lundi 2 février 2009

D'autres Avis sur MINETTI Et M. PICCOLI et Music-hall de JL Lagarce

CRITIQUES
Minetti, de Thomas Bernhard, mise en scène d'André Engel, jusqu'au 6 février au Théâtre national de la Colline, Paris 20e. Tél. : O1-44-62-52-52.

Music-hall, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Lambert Wilson, jusqu'au 14 février au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e. Tél. : 01-46-07-34-50
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LA CHRONIQUE DE FABIENNE PASCAUD
Qu'ont donc les acteurs pour ne cesser de fasciner ? D'un bout à l'autre de notre existence ; d'un bout à l'autre de leur existence. Soif adolescente de s'oublier dans « l'autre » - le personnage - et admiration éblouie de ceux qui y parviennent ? Angoisse, plus tard, de surprendre chez les mêmes les ravages du temps ; de notre propre temps ? L'acteur : miroir de nos existences. Jusqu'aux plus ratés d'entre eux, qui suscitent à l'envi films et spectacles, comme s'ils étaient - bien mieux que d'autres - à l'image de tous nos ratages. Ecrit-on autant sur les mauvais écrivains, ou plasticiens ? C'est que l'acteur n'a d'autre forme que lui-même à offrir. Il se joue, se donne tout entier, et c'est cela qui est beau, et c'est cela qui émeut. Sauf qu'il doit rester avant tout au service du texte qu'il incarne, et non l'inverse. On peut ainsi vivement regretter qu'André Engel transforme l'éructant et suicidaire Minetti de Thomas Bernhard en papi Nova, histoire d'y faire coller le phrasé hésitant et la mémoire hasardeuse de Michel Piccoli. Qu'on se souvienne de l'interprétation de l'authentique acteur allemand Bernhard Minetti (qui inspira Thomas Bernhard en 1976), de celle de l'Américain David Warrilow (1988), ou de Michel Bouquet (2002), et l'on pourrait même parler de détournement de l'oeuvre. Au nom de quoi - entre autres - avoir supprimé l'épilogue final, la mort assumée sous la neige du vieux comédien, qui donne tout son sens au parcours du personnage ? Ce vénérable cabot-là débarque un soir de Saint-Sylvestre dans un hôtel d'Ostende pour un prétendu rendez-vous avec un directeur de théâtre qui lui aurait promis de lui confier le Lear de Shakespeare. Rôle qu'il travaille obstinément depuis ses 18 ans, lui qui n'a pas joué depuis trente ans... Mais qui en a la rage, la passion, la souffrance, apôtre et ennemi à la fois d'un art qui le construit et le détruit au milieu d'un monde qu'il méprise et rejette. Le suicide de Minetti dans la pièce-carnaval, c'était enfin une sorte d'état de grâce, d'acceptation de son destin d'artiste poursuivant sa voie par-delà une société absurde. Et finalement atteint par rien. Parce que les acteurs ne sont atteints par rien ; ne vivent pas la vie ; sont juste vécus par celles des autres ; ressentent tout et échappent à tout. Pareille dimension, quasi spirituelle, disparaît d'un spectacle terre à terre, alourdi encore par les nombreux trous de mémoire de l'acteur-vedette dans un texte qui l'interdit par sa nature même, obsessionnelle, ratiocinante, lancinante. Mais comment les lui reprocher à 84 ans ? Mais pourquoi nous les imposer aussi, et la compassion, de le voir soudain ne plus savoir. Mettre en scène la détresse d'un vieil artiste a, pour le public, certaines limites. C'est montrer une comédienne ringarde dans une tournée minable qui amuse Jean-Luc Lagarce (1957-1995) dans Music-hall. Avouons que, malgré l'admiration portée au bouleversant auteur de Juste la fin du monde, voir comme aujourd'hui son théâtre monté en boucle (et jusqu'à ses fonds de tiroirs !) suscite quelque lassitude. Son style enchante moins, on en repère les tics, la musique répétitive, les facilités ; bref, ce Music-hall-là est une jolie oeuvrette, pas une grande pièce. En plus, avoir choisi pour le rôle de cette antistar misérable Fanny Ardant - qui en est une véritable - ajoute à la confusion, et on ne croit guère à sa composition de bonne écolière appliquée, perruque blonde mal vissée sur le crâne. A trop vouloir mettre en scène les comédiens ratés (deux, par quel masochisme, la même semaine !), André Engel comme Lambert Wilson ont trop nargué la contagion.





Fabienne Pascaud

Telerama n° 3080 - 24 janvier 2009


VOS AVIS



ykarch - le 28/01/2009 à 13h46
Aimez vous la vie Fabienne Pascaud? Pourtant quand le théâtre rencontre cette fragilité là et modifie la convention bien établie,il se passe quelquechose de rare qu'il est bon de signaler voir de s'en émerveiller.Dommage pour vous!Allez tous à la colline et à l'odeon.

Un spectateur de théâtre qui s'y ennuie souvent.
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x5csntaw - le 27/01/2009 à 02h22
sanzot,

avant de vous emporter vous devriez relire l'article: F. Pascaud écrit que "Engel transforme M. Piccoli en papi Nova" . Ce n'est pas elle qui traite votre acteur fétiche comme tel. Ce en quoi elle a hélas raison car c'est très irresponsable de faire endosser un pareil rôle à un acteur de la trempe de Piccoli. A cause d'une mise en scène ratée, le spectacle est raté, point barre!
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sanzot - le 26/01/2009 à 15h44
Madame Pascaud,

qui ètes vous pour traiter un acteur comme Michel Piccoli de papi nova?

