiblement, mais dont il se méfie...Rejoignant la paroi de bois servant d'élément de décor, il se mit à la longer, bientôt suivi par les comédiens eux-même, entrant à la file indienne...On sentit un flottement dans la salle qui s'interrogeait : le chat fait-il partie du spectacle ? d'autant qu'à la fin de cette première pièce, deux heures quarante plus tard, Monsieur Mistigri ressurgit, comme pour saluer la compagnie ! Wajdi Mouawad aime les chats. C'était un heureux présage...

Littoral qui ouvre la soirée est une pièce qui date de 1997. Wajdi Mouawad l'a réécrite, en tout cas révisée, la débarrassant notamment des scories de ce qu'il reconnaît être des tics de langage. C'est une grande pièce, très originale, très puissante. Un orphelin, Wilfrid (l'époustouflant Emmanuel Schwartz), apprend la mort de son père, qu'il ne connaissait pas. Il veut lui offrir une sépulture dans le pays de sa naissance. Mais le pays est en guerre et il est bien difficile d'enterrer son père...il finira "emmerer". Ce mort pourrit mais parle, comme parle parfois au pauvre orphelin le chevalier Guiromelan (Jean Alibert, épatant) qui vient à son secours ! Wajdi Mouawad maîtrise merveilleusement bien son récit et se permet ces cocasseries enfantines, d'une fraîcheur digne des comédies de Shakespeare, tout en parlant d'événements terribles qui nous reconduisent sans cesse à la guerre, au Proche-Orient, à son Liban natal.





Photo de répétition : au centre en tee shirt bleu, Wajdi Mouawad. Répétition de Incendies, agence Wikispectacles avec l'aimable autorisation des photographes.

Incendies qui suit de minuit vingt à trois heures du matin, est de même facture. La pièce date de 2003. C'est encore une histoire fascinante. Un notaire lit à deux très jeunes gens, des jumeaux frère et soeur, Jeanne et Simon, le testament de leur mère Nawal. Elle leur a laissé deux lettres. L'une pour un père qu'ils croyaient mort, l'autre pour un frère dont ils ne savent rien. A partir de ce noeud dramatique, Wajdi Mouawad embrasse toute l'histoire, et l'on est encore dans des terres déchirées par la guerre. C'est un grand roman théâtral, très bien composé et bouleversant dans son acuité d'analyse des coeurs et des âmes. Scène extraordinairemenr forte, par exemple, du frère qui tue tout ce qui bouge. Imagination, liens secrets, tout ici fonctionne à merveille porté par une distribution remarquable.

Forêts est moins abouti. D'ailleurs la pièce qui durait 4h a été réduite à 3h30, mais c'est encore trop long et curieusement Wajdi Mouawad abandonne ici une part de sa personnalité. Pas pour rien qu'un personnage se nomme Brouillard : on reconnaît un univers à la Joël Pommerat dans cette famille qui ne vit que de rigidité qui cède et de sévérité douloureuse...Mais l'excès de pathos noie toute puissance tragique.

Demeure à la fin, 7h30 du matin, martinets piquant depuis le haut ciel bleu, une salle debout, encore enveloppée des couvertures polaires mises à disposition par le festival et qui n'ont pas été inutiles aux petites heures du jour, une salle n'en finissant pas d'applaudir, bien réveillée par cette nuit magique. Un triomphe comme le festival n'en avait pas connu depuis bien des été et qui signe la réconciliation profonde de la manifestation avec un théâtre d'art, un théâtre de textes qui éclairent le monde.



Armelle Héliot un jour à Avignon un martinet est tombé dans la petite cour interstice d'immeubles, près de ma chambre, je l'ai recueilli, j'ai mis plusieurs jours à comprendre qu'il n'était pas blessé, qu'il n'était pas oisillon, et je l'ai relancé au petit matin dans le ciel, quelle sensation... On l'avait appelé Roger.
Il a fait un grand virage et est parti en criant...

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