Et puis qu'est ce que cette histoire d'acteurs qui ne qui ne vivent pas la vie?.Mais de quel théâtre parlez vous? Je comprends que ce spectacle ne vous ai pas touché, je ne comprends pas votre mépris. Quand l'heure de mamie nova sonnera je vous souhaite le même courage que Mr Piccoli.
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x5csntaw - le 22/01/2009 à 17h31
bravo, Fabienne Pascaud! ce que vous analysez ici est tout à fait pertinent. Et dire que, par un masochisme incroyable, les gens de théâtre continuent de cracher leur haine contre l'art théâtral au point de ne s'intéresser qu'à ceux qui le défigurent ou l'exècrent. Mais M. Engel n'a pas le génie d'un Th. Bernhard qui justifiait philosophiquement sa détestation du théâtre.
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Critique
Michel Piccoli le magnifique, dans un monologue infernal
LE MONDE | 12.01.09 | 15h42 • Mis à jour le 12.01.09 | 17h10


Il neige à Ostende. C'est le 31 décembre, au soir de la Saint-Sylvestre. Dans le hall d'un hôtel, une femme seule boit du champagne. Elle attend d'être ivre pour monter dans sa chambre, où elle se mettra un masque de singe sur le visage, et s'écrasera de sommeil.

Arrive un vieil homme en manteau d'hiver, avec une valise. C'est un acteur. Il a rendez-vous avec un directeur de théâtre qui lui a demandé de jouer Lear. Il y a trente ans que l'acteur n'a pas joué. Il était célèbre, le plus grand de tous, disaient les journaux, quand il s'est arrêté. Depuis, il a vécu dans la plus grande solitude, jouant Lear pour lui, devant une glace. Mais, dit-il, il ne peut pas refuser au directeur de théâtre, un ami d'enfance, de reprendre le rôle sur une scène.

Dans le hall de l'hôtel, il attend. Des clients passent, et des fêtards grimés pour la Saint-Sylvestre. Derrière son comptoir, le concierge tient ses registres, tout en écoutant le vieil homme qui s'adresse à lui, et à la dame qui boit. Le directeur n'arrive pas.



DERNIÈRE NUIT



L'acteur va dans la salle à manger, où une jeune fille écoute de la musique sur son transistor, en attendant son amoureux. Quand elle s'en va, il est tard. Le directeur de théâtre ne viendra plus. Il n'existe peut-être d'ailleurs pas, sinon dans le tête du vieil homme, qui lui-même n'a peut-être jamais joué, et qui, ce soir de la Saint-Sylvestre, se pose à Ostende comme on rejoint un endroit de nulle part, pour une dernière nuit.

Quoi qu'il en soit, cet homme parle de l'art dramatique, et ce qu'il en dit est terrifiant. On n'a jamais entendu sur une scène des choses aussi définitives sur l'acteur, sa place dans la société, sa lutte avec - ou contre - le public et les auteurs, son angoisse et ses incertitudes.

Il fallait être Thomas Bernhard (1931-1989) pour oser s'y coller, avec cette pièce qui s'appelle Minetti, du nom du grand comédien allemand pour qui l'écrivain autrichien l'a écrite, en 1977. Et aujourd'hui, il faut être Michel Piccoli pour oser affronter ce quasi-monologue infernal à mémoriser, qui avance en boucle et creuse chaque fois plus loin le sillon de l'état de perturbation dans lequel l'acteur qui le dit se trouve.

Au Théâtre de la Colline, à Paris, où André Engel le dirige après l'avoir mis en scène dans Le Roi Lear, aux Ateliers Berthier, en 2006, Michel Piccoli est corps et âme cet acteur perturbé. Par moments, il va demander son texte au concierge (Gilles Kneusé, excellent, tout comme les autres). Piccoli a des trous de mémoire, et il en joue avec un tel naturel qu'on se demande s'il dit le texte ou s'il parle de lui.



ASSIS SUR SA VALISE



Parfois, la salle a peur qu'il ne dise "je", tant la nécessité qui le pousse est impérieuse. Mais sa manière est si impériale que cette peur s'efface devant ce que seul le théâtre peut donner : la présence d'un acteur qui a tout traversé sur les scènes, et se retourne pour regarder en arrière, sur le long chemin de la vie. C'est magnifique.

A la fin de Minetti, Thomas Bernhard fait mourir l'acteur sur la plage d'Ostende. Un suicide, sous la neige. A la Colline, Minetti ne meurt pas. Michel Piccoli s'assied sur sa valise, qui contient le masque de Lear. Ce masque est l'expression de la chimère qui l'a maintenu en vie.

"Tout au long de la vie nous simulons quelque chose que personne ne comprend", a-t-il dit au cours de cette soirée qui prend beaucoup de libertés par rapport au texte de Thomas Bernhard, mais ne cède pas sur l'essentiel : elle fait de l'art dramatique un miroir de l'existence. Quand il vient saluer, Michel Piccoli a un regard pétillant.



Minetti, de Thomas Bernhard. Mise en scène : André Engel. Avec Michel Piccoli, Evelyne Didi, Gilles Kneusé, Arnaud Lechien, Julie-Marie Parmentier. Théâtre national de la Colline, 15, rue Malte-Brun, Paris-20e. M° Gambetta. Tél. : 01-44-62-52-52. Mardi, à 19 h 30 ; du mercredi au samedi, à 20 h 30 ; dimanche à 15 h 30. De 13 € à 27 €. Jusqu'au 6 février. Tournée : Reims (du 11 au 14 février), Genève (du 18 février au 8 mars), Berlin (du 12 au 14 mars), Villeurbanne (du 18 au 28 mars)...
Minetti est publié à L'Arche (76 p., 11 €).



Brigitte Salino

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